25.1.06

Le constat d’échec de Dan Gillmor

Dan GillmorDans Gillmor, que l’histoire des communications retiendra comme un des précurseurs de la vague de journalisme citoyen, dresse un très dur constat d’échec de sa tentative de mettre en pratique les théories de son livre We The Media (voir le billet Nous les médias? du 28 novembre 2004). Il jette donc l’éponge en ce qui a trait à l’expérience Bayosphere, un site qui se voulait pour et par les résidants de la Baie de San Francisco intéressés à la technologie, premier moteur économique de la région, et entend se consacrer désormais au Center for Citizen Media (CCM), un organisme voué à la promotion du concept de journalisme citoyen. Le CCM, encore en voie de structuration, est affilié au Berkeley’s Graduate School of Journalism de l’université de Californie et au Berkman Center for Internet & Society de la faculté de droit de Harvard, et compte sur l’étroite collaboration de noms bien connus en communication (dont Dave Winer, David Weinberger, Doc Searls, Halley Suitt, Jay Rosen, JD Lasica, Jeff Jarvis, Joi Ito, Simon Waldman).

Rappelons brièvement le propos de We The Media. L’évolution de la presse au vingtième siècle a fait en sorte que les grands médias ont agi comme des prédicateurs, que l’information était livrée du haut de la chaire médiatique, et que le public était libre ou non de gober les propos. Ce public avait peu de recours véritables s’il voulait être entendu : écrire une lettre, envoyer une télécopie, laisser un message sur un répondeur, annuler son abonnement, ne plus syntoniser une émission? Pour Gillmor, ce système a engendré un sentiment d’autosatisfaction et d’arrogance chez les journalistes, et s’il a relativement bien fonctionné (du point de vue des médias) pendant des années, il n’est plus viable à long terme. Le journalisme de demain, la diffusion de l’information, s’éloignera du modèle «sermon» et sera davantage une conversation entre producteurs et consommateurs d’information.

Mais voilà que Gillmor et son partenaire Michael Goff ont été forcés de se rendre à l’évidence. Gillmor écrit : «Au cours de l’été dernier, Michael et moi nous sommes rendus compte qu’il était fort peu probable que nous puissions à court terme conclure une entente de diffusion plus large de notre contenu qui justifierait une levée de capital qui irait au delà de la simple mise de fonds initiale. Nous avions des idées d’activités commerciales qui auraient pu attirer du financement, mais elles n’étaient pas principalement axées sur la promotion du journalisme citoyen, ce qui était d’abord et avant tout mon intention. En septembre, nous avons cessé de dépenser l’argent de nos investisseurs pour soutenir Bayosphere, et l’avons fait à nos frais, en y consacrant notre temps.»

Outre l’absence d’un modèle économique viable, d’autres facteurs ont joué dans l’échec de Bayosphere. Par exemple, les journalistes citoyens ont besoin d’encadrement, de motivation et d’orientation, et doivent comprendre clairement ce qu’on attend d’eux, une tâche à laquelle Gillmor avoue avoir échoué. Gillmor estime aussi que les outils de publication sont très importants, mais qu’ils ne sont en aucun cas un substitut à une solide cohésion de l’équipe de collaborateurs. Il n’aurait pas réussi, dit-il humblement, à inspirer cette cohésion. «Cette transformation dans nos modes de communiquer, de collaborer et de s’informer de ce qui se passe autour de nous ne fait que s’amorcer. Je laisse à d’autre la tâche de prédire l’avenir, mais j’ai confiance que collectivement nous trouverons des solutions» conclut-il.

À la lecture de son texte, on sent un homme certes déçu, mais sans amertume, un homme qui endosse la responsabilité de l’échec. Il a tiré de nombreuses leçons de l’expérience Bayosphere, et entend en faire profiter la collectivité grâce au centre qu’il a fondé. À suivre.
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