10.6.06

Internet à deux vitesses

J’ai déjà commenté la chose dans le JdM du 1er juin à l’invitation du confrère Codère, mais depuis hier la menace d’un Internet à deux vitesses se précise.

Un bon résumé chez Futura Sciences : «Après une journée de débats et malgré le lobbying de Google, Amazon, eBay ou de personnalités comme Vinton Cerf, la chambre des représentants du Parlement américain vient de rejeter, à 269 voix contre 152, un amendement démocrate de la loi COPE (Communications Opportunity, Promotion, and Enhancement) visant à défendre le concept de "neutralité du net".»

En vertu de cette loi, il serait permis aux opérateurs des dorsales de transmission de données de mettre en place une infrastructure double, soit des voies rapides payantes pour certains contenus, puis des voies «ordinaires» pour le reste. Il reste une seule possibilité d’éviter cette fracture des services, soit que le Sénat qui doit se pencher sur ce projet de loi rejette la séparation des services, ce qui n’est pas acquis.

Ces dispositions législatives pour permettre un service à deux vitesses ont été suggérées par de grands opérateurs comme AT&T, Bell South et Verizon Communications qui souhaitent offrir des services à très large bande à des entreprises prête à verser une «prime vitesse», ce qui disent-ils leur permettrait un meilleur rendement sur le capital investi et pourrait en bout de ligne signifier des baisses de tarifs pour les usagers ordinaires, mais ces arguments contredisent un des principes fondateurs du réseau, l’universalité du service.

Il importe de connaître le fonctionnement de la transmissions de données dans Internet pour comprendre les enjeux. Les contenus transmis dans Internet sont découpés en paquets qui sont acheminés individuellement, peuvent emprunter des routes différentes, et sont ensuite réassemblés à leur point de destination. On peut se brancher à Internet par ligne commutée, pas ligne numérique à paire asymétrique (LNPS ou en anglais digital subscriber ligne, DSL), par câble, par satellite, à des débits de connexion différents et à des tarifs différents. Mais pour ce qui est des contenus qui circulent dans Internet, il n’y a aucune discrimination. Et c’est justement cette universalité du service qui est menacée car les opérateurs de grandes dorsales peuvent identifier différentes catégories de paquets véhiculés sur leurs réseaux, et attribuer une certaine priorité à certains paquets au détriment d’autres paquets. (Voir Nuts and Bolts of Network Discrimination, partie 1 et partie 2 de Ed Felten).

Le 2 mai dernier, l’inventeur du Web Tim Berners-Lee écrivait : «Il est de la plus grande importance que si je me branche à Internet, et que si vous vous branchez à Internet, nous puissions utiliser n’importe quelle application sans égard à qui nous sommes et indifféremment à l’utilisation que nous en faisons.[...] Nous pouvons payer pour diverses qualité de service. Nous pouvons payer pour un service qui se prête à l’audio ou à la vidéo, mais nous payons pour nous brancher à Internet. Personne ne peut payer pour avoir un accès exclusif à moi.» (Voir Neutrality of the Net).

Évidemment, des groupes d’utilisateurs se sont formés pour dénoncer la tentative des opérateurs de dorsales de fractionner Internet et exercer des pressions sur les élus, notamment Save the Internet et It’s Our Net. Pour sa part, la fondatrice du populaire site de vente en ligne eBay, Meg Whitman, invite les millions d’inscrits à ce site à écrire aux députés et sénateurs étasuniens pour se faire entendre.

Une autre histoire à suivre.
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