1.2.05

Les blogues et l’affaire Wilson/Plame

Rebondissements dans l’affaire Wilson/Plame, une fausse agence qui emploie un faux journaliste avec une vraie accréditation de presse à la Maison-Blanche : on nage en plein scénario de politique-fiction.

L’affaire Wilson/Plame. Je laisse Pierre Carion résumer pour nous : «L'ex-ambassadeur Wilson a été chargé par la CIA de faire une enquête au Niger pour enquêter afin de découvrir si l'Irak avait acheté de l'uranium dans ce pays. Par la suite, Wilson s'est montré très critique vis-à-vis de Bush et de son réquisitoire contre l'Irak. Le scandale qui prend forme est que quelqu'un à la Maison-Blanche aurait révélé à la presse que la femme de Wilson, Valérie Plame, était un agent de la CIA, spécialisée dans les armes de destruction massive. Pourquoi? Pour intimider Wilson et le punir de s'être opposé à Bush. Et, surtout, pour envoyer un avertissement à ceux qui seraient tentés d'en faire autant. L'affaire est d'ampleur car révéler l'identité d'un agent de la CIA est un acte très grave aux yeux de la justice américaine et est passible d'une peine d'emprisonnement de 10 ans.»

La fausse agence de presse. Talon News, soi-disant agence de presse d’allégeance conservatrice, dirigée par Bobby Eberle. La diffusion des textes de Talon s’effectue par GOPUSA, une entreprise dont l’énoncé de mission précise qu’elle vise à propager les idées conservatrices aux États-Unis; son logo représente l’aile droite stylisée d’un aigle en vol; son nom évoque la désignation du Parti républicain (Grand Old Party, GOP). GOPUSA est dirigée elle aussi par Bobby Eberle. Selon une enquête de Media Matters, Talon et GOPUSA sont étroitement liés. Eberle est également un militant républicain du Texas, membre de la coalition chrétienne et du mouvement anti-avortement texans.

Le faux journaliste. Jeff Gannon. C’est en fait le seul journaliste de Talon News qui, autrement, publie des articles de journalistes «bénévoles». Toujours selon Media Matters, ses articles sont toujours favorables à l’administration Bush, ne critiquent jamais ses politiques, et sont parfois même guère plus que des copier/coller de communiqués de la Maison-Blanche. Malgré qu’il soit le seul «journaliste» à l’emploi d’une minuscule agence, Gannon est néanmoins détenteur d’une accréditation de presse officielle de la Maison blanche.

Rejoint par un collaborateur de Fishbowl Washington, le «journaliste» avoue que Jeff Gannon n’est qu’un nom de plume, qu’il n’a pas de formation en journalisme, et qu’avant de travailler pour Talon News il a occupé divers emplois. Il se défend des accusations de copier/coller des communiqués, affirmant que de relayer exactement les points de vue de la Maison-Blanche constitue un service à rendre au public.

Là où toute l’affaire prend sa dimension, c’est que Gannon serait (selon le Washington Post) le seul journaliste a avoir été au courant de l’existence de la note de service confidentielle de la CIA qui liait le choix de l’ambassadeur Wilson pour enquêter sur la filière nigériane de l’uranium au fait que son épouse était un agent de la CIA, spécialisée dans les armes de destruction massive.

SusanG de Daily Kos est sur la piste depuis la semaine dernière. Qu’est-ce au juste que l'agence Talon? Qui est Jeff Gannon, et pourquoi la Maison-Blanche lui a-t-elle accordé une accréditation de presse officielle? Comment Talon et Gannon servent-ils à diffuser l’information de l’administration Bush? Quelle est l’implication du Parti républicain dans cette histoire? Et surtout comment tous ces faits sont-ils liés à la fuite de la note de service de la CIA qui dévoilait l’identité d’une de ses agents?

Daily Kos a mis à contribution ses lecteurs et lectrices pour faire enquête. Le premier billet de SusanG, publié le 28 janvier, a fait l’objet de 555 commentaires, précisions et nouvelles informations qui aident à approfondir l’enquête.

Si vous avez raté le rathergate l’an dernier, ne manquez pas le gannongate qui se déroule en ce moment et qui fera histoire dans les annales du journalisme participatif.

Mise à jour : 2 février

1) Ce matin, le Boston Globe reprend l’affaire dans un article (White House-friendly reporter under scrutiny) signé par deux de ses journalistes, Charlie Savage et Alan Wirzbicki. Faut-il s’étonner qu’on ne mentionne ni le groupe de veille des médias Media Matters, ni le blogue d’actualité politique Daily Kos qui ont été à la source de l’enquête?

2) Hier après-midi, Media Matters nous apprenait que la biographie de Jeff Gannon avait été retirée du site de Talon News. Par contre, elle figure toujours sur le site de GOPUSA et elle contient un lien vers un site Web de Gannon, The Conservative Guy, qui lui a été vidé de tout contenu.

Mise à jour, 6 février :

SusanG poursuit son enquête sur le «faux correspondant» Jeff Gannon : «Derrière Jeff Gannon, ou du moins derrière jeffgannon.com, on trouve des noms de domaines enregistrés au noms de sociétés et de fondations constituant un réseau complexe de sites «couverture» sans contenu, de liens redirigés vers d’autres sites, de demandes de dons par l’intermédiaire du service Paypal, de rhétorique conservatrice enflammée, d’adresses de détenteurs de noms de domaines qui sont des casiers postaux privés dans différents États. Les numéros de téléphone sont hors service, les codes postaux ne correspondent pas aux adresses inscrites, les adresses courriel ne sont pas fonctionnelles.»

Dans les recherches de SusanG et de ses assistants bénévoles sur cet écheveau de sites Web, le fil central semble être la Free Speech Foundation (FSF), un organisme qui dit défendre la liberté d’expression. Pour ce qui est des dons, la FSF précise qu’ils sont déductibles du revenu pour fin d’impôt en vertu de l’article 501(c) (3) de la Loi sur l’impôt des États-Unis. Or, les entités visées par l’article sont les organisme de charité, religieux, éducatifs, littéraires, de bien public, de promotion de compétitions sportives nationales ou internationales, et de prevention de la cruauté envers les animaux.

Et c’est là un autre élément étrange dans l’affaire, la FSP qui aurait pour mission la défense de la liberté d’expression, qui a des activités journalistiques, et qui est reconnue pour celles-ci par la Maison-Blanche, se décrit comme un organisme religieux sans but lucratif.
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