1.8.06

Mémoire et Racines 2006

C’est en fin de semaine dernière que se tenait à Saint-Charles Borromée (Joliette) la douzième édition du festival Mémoire et Racines consacré à la musique traditionnelle, mais qui fait aussi une belle place au conte et à la danse.  Quelques groupes vus et entendus.

Yves LambertUn nouveau groupe pour Yves Lambert, le Bébert Orchestra composé de Olivier Rondeau (guitares, voix), Nicolas Pellerin (violon, podorythmie, voix), Benoît Dufresne (contrebasse, basse électrique, et Tommy Gauthier (violon, bouzouki, mandoline, voix).  On ne présente plus Lambert, figure de proue pendant des années du groupe la Bottine Souriante qu’il a quitté il y a environ trois ans.  Toujours aussi mordant dans ses propos d’introduction, l’homme représente une des valeurs les plus sûres du «trad» au Québec.  Avec le Bébert Orchestra il interprète quelques classiques du répertoire traditionnel ainsi que quelques-unes de ses récentes compositions, mais évite de reprendre certaines chansons de l’époque de la Bottine ce qui en a déçu quelques-uns.  «Une entente entre amis...» expliquera-t-il laconiquement à un festivalier qui lui demandait de chanter Lucifer.  Sur le plan musical, le Bébert Orchestra s’écarte du style «fusion» qui caractérisait la Bottine et adopte une approche «trad» plus classique.  À voir pour les fans du style Lambert, en tournée un peu partout au Québec au cours des prochaines semaines.

Tommy GauthierSi Tommy Gauthier participe aux prestations du Bébert Orchestra, il est également membre du groupe Matapat (le «t» final est prononcé) fondé en 1997 et dont on entend de plus en plus parler depuis un certain temps.  Les multi-instrumentistes Simon Lepage et Gaston Bernard mettent aussi à contribution le percussionniste et podorythmiste François Guindon et Tommy Gauthier pour présenter leur répertoire «trad» légèrement métissé de jazz et de musique du monde.  L’amalgame est plus qu’intéressant, subtil, voire discret ce qui n’enlève rien à la solidité de l’interprétation.  Le dénominateur commun entre le Bébert Orchestra et Matapat est sans contredit Tommy Gauthier qui a énormément évolué depuis qu’il était membre des groupes Sortilège puis Karma.  Gauthier a toujours joué avec brio, il a maintenant gagné en assurance ce qui n’a rien pour nuire à la forte cohésion empreinte de complicité de Matapat. 

Antoine QuitishIrinatikw en langue autochtone atikamekw signifie «érable».  C’est aussi le nom d’un groupe de trois musiciens autochtones de Manawan (nord Lanaudière) qui ont offert quelques spectacles pendant les trois jours du festival.  C’était la première présence à Mémoire et Racines d’un groupe autochtone, et non la dernière si on en croit les organisateurs.  Outre une performance musicale bien sentie, notamment celle du violoniste Antoine Quitish dans des pièces «trad» adaptées au répertoire traditionnel atikamekw, leur présence a servi à nous informer sur la nation Atikamekw, sa langue, et son partage du français.

GenticorumC’est au groupe Genticorum qu’est revenu l’honneur de présenter le spectacle de clôture du festival.  Genticorum, c’est Alexandre De Grosbois-Garand (voix, flûte traversière, basse), Yann Falquet (voix, guimbarde, guitare) et Pascal Gemme (voix, violon, podorythmie).  Créé en 2000, le groupe a deux disques à son actif et se produit régulièrement en province dans des festivals et veillées de danse.  Là encore, une performance solide empreinte de virtuosité pour livrer tant des compositions que des interprétations de thèmes traditionnels légèrement métissés.  Ceux et celles qui s’intéressent au «trad» depuis quelques années sont à même de constater que des groupes comme Matapat, Genticorum et d’autres ont maintenant atteint un stade de maturité, ce qui n’a rien pour déplaire au public et aux amateurs de «trad». 

JammeuseMémoire et Racines permet de voir plusieurs bons spectacles étalés sur trois jours au site du festival (il y avait pour la première fois cette année une programmation dite «centre-ville» les 26 et 27 juillet), c’est aussi l’occasion pour les amateurs de ce genre de musique et les habitués du festival de se rencontrer, d’échanger, de jouer ensemble et de discuter.  On a toutefois noté moins de ces séances improvisées, de ces jams entre festivaliers qui apportent leurs instruments sur place.  Moins de présence aussi des vieux routiers du «trad» de qui jeunes et moins jeunes viennent apprendre, exception faite de Jean-Paul Guimond, encyclopédie vivante de la chanson à répondre québécoise.  «Il y a des années comme ça» dira un habitué.  Pour un autre, le «trad» se dénature et se dilue de son essence à cause du métissage et de la tendance «fusion» à d’autres genres.  C’est un débat qui a cours depuis des années au Québec, à savoir s’il faut privilégier l’approche puriste à la musique traditionnelle, ou s’il ne convient pas plutôt de l’assaisonner de rythmes et de sonorités empruntées à d’autres genres musicaux ou d’autres cultures pour élargir le public.

DiversitéIl est indéniable que bon nombre d’amateurs actuels de musique traditionnelle ont d’abord été attirés vers le genre par le style fusion de la Bottine Souriante pour ensuite découvrir et apprécier les classiques du «trad».  Faudrait-il pour autant que Mémoire et Racines se concentre sur le courant puriste et néglige le courant fusion comme certains le croient, ou tente un exercice d’équilibre délicat pour chercher à répondre aux attentes de ces deux marchés, voire à élargir sa clientèle? Je crois que se concentrer sur l’un ou l’autre de ces courants reviendrait à limiter l’offre de belles et bonnes prestations dans un esprit de diversité.  Sans être un inconditionnel du style pur ou fusion, il y a énormément d’artistes et de groupes de grande valeur évoluant dans ces deux genres qui gagnent à être connus, mais encore faut-il en avoir l’occasion, ce qu’offre Mémoire et Racines dans un sain esprit de diversité.  (Photo de Mychelle Tremblay : Olivier Rondeau, Yves Lambert, Kuljit Sodhi.)
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