24.9.05

RSF et les blogues

Reporters sans frontières (RSF) vient de publier un Guide pratique du blogger et du cyberdissident disponible chez les libraires français (10 euros) depuis le 22 septembre, en téléchargement sans frais (PDF, 1Mo) et aussi en consultation Web par section à la même adresse. Publié avec le soutien du ministère français des Affaires étrangères et de la Caisse des dépôts et consignations, le Guide est disponible en cinq langues (français, anglais, chinois, arabe et persan).

C’est un ouvrage collectif, RSF ayant invité divers acteurs de la mouvance Web pour les diverses sections du Guide qui vont des définitions et lexique, aux méthodes de contournement de censure et de sauvegarde de l’anonymat, en passant par les choix de plate-formes et les méthodes de référencement. S’il y a peu de contenu vraiment original ou inédit, la plupart du contenu existant ailleurs sur le Web, c’est un excellent ouvrage d’introduction à l’univers des blogues et le Guide a le mérite d’avoir rassemblé des éléments épars.

Julien Pain, responsable du bureau Internet et libertés de RSF écrit en introduction : «Dans les pays où la censure est reine, lorsque les médias traditionnels vivent à l’ombre du pouvoir, les bloggers sont souvent les seuls véritables journalistes. Ils sont les seuls à publier une information indépendante, quitte à déplaire à leur gouvernement et parfois au risque de leur liberté. Les exemples de bloggers emprisonnés ou harcelés ne manquent pas.[...] Lorsque produire de l’information est une activité à risques, les bloggers ont tout intérêt à préserver leur anonymat. Car les cyberpolices veillent et sont devenues maître dans l’art d’épier la Toile et débusquer les “trouble-Net”.»

La définition de ce qu’est un blogue, le lexique et la section «Bien choisir son outil» viennent de l’équipe de pointblog, alors que la section sur la création et la mise à jour d’un blogue est une adaptation en français des instructions de la plate-forme Civiblog. La section «Quelle éthique pour les bloggers» est signée par Dan Gillmor, bien connu pour ses interventions en journalisme citoyen, alors que Mark Glaser du Online Journalism Review traite de «Faire sortir son blogue du lot». Quant à «Savoir bien référencer son blog sur les moteurs de recherche», le choix de Olivier Andrieu de Abondance.com pour en décrire les processus est évidemment des plus judicieux.

Jay Rosen de PressThink pour sa part m’a fait sourire quand dans la section des témoignages il écrit : «Lorsque j’ai commencé à me renseigner sur les techniques de blogging, j’ai reçu toutes sortes de réponses. Un des conseils qui m’a été donné était : “Tu dois écrire des ‘posts’ courts”. C’est le bon style, d’après certains. C’est ce qui marche, m’ont dit d’autres. Et surtout cette remarque, la plus suspecte de toutes : c’est ce qu’attendent les lecteurs débordés qui naviguent sur le Web. Ils n’ont pas de temps pour de longues et profondes analyses, ai-je entendu dire. Par tout le monde. Cela m’a rendu méfiant. Je n’avais pas l’intention d’écrire de longs ‘posts’ de 2 000 mots, mais c’est ce qui est arrivé lorsque j’ai essayé d’exprimer dans mes ‘posts’ quelque chose que les autres ne disaient pas.»

J’ai souri parce que certaines personnes m’ont écrit pour me dire que mon billet précédent sur le droit à l’image était trop long... Heureusement que d’autres comme le consultant genevois Laurent Haug comprennent que «1 billet de 10 lignes vaut mieux que 5 billets de 2 lignes... Il faut essayer de regrouper ses dires. Les bloggeurs issus du journalisme comme Manue, Paul Mason ou Jean-Pierre Cloutier ont tendance à fonctionner comme ça, en concevant leurs interventions comme des longs métrages plutôt qu’un zapping de minis sujets.»

Les sections du Guide sur le blogging anonyme, les techniques de contournement de censure et la confidentialité des courriels sont assez approfondis et de bonne facture. En fin de document, RSF reprend ses arguments de documents précédents sur les champions de la censure d’Internet et cite comme tête de liste la Chine, le Viêt-Nam, la Tunisie, l’Iran, Cuba, l’Arabie Saoudite et l’Ouzbékistan.

En ce qui a trait à l’Ouzbékistan, on peut lire «“Il n’existe aucune possibilité de censurer l’Internet du pays”, a déclaré, en juin 2005, le ministre de l’Information ouzbek. Une telle affirmation fait sourire dans un pays où tous les sites d’opposition sont inaccessibles et où les journalistes en ligne sont régulièrement victimes de menaces et d’agressions.»

Précisons ici que le secrétaire-général de Reporters sans frontières, Robert Ménard, a reconnu recevoir des fonds de la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED), une organisation qui relève du State Département étasunien, et dont le rôle principal est de promouvoir l’agenda de la Maison-Blanche à travers le monde. M. Ménard a été très clair sur le sujet : «Absolument, nous recevons de l’argent de la NED. Et cela ne nous pose aucun problème». Voir dans RISAL Reporters sans frontières financé par les États-Unis et le forum du 18/04/2005 sur le site du Nouvel Observateur. Or, la NED est très active en Ouzbékistan ayant fédéré tous les groupes d’opposition. (Voir le site du NED et .) Elle dispose également de programmes pour les autres États censeurs ciblés par RSF.

RSF expliquait en juillet dernier ces contributions. «Nous ne recevons pas d’argent du Département d’État américain, de la CIA ou de la coopération américaine USAID. Les seules subventions que nous percevons en provenance des États-Unis sont celles des fondations Center for a Free Cuba et National Endowment for Democracy (NED). La première nous a accordé, en 2004, une subvention de 50 000 dollars, ce qui représente 1,3 % du budget total de Reporters sans frontières. La NED nous a aidé, pour la première fois en 2005, en nous versant une subvention de 39 900 dollars. Cette somme représente également 1,3 % du budget prévisionnel de l’organisation et n’a donc aucune incidence sur nos prises de position. Il est également important de préciser que la somme allouée par la NED concerne un projet destiné à "soutenir les journalistes arrêtés, emprisonnés ou menacés en Afrique". Ce projet concerne l’Afrique et uniquement l’Afrique.»

Toujours est-il que pour bon nombre, cette association à un organisme politique étasunien détonne.

Pour revenir au Guide, il y aurait aussi un commentaire pertinent à formuler, soit que la menace à la liberté d’expression sur les blogues ne vient pas uniquement des cyberpolices et que des cas récents confirment la complicité des grandes entreprises. Comme le rappelle Lindsay Beck de Reuters, «La "cyber police" chinoise a intensifié ses contrôles sur les cent millions d'internautes du pays, ce qui ne décourage pas les sociétés occidentales spécialisées dans internet d'investir. Selon des observateurs critiques, des sociétés comme Google, Yahoo et Microsoft fermeraient les yeux sur les manoeuvres de la cyber police pour mieux s'installer sur un marché en plein essor, plutôt que de mettre leur influence au service de la liberté d'expression et du droit à l'information.[...] L'espace MSN de Microsoft aurait même censuré de son propre chef des phrases comme "droits de l'homme" ou "indépendance de Taiwan" de ses informations en ligne. Plus récemment Yahoo a été accusé de fournir aux autorités chinoises des données utilisées contre un journaliste, Shi Tao, condamné à 10 ans de prison pour avoir fait circuler par courriel un message interne du parti communiste.»

Dans le cas de Google, selon Carrie Kirby du San Francisco Chronicle, la société aurait exclu de sa version chinoise certaines publications, mais se défend d’avoir agi sous des pressions externes. «Certaines sources ne sont pas inclues parce que les sites sont inaccessibles [Ndb. bloqués par les autorités] et donc ne contribuent pas au service offert à nos utilisateurs en quête d’information» a déclaré Debbie Frost, porte-parole de Google. Tant Yahoo que Google disent se conformer aux lois locales.


Mise à jour 25 septembre 2005


Le ministère chinois de l’Industrie de l’information (eh oui, ils ont un ministère spécifique pour l’«industrie» de l’information) vient de publier conjointement avec le conseil d’État de nouvelles lignes directrices visant à «normaliser la gestion des nouvelles et de l’actualité». En vertu de ces nouvelles règles, un éditeur de nouvelles en ligne devra disposer d’un capital nominal de 10 millions de yuans (1,45 million de $ CAD, 1,02 million d'euros) et doit avoir à son emploi au moins cinq rédacteurs qui possèdent au moins trois ans d’expérience dans des médias traditionnels. Détails dans le Shanghai Daily.
|