5.9.05

Le choix des mots

Un vent de controverse souffle sur la blogosphère à la suite de la publication la semaine dernière de deux photos prises à la Nouvelle Orléans mardi dernier, 30 août. La première a été prise par Chris Graythen de Getty Images et diffusée par l’AFP. Deux photosElle montre un couple de race blanche marchant dans l’eau, et la légende qui accompagne la photo les décrit comme deux résidants se frayant un chemin dans l’eau à hauteur de poitrine après avoir «trouvé» du pain et des boissons gazeuses dans un marché d’alimentation après le passage de l’ouragan Katrina. La seconde, diffusée le même jour par l’Associated Press montre un jeune homme noir dans la même situation que le couple blanc, lui aussi tant bien que mal tentant de transporter des provisions, et la légende de la photo le décrit comme se frayant un chemin dans l’eau à hauteur de poitrine après avoir «pillé» un marché d’alimentation à la Nouvelle Orléans. Les deux photos sont présentées ici conformément aux dispositions relatives à l’utilisation équitable de la Loi sur le droit d'auteur du Canada.

L’AFP a demandé le retrait de sa photo du couple du site d’actualités de Yahoo! qui a publié un communiqué expliquant la nature de la requête de l’AFP et déclarant regretter que ces photos et leurs légendes respectives, vues simultanément, auraient pu suggérer un préjugé racial. La photo du jeune noir diffusée par l’AP est toujours sur le site de Yahoo!.

Photo Bill FeigLa controverse vient entre autres du blogue politique Daily Kos qui a immédiatement relevé l’incongruité des légendes associées à la sémiologie. Dans le chaos qui sévit à la Nouvelle Orléans, les blancs «trouvent» de la nourriture, alors que les noirs «pillent» des marchés d’alimentation. Une lectrice du blogue ajoute en commentaire une photo au débat, une image saisie par Bill Feig de l’AP où un homme de race blanche «regarde» dans son sac de provisions alors qu’un homme de race noire semble s’enfuir d’un marché. Le blogue Wonkette pour sa part exigeait des excuses de l’AP pour son choix de mots.

Le netmag Salon a communiqué avec les responsables de l’AP, précisant que d’autres images de l’agence contenaient des allusions au pillage dans leurs légendes, mais qu’aucune ne montrait explicitement l’acte de piller. L’AP déclare que les légendes des photos sont écrites après avoir parlé au photographe qui les a prises, et que s’il a vu une situation de pillage, cela explique l’utilisation du mot dans la légende.

Chris Graythen se justifie sur le blogue Pete Flow et décrit les circonstances entourant la photo du couple : des aliments flottaient à la surface de l’eau à proximité d’un marché qui avait été inondé. Puis, dans un courriel au New York Times (relayé par le Hendersonville News, il a dit estimer qu’on ne pouvait qualifier de vol ou de pillage l’action de prendre des choses essentielles à la vie comme de l’eau et de la nourriture. «L’heure n’est pas à juger ceux et celles qui tentent de rester en vie. L’heure n’est pas aux discussions sémantiques sur ce qu’est “trouver” et ce qu’est “voler”. L’heure n’est pas à discuter si c’est une question de noirs et de blancs” écrit-il.

Tricia Wang est une de celles qui a joint sa voix au débat en publiant sur Flickr la juxtaposition des deux photos : «J’ai publié cette photo non pas pour crier au racisme, mais bien parce que je crois que c’est une occasion d’examiner pourquoi on a choisi certains mots et pour voir si la couleur de la peau avait joué un rôle dans ce choix.[...] Il est intéressant de voir dans la juxtaposition des images comment le choix des mots peut grandement influencer la signification d’une image.»

Un autre son cloche dans le débat vient d’un article du quotidien Times-Picayune de la Nouvelle Orléans (qui publie maintenant sur le Web) impliquant certains membres des forces de l’ordre dans le pillage. «Les efforts pour contenir la situation d’urgence provoquée par Katrina ont sombré dans le chaos mardi alors que certains policiers et pompiers se sont joints aux pillards pour vider des magasins. Certains agents ont pris tout ce qu’ils pouvaient, y compris un policier de la Nouvelle Orléans qui a mis un ordinateur portable et un téléviseur à écran plat de 27 pouces dans un panier à provisions.» On ne trouve aucune photo de ces scènes dans les bases de données d’images.
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