28.3.06

Temps difficiles pour les journalistes

Et, pourrait-on dire, pour les citoyens, principaux concernés par la chose politique.

Hélène Buzzetti du Devoir écrit qu’à Ottawa, «Le gouvernement conservateur a ouvert les hostilités contre les journalistes parlementaires hier, faisant table rase de trois décennies de cohabitation sur la colline. L'équipe de communications de Stephen Harper a interdit aux reporters l'accès au bureau du premier ministre à l'occasion de deux rencontres officielles et entend désormais organiser des réunions de Cabinet secrètes loin du regard inopportun des caméras. Sans compter qu'elle s'arroge déjà le droit de choisir quels journalistes peuvent poser des questions au premier ministre.» (Voir Rien ne va plus entre Harper et les médias.)

L’agence Presse canadienne évoque aussi l’affaire. «Les services de sécurité de la colline parlementaire ont empêché les journalistes d'assister à deux séances de photos de Stephen Harper, lundi, alors que le bureau du premier ministre se livrait à une démonstration de force auprès des médias. L'affrontement entre les agents de sécurité et les journalistes, devant la porte du bureau de M. Harper, a illustré la détérioration des relations entre un bureau du premier ministre désireux d'avoir le contrôle total de son message, et les médias soucieux de défendre leur accès aux membres du cabinet, obtenu de haute lutte. Les conservateurs menacent même de tenir des réunions du conseil des ministres en secret, et de ne pas diffuser d'informations élémentaires sur les visites de chefs d'Etat et premiers ministres de passage au pays.[...] Quant aux plaintes formulées par les membres de la tribune de la presse parlementaire au sujet des difficultés d'accès aux ministres, [la responsable des communications de M. Harper, Sandra Buckler] a dit: "Je ne crois pas que le Canadien moyen s'en préoccupe, aussi longtemps qu'ils savent que le gouvernement est bien géré."» (Voir Les heurts entre le bureau du premier ministre et les médias s'accentuent.)

Si on parle de transparence et d’ouverture aux médias, la situation n’est guère plus rose à Québec. Le 9 mars, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) émettait un communiqué. «La Fédération professionnelle des journalistes du Québec redemande au premier ministre Jean Charest d'annuler le décret qui met 22 directeurs des communications de ministères et 300 agents d'information sous la coupe de son ministère. Ce décret, loin d'améliorer les communications entre le gouvernement et le public, va les empirer considérablement. Il manifeste sans vergogne que la priorité du parti au pouvoir est avant tout de préserver son image en contrôlant strictement l'information qui émanera de l'État. Mais l'État ne lui appartient pas. Il appartient à tous les citoyens.» (Voir Les communications gouvernementales doivent servir le public, pas le parti au pouvoir.)

Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a aussi demandé le retrait du décret. «En mettant les communications gouvernementales sous le contrôle du pouvoir politique, monsieur Charest prive le public de son droit à une information gouvernementale exempte de partisanerie politique, affirme la présidente du SPGQ, Madame Carole Roberge. Ce décret assujettit le personnel professionnel des directions des communications des ministères au pouvoir politique, au détriment du service à la population, dénonce la présidente du SPGQ. Monsieur Charest devrait plutôt faire le ménage au sein des cabinets politiques pour régler les problèmes de communication de ses ministres sur la place publique. Le personnel des communications doit être à l’abri des intrusions politiques, ajoute-t-elle. Il doit conserver l’indépendance indispensable à l’exercice de sa pratique professionnelle. Comme l’a si bien dit le juge Gomery, “il faut donner aux fonctionnaires le pouvoir de dire non à toute influence politique”. “À moins que le Conseil des ministres n’en décide autrement, le décret fait en sorte que ce personnel ne sera plus syndiqué, lui enlevant ainsi le rempart essentiel contre l’arbitraire et les pressions politiques”, déplore la présidente.» (Voir Le SPGQ, appuyé par la FNC et le SCFP, réclame le retrait du décret.)

Professeur titulaire de l'École nationale d'administration publique (ENAP) et un des grands spécialistes canadiens en marketing et information gouvernementale, Robert Bernier a estimé que «la décision gouvernementale “pavait la voie à la propagande politique. La séparation entre le politique et l'administratif est l'un des éléments dominants du processus démocratique”[...] M. Bernier a aussi indiqué que ses analyses lui permettent d'affirmer que Communications Québec est un des réseau d'information gouvernementale les plus performants et les plus crédibles au Canada, supérieur à celui des autres provinces et à celui du gouvernement fédéral.»

On comprend que les politiciens soient souvent ennuyés par les journalistes, mais constatons ici un contraste entre Charest et Harper.

Dans le cas de Charest, «La couverture médiatique du premier ministre Jean Charest ne cesse de baisser depuis son arrivée au pouvoir en 2003, indique une analyse publiée jeudi.[...] Les données de la firme de recherche Influence Communication montrent que depuis les élections de 2003, l'attention médias a décliné régulièrement et le ton de la couverture a chuté de façon draconienne. À titre d'exemple, M. Charest se retrouve en sixième position dans la liste des personnalités les plus citées au Québec en 2005, derrière John Gomery, Jean Brault, Paul Martin, Jean Chrétien et Charles Guité, tous des acteurs de l'enquête sur le scandale des commandites.[...] Le "poids média" du premier ministre Charest (le nombre de mentions à son sujet comparé à l'ensemble des nouvelles au Québec) a cependant dégringolé de 2003 à 2006, passant de 2,31 pour cent à 0,68 pour cent; en 2005, ce poids était de 1,5 pour cent. La couverture médiatique "positive" de M. Charest a également reculé de 16 pour cent à 0,2 pour cent cette année et à 0,21 pour cent en 2005, conclut l'analyse.» (Voir La couverture médiatique de Jean Charest ne cesse de baisser.)

En revanche, dans le cas de Harper, le durcissement envers les journalistes survient au moment où «Le taux de satisfaction à l’égard du gouvernement conservateur de Stephen Harper a encore augmenté. Il était de 62 % la semaine dernière dans l’ensemble du pays, et même de 68 % au Québec : un score presque aussi élevé qu’en Alberta et dans les Maritimes, selon Ipsos-Reid...» (Voir Harper : une vraie lune de miel.)

C’est peut-être que les politiciens ont toujours envie de se débarrasser des journalistes, que les choses aillent bien ou mal?
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