29.12.06

Casser du sucre

La langue française recèle de nombreuses et savoureuses expressions. Prenons celle-ci par exemple, «casser du sucre sur le dos de quelqu’un» qui signifie critiquer, calomnier ou médire. On en trouve sur le site de Linternaute Magazine l’origine : «Cette expression semble dater de 1868. Le verbe "casser" montre bien la notion de destruction, physique ou orale, d’une personne ou d’une chose. En argot, "sucrer" signifiait à cette époque "maltraiter". On disait également dès le XVIIe siècle "se sucrer de quelqu’un", pour "le prendre pour un idiot". "Casser du sucre" revient donc à "dire des ragots". Quant à la notion de "dos", elle symbolise la responsabilité d’une personne.»

Ou pourrait-on dire également d’une collectivité.

Parmi les souhaits pour l’année qui vient, j’aimerais bien qu’on cesse de nous casser du sucre sur notre dos à nous, les Québécois et Québécoises.

Disons que ça a commencé l’an dernier avec la publication du Manifeste pour un Québec lucide dans lequel les auteurs écrivaient : «Nous sommes inquiets. Inquiets pour le Québec que nous aimons. Inquiets pour notre peuple qui a survécu contre vents et marées, mais qui ne semble pas conscient des écueils qui menacent aujourd'hui son avenir.[...] Nous ne sommes pas les premiers à tenter d'alerter nos concitoyens. Malheureusement, la plupart des Québécois continuent de nier ou d'ignorer le danger. D'où notre profonde inquiétude.»

Sans nier certaines des affirmations contenues dans ce manifeste ou ignorer les réalités qui y sont décrites, beaucoup ont perçu le texte comme offensant. Autrement dit, nous serions une belle bande d’inconscients.

La riposte est venue du Manifeste pour un Québec solidaire dont les auteurs disaient : «Nous concédons que certains des enjeux soulevés sont bien réels. Pensons aux difficultés causées par les échanges commerciaux avec l’Asie. Ces difficultés sont en grande partie liées aux logiques de concurrence, de croissance illimitée et d’affrontement commercial, provenant des politiques d’ouverture des marchés mises en place dans les dernières décennies et renforcées par des dirigeants politiques, incluant Lucien Bouchard quand il était premier ministre du Québec.[...] Nous appelons nos concitoyens et concitoyennes à prendre le relais de ce manifeste Pour un Québec solidaire. Il est important de souligner à tous ceux et celles qui s’interrogent sur l’avenir de notre société que la soumission aux impératifs économiques d'un libre marché sans contrainte est un credo conservateur et souvent individualiste qui ne répond pas à nos aspirations individuelles et collectives.»

Ici, pour bon nombre, l’affirmation à peine voilée voulait que nous soyons pour la plupart des égoïstes et des autocentriques et ne manifestent pas suffisamment de solidarité.

On était donc maintenant une belle bande d’inconscients, et égoïstes en plus.

Lucien Bouchard, ex-premier ministre, en a rajouté en octobre dernier dans une entrevue à la chaîne TVA : «On ne travaille pas assez. On travaille moins que les Ontariens, infiniment moins que les Américains! Il faut qu'on travaille plus.[...] Il y a un certain désarroi, un certain surplace. C'est un confort qui est dangereux parce qu'il nous réserve des lendemains qui ne seront pas confortables, qui vont être très, très difficiles.»

Donc, une belle bande d’inconscients, égoïstes et paresseux.

En novembre, c’est la Coalition pour la protection des investisseurs qui ajoute un grain de sel au sucre. «Une coalition nationale veut remettre l'épargne au centre des préoccupations des Québécois.[...] Tout comme l'infrastructure routière en déroute, l'ossature de l'épargne et de l'investissement au Québec donne l'impression de se désagréger de jour en jour dans un climat général de laisser-faire et de nids-de-poule.[...] Les consommateurs se sentent mieux protégés et semblent plus satisfaits en achetant des objets de consommation courante - lecteurs MP3, consoles de jeux, aspirateurs électriques ou abonnements de magazines - qu'en investissant leurs dollars durement gagnés dans des fonds collectifs, des caisses de retraites ou des régimes d'épargne-retraite.»

Inconscients, égoïstes, paresseux et dissipateurs.

Arrive le temps des Fêtes et les nombreuses sollicitations d’organismes de charité. À propos d’une enquête nord-américaine menée par un organisme de recherche sur l’indice de générosité, on lit dans Le Devoir : «Selon l'indice de générosité de l'Institut Fraser, le Québec est en queue de peloton, bon dernier de tous les États et provinces d'Amérique du Nord. Le don moyen au Québec en 2005 (532 $ par habitant) était moins de la moitié de la moyenne canadienne (1165 $) et plus de huit fois moins qu'aux États-Unis (4288 $). Les explications traditionnelles de revenus plus bas et de taux d'imposition plus élevés ne tiennent pas : le Manitoba est la province la plus généreuse pour ses dons en matière de pourcentage du revenu (0,99 %, soit 1308 $). Et les gens les plus taxés au monde (les Danois, les Suédois et les Norvégiens, qui paient jusqu'à 70 % d'impôts!) sont aussi parmi les plus généreux.»

Inconscients, égoïstes, paresseux, dissipateurs et pingres.

Et pour terminer l’année en beauté, un sondage : «Le tumulte de l’accommodement raisonnable aura marqué l’année 2006 au Québec. Les résultats d’un sondage SOM-La Presse-Le Soleil le démontrent sans équivoque : près de six Québécois sur 10 (58,6 %) estiment que la société est trop tolérante en la matière.[...] Fait encore plus remarquable, le nombre de répondants estimant que la société québécoise est trop tolérante augmente en fonction du revenu et du niveau de scolarité.[...] Si les diplômés universitaires sont plus nombreux à dire que la société est trop tolérante envers les questions d’accommodements raisonnables que les personnes sans diplôme (64,2 % contre 55,4 %), c’est parce qu’ils saisissent l’importance de la laïcisation des institutions au Québec depuis la Révolution tranquille.[...] Par ailleurs, les résultats de l’enquête vont dans le même sens qu’un sondage Ekos-La Presse-Toronto Star réalisé en septembre dernier et faisant le constat que les habitants du Québec étaient moins ouverts que ceux du reste du Canada aux signes religieux. Ainsi, 62 % des répondants du Canada anglais se disaient alors contre le port du kirpan, comparativement à 77 % des personnes interrogées au Québec.»

Inconscients, égoïstes, paresseux, dissipateurs, pingres et intolérants.

Et c’est sans compter Barbara Kay et Jan Wong...

Ras-le-bol, vraiment.
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