Dixit Laurent Laplante
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Paris, le 16 décembre 1999
Le CIO demeure un club privé

L'opération cosmétique à laquelle vient de s'adonner le Comité international olympique (CIO) ne saurait tromper : sous le supplément de maquillage, la lèpre qui ronge l'olympisme demeure présente et active.  Le CIO, comme il sait le faire puisqu'il a concocté en cent ans une bonne douzaine de chartes olympiques différentes, a changé quelques meubles de place, mais il demeure, après comme avant l'opération, un club privé allergique à toute arrivée massive d'oxygène, viscéralement fermé à la démocratie et toujours déterminé à empocher les dividendes tout en esquivant les responsabilités.

Raccourcir (à 12 ans!) le mandat présidentiel?  Cela ne signifie rien.  Une charte précédente avait fixé des limites que M. Samaranch s'est empressé de dépasser, avec l'aval d'un collège électoral à la nuque docile.  Âge limite des membres?  Même remarque, même mauvais exemple de M. Samaranch.  Expulser les membres dont une enquête strictement interne a révélé la vénalité?  Cela ne garantit pas que les plus coupables ont été pris, ni que la justice que le CIO pratique sur lui-même, rencontre les normes usuelles de minutie, d'aération et d'équité.  Quant à la décision de ne plus laisser l'ensemble des membres visiter les villes candidates, elle transfère à une bureaucratie, donc à une structure encore plus opaque, une responsabilité qui, au contraire, aurait requis plus de transparence.

Quant aux questions de la drogue et de la « collaboration » entre le CIO et l'industrie pharmaceutique pour établir la liste des produits prohibés, on retiendra que le CIO les traite avec une hypocrisie particulière.  D'une part, le CIO s'engage à sévir contre les fédérations qui seraient trop complaisantes.  Mais chacun sait ou devrait savoir, sauf sans doute dans la complaisante confrérie des chroniqueurs sportifs, que M. Samaranch lui-même, dans le passé, pressait les fédérations de ne pas prononcer des peines trop lourdes contre les athlètes convaincus de dopage.  D'autre part, le CIO a toujours veillé soigneusement, prince de Mérode aidant, à retarder d'au moins une génération scientifique ou deux sur les découvertes pharmaceutiques et à ne jamais soumettre les athlètes aux prises de sang qui en diraient passablement plus long que les rituels tests d'urine.  N'allons donc pas penser que le CIO veut en finir avec le dopage.  Le CIO n'a même pas effacé certaines séries de records olympiques qui, comme en haltérophilie, ont toutes des odeurs de stéroïdes.

En ce qui touche à ses mœurs de club privé, aspect particulièrement névralgique, le CIO n'a encore rien compris.  Le club continue à n'assumer aucune responsabilité à l'égard des éventuels déficits, mais il accroît constamment sa quote-part dans les droits de diffusion.  Le club est toujours peuplé de gens cooptés : au moins 70 sur 115.  Le club admet des présidents de fédérations internationales?  Oui, mais en petit nombre, 15 sur 115, et, en plus, il se réserve le droit de choisir les disciplines et donc les fédérations.  Le club admet des athlètes?  Oui, mais selon des critères qui, après les choix d'Anton Giesing ou de Jean-Claude Killy, sont, au mieux, brumeux.  Encore là, les rares chroniqueurs sportifs affligés d'une moindre amnésie que la moyenne professionnelle, se souviendront d'un Killy qui, au temps du très officiel amateurisme, disait lui-même avoir presque constamment été « en délicatesse » avec la règle.  Comptons sur lui.

En somme, le club demeure le club.  Le club n'entrouvre sa porte qu'à ceux qu'il juge souplement ouverts à une mercantilisation toujours plus abrupte du spectacle sportif.  Le club continuera à choisir les disciplines olympiques selon des critères qui réduisent sans cesse l'importance du sport de masse au bénéfice d'une intrusion accrue de la performance spectaculaire.  Le club continuera de ne pas voir ce qu'on impose aux fillettes de la gymnastique et du patinage artistique, pourvu que les cotes d'écoute les accompagnent toujours.  Le club maintiendra au programme des épreuves comme le biathlon, qui doivent tout à l'époque où les militaires des pays socialistes devaient remporter leur part de médailles et où les armes s'intégraient banalement à l'existence.

Le plus déconcertant dans la religion olympique, ce n'est pas qu'elle pratique la simonie, l'hypocrisie et le lavage des cerveaux.  C'est qu'elle puisse toujours recruter autant de fidèles.  C'est, pire encore, qu'autant d'États se plient aux caprices d'un club privé.  Le club, en effet, n'accorde toujours pas les jeux olympiques à une ville, quoiqu'on en dise, mais à une ville dûment nantie de l'endossement financier du pays dont elle fait partie.  L'État devient un endosseur aveugle, en ce sens qu'il n'a rien à dire face aux exigences du CIO, ni face à celles du Comité olympique national, ni face à celles des grandes fédérations.  Entre une caution aveugle et un cocu content, la lucidité est probablement plus grande chez le cocu.

Il s'en trouvera pourtant, comme l'indique le titre du Figaro (13 décembre), pour croire et dire que nous entrons dans « une nouvelle ère pour l'olympisme ».  Quand la candeur règne avec autant d'aisance, on comprend pourquoi le CIO n'a pas besoin de payer des pages publicitaires pour redorer son blason.


Comité international olympique
Pour en finir avec l'olympisme par Laurent Laplante.

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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