31.1.07

La blogosphère selon Keren

En octobre dernier, Michael Keren a publié sous le titre faussement prometteur Blogosphere: The New Political Arena (Blogosphère : La nouvelle arène politique).  Keren travaille à la chaire en communication, culture et société civile de l’université de Calgary et est actuellement professeur invité à l’université de Haïfa (Israël).  Il a obtenu un baccalauréat en philosophie et science politique à l’université hébraïque de Jérusalem, et un doctorat en science politique de l’université du Minnesota. 

BlogosphereJe n’ai pas lu l’ouvrage de Keren qui, disons-le, est passé largement inaperçu lors de sa publication.  Peut-être le prix de 80 $ pour l’édition en couverture rigide (26,95 $ en couverture papier) en a-t-il rebuté plusieurs.  Puis, il y a cette affreuse couverture qui assimile les blogueurs à des extra-terrestres.  Selon la notice de l’éditeur, Keren examine les blogues de neuf particuliers issus de divers continents et cultures et tente une analyse de la blogosphère, cette nouvelle arène publique virtuelle du 21e siècle qui transforme les structures traditionnelles des médias et de la politique. 

Mais ça se corse.  Cette nouvelle arène politique se caractériserait par une nouvelle émancipation et un sens profond de mélancolie et d’isolement.  Cette analyse de la blogosphère met en lumière les forces profondes qui opèrent dans le paysage politique actuel, soit l’apathie envers la chose politique, la résistance à la mondialisation, et une quête de rédemption par divers fondamentalismes religieux et par le terrorisme.  Rien de moins.

Si Keren soutient la comparaison entre blogueurs et terroristes, c’est qu’il affirme que bien que les méthodes préconisées par les deux groupes soient différentes, elles représentent une tendance à la diversion par des citoyens désenchantés des normes de la société civile vers un monde de fantasme dans lequel l’utilisation excessive des mots (ou des bombes) ferait en sorte que tout le monde écoute.

Michael KerenL’auteur rencontrait cette semaine un petit groupe de journalistes et y est allé d’autres déclarations qui laissent perplexe.  «Les blogueurs se considèrent comme des rebelles contestant la société traditionnelle, mais cette rébellion est principalement confinée au cyberespace, ce qui rend l’action de bloguer aussi mélancolique et illusoire que le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent.  Dans cet univers des blogues que le monde entier peut lire, il se crée des attentes personnelles face à un lectorat qui ne sera tout simplement pas au rendez-vous pour les millions de blogueurs qui expriment leurs émotions.  Bon nombre sont comme le père McKenzie dans la chanson des Beatles Eleanor Rigby qui écrit un sermon que personne n’entendra.» (Voir Calgary author says bloggers a lonely bunch unlikely to change the world, Canadian Press, 30 janvier 2007.)

Les déclarations de Keren commencent à faire l'objet de commentaires par...  les blogueurs.  Ryan Anderson résume très bien les réactions.  Il écrit que les neuf blogueurs suivis par l’auteur aux fins d’écriture de son livre décrivent leur vie quotidienne dans ses moindres détails.  «Mais appliquer cette typologie de blogueur au reste de la blogosphère est non seulement ridicule, mais c’est irresponsable sur le plan de la recherche.  Sa description de ces blogueurs comme des êtres moroses et isolés peut être exacte, mais son échantillon n’a aucune valeur statistique et ne peut être extrapolé à l’ensemble de la blogosphère (qui est, rappelons-le, le titre du livre).» (Voir All the Lonely People, Ryan Anderson, 30 janvier 2007.)

Dans son édition du printemps 2005 (vol.7, no.3) le Journal of Military and Strategic Studies publiait un article de Michael Keren sous le titre Narrative and Image in the Commemoration of War: The Blog of L.T. Smash (Mémoire narrative et imagée de la guerre : Le blogue de L.T. Smash).  Son article était basé sur une analyse du blogue d’un militaire étasunien posté en Irak, L.T. Smash, qui incidemment est toujours en Irak et continue d’alimenter son blogue.

Dans cet article, loin de considérer L.T. Smash comme un être morose ou isolé, Keren écrivait : «En suivant le journal en ligne d’un soldat déployé en Irak, nous avons été exposés à des événements imbriqués dans le temps et la réalité.  Le narratif soutenu par L.T. Smash semble très près de la réalité d’un militaire si ce n’est que sa routine quotidienne est relatée avec grand détail.  Jamais auparavant n’avons nous eu accès en temps réel aux pensées, aux émotions et aux actions d’un soldat au combat.»

Étrange comment certains universitaires ont le don de s’adapter au gré des vents et des circonstances.  Bon, ça suffit, je dois aller démolir quelques moulins à vents avec un groupe d’amis, juste pour rire.  À bientôt.
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