Dixit Laurent Laplante
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Paris, le 29 novembre 1999
Les obsessions référendaires

Je ne sais pas ce qu'en aurait déduit Pavlov, mais certains mots agissent sur certains individus comme une décharge électrique.  À peine le mot est-il prononcé à leur oreille que le bon sens perd ses droits, que l'émotion la plus viscérale monte à l'avant-scène, que déferle la rage ou l'extase.  Ainsi en est-il du mot référendum.  Ne prononcez le mot à proximité du ministre Stéphane Dion ou des premiers ministres Jean Chrétien et Lucien Bouchard qu'après avoir vérifié l'emplacement de la sortie de secours.  Assurez-vous aussi d'avoir ancré vos convictions démocratiques dans le béton avant de vous exposer aux sophismes que le mot provoque immanquablement chez ces messieurs.

Pour MM. Chrétien et Dion, il semble aller de soi qu'un référendum n'aura de légitimité que si le gouvernement central en contrôle les règles et la question.  Puis, comme s'ils voulaient fournir la preuve que le gouvernement central possède, lui, un doctorat ès transparence et légitimité, MM. Chrétien et Dion jettent par-dessus bord la règle du « 50 % + 1 ».  Tout cela n'est pas seulement mesquin, cela confine à la sottise.

Il est aberrant, en effet, de prétendre placer le déroulement d'un éventuel référendum québécois sous la houlette du gouvernement fédéral.  Cela regarde le Québec et les Québécois.  Dire le contraire, c'est traiter le Québec en enfant mineur et intenter aux dirigeants politiques du Québec un méprisable procès d'intention.  C'est, en effet, juger que rien de démocratique ne peut se dérouler au Québec si le gouvernement central ne vient pas contrer les propensions congénitales du Québec au fascisme.  Si vraiment le Québec ne vaut pas mieux, on se demande bien pourquoi le Canada anglais tient tant à le garder.

Le Canada a le droit, nous dira-t-on, de défendre son intégrité territoriale et politique?  C'est exact.  Qu'il le fasse, poliment, à l'intérieur du cadre défini par la législation québécoise.  On peut ne pas aimer l'idée d'un troisième référendum, on peut en craindre le résultat, mais cela n'autorise personne, pas plus le gouvernement central que les dirigeants politiques des autres provinces, à substituer une consultation sous contrôle extérieur au référendum que le Québec voudrait tenir.

Quand au rejet du « 50 % + 1 », je laisse à Jean Ferrat le soin de décider s'il faut pleurer, s'il faut en rire.  La majorité simple suffit partout, sauf, semble-t-il, pour des mathématiciens comme MM. Chrétien et Dion.  Cette règle a suffi pour intégrer Terre-Neuve à la Confédération canadienne.  Personne ne l'a remise en question quand il s'est agi de modifier à la hausse l'effort de guerre du Canada en 1942.  M. Chrétien lui-même gouverne sans avoir jamais été le choix de 50 % des électeurs canadiens.  J'avoue donc ne pas comprendre pourquoi la règle tomberait aujourd'hui sous le couperet manoeuvré par Ottawa.  À moins, évidemment, que MM. Chrétien et Dion pensent aujourd'hui ce qu'on disait autrefois (et méchamment) du fair-play anglais : « What belongs to me belongs to me, what belongs to you is negociable. »

La réaction du premier ministre québécois à ces inepties ne me plaît pas beaucoup plus.  M. Bouchard se montre prompt à saisir la moindre occasion de ranimer la flamme souverainiste, ce qui est son droit, mais il en dit à la fois trop et pas assez, ce qui est une erreur et presque une faute.  M. Bouchard sait comme tout le monde que le Québec ne peut pas tenir les référendums à la queue leu leu, mais il ne dit pas au nom de quel projet de société il faut prolonger la série québécoise.  Il promet qu'il n'y aura pas de référendum perdant, ce qui me plaît, mais il s'abstient de verser un contenu clair et rassurant dans sa détestable expression de « conditions gagnantes ».  Il affirme sans rire que le Québec acquerrait le droit de proclamer la souveraineté de façon unilatérale si le gouvernement central refusait la négociation avec le Québec que lui prescrit la Cour suprême, mais il ne dit pas depuis quand il est si entiché des décisions de la Cour suprême.  M. Bouchard, en somme, s'engage à pratiquer la bonne stratégie, mais il ne dit pas au service de quelle vie collective il la mettra.

De toute manière, les deux camps semblent perdre de vue que la démocratie ne se résume ni à des pourcentages ni même à une majorité.  Une démocratie se juge non pas surtout à sa conformité avec les voeux de la majorité, mais à sa façon de traiter ses minorités.  Un pays totalitaire prétend lui aussi s'appuyer sur la majorité; un pays démocratique laisse respirer ceux qui divergent.  Ottawa traite mal le Québec; le Québec, quand il parle de souveraineté, ne dit à peu près rien du genre d'État qu'il veut devenir.  Ottawa veut gagner, même en truquant les règles quantitatives des consultations populaires; Québec semble chercher le moment et les circonstances qui permettront le coup de force.  La démocratie voudrait que le gouvernement central cesse de traiter le Québec comme une collectivité infantile et intolérante; la démocratie voudrait que le Québec ne cherche pas à réunir les conditions favorables à un référendum dit gagnant, mais garantisse qu'il entend lire honnêtement les voeux de ses diverses opinions publiques.

Comme diraient des adolescents que je connais : « On se calme! »  L'important n'est pas de vaincre l'adversaire, mais de proposer une démocratie meilleure que la sienne.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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