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Le pourriel a eu dix ans en avril

Publié le 1er mai 2001 dans
Les Chroniques de Cybérie

On nous demande souvent de préciser l'origine du mot «spam» pour désigner le courrier électronique commercial non sollicité.  Eh bien voici.

En 1937, la société américaine Hormel Foods lance sur le marché un produit de jambon épicé en conserve qui porte le nom de «Spiced Ham».  Le succès commercial est immédiat, mais Hormel cherche alors à attribuer un nom distinctif au produit.  Elle organise un concours à l'échelle nationale, et choisit la proposition «SPAM», contraction de «spiced» et «ham».  Pour cette brillante trouvaille, l'auteur et gagnant du concours reçoit 100 $.  Au fil des ans, SPAM devient une marque très connue et, malgré de nombreuses imitations, maintient une part dominante sur le marché des viandes préparées en conserve.

Le 5 octobre 1969, un groupe de cinq comédiens britanniques entame une série d'émissions de télévision satiriques sur les ondes de la BBC, le «Monty Python Flying Circus».  Jusqu'en décembre 1974, ils produiront une série d'émissions composées de sketches humoristiques, et le Flying Circus deviendra rapidement une série culte.  Par la suite, il y aura production de quelques films, dont le plus célèbre sera certainement «Monty Python and the Holy Grail» (1975), version loufoque de l'histoire du roi Arthur qui part, accompagné de ses preux chevaliers, à la recherche du Saint Graal.

Dans un des sketches de la série télévisée, intitulé «SPAM» et diffusé le 15 décembre 1970, un couple entre dans un café où est assis un groupe de vikings coiffés de leurs casques cornus (c'était le genre de l'émission...).  Le couple demande à la serveuse ce qu'il y a au menu : des oeufs, du jambon, de la saucisse, du spam...  et les Vikings se mettent alors à scander en crescendo spam, spam, spam, spam, spam, spam, spam, spam, spam...  bref, ils gênent de manière irrémédiable la tenue de toute autre conversation.

L'expression «spam» pour décrire un comportement gênant la communication en réseau, ou encore un verbiage excessif, fait son apparition dans l'argot Internet autour de 1993.  Il décrit pour les utilisateurs de MOOs, les environnements multiusagers orienté objet, le défilement trop rapide de texte à l'écran de sorte que le message est illisible.  Le chercheur Charles J. Stivale parle d'hétéroglossie et d'une forme de harcèlement qui peut prendre son origine dans trois intentions : ludique, ambiguë ou pernicieuse.

Mais la transposition au courrier électronique et aux forums de discussion de l'expression «spam» se fait surtout en 1994 à la suite de l'affaire Canter/Siegel.  Le 12 avril 1994, Martha Siegel et Laurence Canter, un couple d'avocats de Phoenix (Arizona) qui se spécialise dans les questions d'immigration, inondent 8 000 forums de discussion avec 4 000 messages identiques.  L'opération, qui ne prend que 90 minutes, vise à promouvoir les services juridiques de Canter/Siegel qui proposent, moyennant 95 $ par personne (ou 145 $ par couple) de remplir les formulaires du tirage au sort annuel des permis de travail pour étrangers, les fameuses «green cards».  Ce que Canter/Siegel négligent de dire, c'est que les candidats peuvent remplir eux-mêmes, sans frais, ces formulaires.  Le couple n'a pas eu l'ombre d'un remords ce qui a mis les utilisateurs de l'époque en furie.  Quelques semaines plus tard, Canter et Siegel publient un livre intitulé «How To Make A Fortune On The Information Superhighway» (comment faire une fortune sur l'autoroute de l'information), guide pratique du parfait petit «spammeur».

Hormel Foods a d'abord mal réagi à l'adoption du mot «spam» pour décrire le courrier électronique commercial non sollicité, mais a dû se résigner : l'expression était consacrée.  Sur son site Web, Hormel déclare être contre la pratique des envois non sollicités, mais s'objecte à l'utilisation de son image de marque en association avec le terme (pratique fréquente constatée sur de nombreux sites Web).  En outre, Hormel suggère d'écrire «spam» tout en minuscule lorsqu'on parle du pourriel, et «SPAM» tout en majuscule quand on parle de son produit.
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