5.1.07

L’AEI et sa solution pour l’Irak

On est toujours dans l’attente d’un discours majeur de George W.  Bush qu’il doit livrer la semaine prochaine et dans lequel il exposera sa nouvelle stratégie pour l’Irak.  Ce matin, Libération résume bien les préparatifs de la Maison blanche à cet égard : «A l'orée d'un changement attendu de la politique américaine en Irak, George W. Bush opte pour le grand remaniement.  Alors qu'il devrait nommer vendredi l'actuel chef du renseignement national américain, John Negroponte, au poste d'adjoint de la chef de la diplomatie Condoleezza Rice, la chaîne de télévision ABC a également révélé que tout le commandement militaire sur le terrain allait être remplacé.» (Voir USA : grand remaniement avant une «nouvelle» politique irakienne, Libération, 5 janvier 2007).

Quelle sera la teneur de cette nouvelle politique irakienne?

On sait l’influence qu’exerce l’American Enterprise Institute (AEI) sur les politiciens conservateurs aux États-Unis, et qu’elle proposait le renversement du régime de Saddam Hussein depuis 1998.  (Voir Chalabi et la filière iranienne, 23 mai 2004).

On sait qu’elle compte plus de 75 universitaires et membres associés, dont le Canadien David Frum (ex journaliste du National Post et rédacteur des discours de George W.), Michael Ledeen (ex conseiller en matière de défense et de sécurité au cours du premier mandat de George W. et un des artisans de la politique de «guerre au terrorisme»), Roger Noriega (ex secrétaire d’État adjoint pour les Amériques et cerveau des interventions étasuniennes en Amérique latine de 2003 à 2005), et Richard Perle (ex conseiller de George W. en matière de défense et de sécurité).

En fait, cette influence sur les milieux de pouvoir est telle que dans le passé, il suffisait de lire les études et les documents produits par l’AEI pour prévoir quelles seraient les orientations futures de la Maison blanche.

Or, ce vendredi 5 janvier, l’AEI tient une conférence sous le thème Iraq: A Turning Point (Un point tournant pour l’Irak).  À cette occasion, Frederick W.  Kagan (historien militaire et ex professeur à l’académie militaire de West Point) présentera une version approfondie d’une analyse déjà publiée le 14 décembre dernier intitulée Choosing Victory: A Plan for Success in Iraq (Choisir la victoire : Un plan pour réussir en Irak).

Le plan repose sur un constat évident : «La situation en Irak a atteint un point critique.  La stratégie consistant à miser sur un processus politique pour mater l’insurrection a échoué.  La violence sectaire qui ne cesse de s’amplifier risque de briser la volonté des États-Unis de se battre.  Si elle n’est pas rapidement jugulée, cette violence détruira le gouvernement, les forces armées et la population d’Irak.»

Kagan estime que la victoire en Irak est toujours possible, et ce à un degré «acceptable» d’effort (acceptable level of effort), mais qu’il faut adopter une nouvelle approche rapidement et de manière résolue.

Le chercheur passe en revue trois solutions envisagées jusqu’à présent. 

Se retirer immédiatement : le retrait immédiat signifierait la défaite immédiate, l’effondrement des forces armées et de police irakiennes tributaires des États-Unis pour leur maintien, et plongerait le pays dans une guerre civile totale qui risquerait de se répandre dans toute la région.

S’en prendre aux États voisins : une approche vouée à l’échec car les belligérants des deux côtés sont Irakiens, et que si certains États voisins encouragent la violence, ils ne pourraient y mettre un terme.

Augmenter le nombre de formateurs militaires et policiers : cette approche ne peut pas être mise en oeuvre assez rapidement pour éviter la défaite. 

Il faut donc, toujours selon Kagan, adopter une stratégie en cinq points.

Accorder la priorité non pas à la formation des militaires et policiers irakiens, mais à la protection des populations civiles, ce qui n’a jamais été prioritaire pour les forces d’occupation étasuniennes.

Appuyer cet objectif par l’envoi de troupes supplémentaires principalement déployées à Bagdad.  Kagan évoque l’envoi d’au moins sept brigades (une brigade compte entre 1 500 et 3 200 militaires), une force nécessaire, possible et suffisante selon lui.

Adjoindre ces forces à des unités irakiennes et procéder au «nettoyage» des quartiers où s’affrontent les belligérants sunnites et chiites, principalement dans la zone ouest de Bagdad.

Assurer, une fois ces quartiers «nettoyés», le maintien de la sécurité grâce à la présence d’unités militaires étasuniennes et irakiennes.

Travailler alors avec des cadres civils irakiens au retour à la vie normale et au renforcement du gouvernement en déployant l’aide à la reconstruction.

Cette stratégie nécessite néanmoins ce que Kagan appelle un «engagement national» à l'emporter en Irak qui s’articule autour de quatre conditions, et c’est là qu’on pourra voir la semaine prochaine si George W. Bush est toujours à l’écoute de ses conseillers néo-conservateurs.

Les forces étasuniennes sur le terrain doivent accepter des périodes de service plus longues, et il faudra mettre à contribution un plus grand nombre d'unités de la garde nationale des États-Unis.

Il faut surmonter les pénuries de matériel en transférant celui dont disposent les unités non déployées des forces régulières, de la garde nationale et des unités de réserve.  Il faut également mobiliser d’urgence le complexe industrialo-militaire pour assurer le remplacement du matériel.

Le président doit demander un accroissement des sommes destinées à la reconstruction, et établir un cadre de responsabilisation pour l’utilisation de ces fonds.

Enfin, le président doit demander une augmentation substantielle des effectifs sur le terrain, ce qui rehausserait le moral des troupes déjà déployées sachant que des renforts arriveront.  Le président doit lancer un appel personnel aux jeunes étasuniens pour qu’ils joignent les rangs des forces armées à cette étape décisive du conflit.

Toutefois, l’arrivée au pouvoir des parlementaires démocrates qui exigent un retrait de l’Irak risque bien de compliquer la mise en oeuvre de tels plans de sortie de crise pour l’administration Bush.

Comme l’écrit Geoff Elliott, correspondant à Washington du quotidien The Australian, «Il semble assuré que M.  Bush s’en tiendra à son credo selon lequel l’Irak est le front principal de la guerre au terrorisme et qu’il ignorera les appels des démocrates et de certains républicains pour un “retrait responsable” d’Irak.  “Il incombe au président de formuler un nouveau plan qui fasse comprendre aux Irakiens qu’ils doivent défendre leurs rues et leur sécurité” a déclaré Madame Pelosi [Ndb.  leader démocrate au Congrès], un plan qui favorise la stabilité dans la région et qui nous permette de redéployer nos troupes de manière responsable.» (Voir Pelosi takes gavel amid Iraq split, The Australian, 6 janvier 2007.)

Thomas Mann, analyste politique à la cellule de réflexion Brookings Institute, voit poindre un affrontement.  «La décision du président Bush d’augmenter l’effectif militaire en Irak sera très impopulaire tant dans la population qu’au Congrès.  Ces luttes politiques sont susceptibles de diminuer toute chance de collaboration bipartite sur des questions intérieures.»

Et les enjeux de politique intérieure sont nombreux comme le signale Carl Hulse du New York Times.  Une partie de l’électorat qui a voté pour les démocrates favorisait une plus grande sécurité économique pour les démunis, une hausse du salaire minimum, un examen de la recherche sur les cellules souches, une aide accrue aux étudiants des classes moyennes, l’abolition des coupures de taxes aux classes aisées.  (Voir New Majority’s Choice: Should G.O.P.  Policies Be Reversed?, New York Times, 4 janvier 2007.)

Il est donc évident que quelqu’un devra céder.  Reste à savoir qui, et quelles politiques serviront de monnaie d’échange.
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