27.4.06

Blogues et militantisme

Crashing the GateHier matin, alors que je complétais mes notes de présentation pour la soirée des Grands communicateurs, la postière m’a livré un petit colis, un livre en fait, Crashing the Gate: Netroots, Grassroots and the Rise of People-Powered Politics. de Jerome Armstrong et Markos Moulitsas Zúniga. Armstrong est le fondateur d’un des premiers blogues politiques aux États-Unis (2001), MyDD (My Direct Democracy), principal stratège Internet de la campagne du candidat à l’investiture démocrate pour la présidentielle étasunienne de 2004 (voir Politique réseau : Le «two-step flow» de Howard Dean), et associé principal du cabinet conseil Netroots. Zúniga est l'initiateur du blogue politique Daily Kos, créé en mai 2002 et dont l’achalandage oscille à environ un million de consultations par jour.

Évidemment je n'ai eu le temps de lire que quelques extraits de Crashing the Gate, mais suffisamment pour dégager la trame de fond, soit que la blogosphère étasunienne influence le débat politique au sein du parti démocrate, mais que l’issue de cette intervention n’est pas encore déterminée.

D’une part, certains politiciens démocrates considèrent les blogueurs politiques comme des amateurs mal informés des véritables enjeux et des rouages politiques. Ils sont un peu embarrassés par ce militantisme sur lequel ils n’ont aucun pouvoir direct. D’autres (et ici on a envie d’inclure certains journalistes) les perçoivent comme une menace à leur chasse gardée. Les auteurs soumettent que ni les uns, ni les autres ne peuvent ignorer les blogues qui influenceront le débat politique d’une manière ou d’une autre.

Dans un contexte de politique canadienne ou québécoise, il y a peut-être une analogie à tirer du fait que le militantisme citoyen dont traite Crashing the Gate concerne le parti démocrate, un parti qui est actuellement dans l’opposition. Pour les auteurs, il y a quelque chose de brisé dans l’appareil du parti. Le militantisme sur Internet peut avoir deux effets : il peut ou bien servir d’antidote à ces problèmes, ou bien mener bataille contre cette «mécanique dysfonctionnelle». Ce n’est certes pas un facteur à ignorer, et les républicains, eux, l’ont compris (voir États-Unis : Blogues et politique).

J’ajouterais que contrairement aux États-Unis, où la politique est dominée par deux partis, le multipartisme canadien et québécois, à défaut de représentation proportionnelle, se prête à toutes sortes d’équations et scénarios possibles.

J’avais encore ces bribes de lectures à l’esprit quand hier soir, à la fin de ma présentation, on m’a posé une question sur l’état de la blogosphère au Québec. Question difficile. On ne dispose d’aucune donnée sur le nombre réel de blogues au Québec, le nombre réel de blogues dits «actifs» (fréquemment mis à jour), les champs d’intérêt, l’achalandage de l’ensemble de ces blogues, le temps consacré à leur lecture, etc.

J’avais aussi à l’esprit le billet de Mario Asselin Après le buzz du blogue : «J’ai pu prendre au vol la chronique de Nicolas Langelier cette semaine à “Indicatif Présent” qui parlait de notre “soif d’information” et il m’est venu cette idée (pas très originale, je l’admets) que le buzz du blogue tirait peut-être à sa fin, pas parce qu’on va cesser d’en parler, mais peut-être qu’on est sur le point d’en entendre parler différemment, d’une façon plus qualitative, avec moins de prétention à l’effet qu’on serait les témoins du développement d’un phénomène, mais plutôt qu’on apprendrait vraiment à FAIRE AVEC.[...] Je me goure peut-être. Ça fait quatre ans que je pratique; je ne suis plus certain d’avoir le recul nécessaire pour être bon juge vers où ça s’en va… Qu’est qu’il y a après le buzz?»

La question que pose Mario est très pertinente, et le mot «faire» prend toute sa dimension. C’est à se demander si au Québec on regardera passer le défilé sans y participer, où s’il y aura émergence d’un militantisme qui interviendra, par les méthodes et outils décrits dans Crashing the Gate, dans l’arène politicienne et citoyenne.
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