Entrevue accordée à François Lemelin, rédacteur en chef de L'Album, publication officielle du Club Macintosh de Québec, numéro d'automne 1997. L'entrevue a été accordée au début d'octobre 1997, soit deux semaines avant l'interruption des Chroniques de Cybérie.


FL
Avant internet il y avait les services en ligne et avant les BBS et au tout début l'ordinateur personnel.  Comment s'est faite pour vous la découverte de l'ordinateur, de la télématique et de l'internet? 

JPC
En 1980, j'étais réalisateur à la télévision de Radio-Canada, au service de l'information.  J'ai fait partie de l'équipe qui a réalisé la soirée des élections fédérales, puis la soirée du référendum.  Comme on le sait, l'affichage à l'écran des résultats, les projections par comtés, les notes de recherche des commentateurs et analystes en ondes étaient déjà informatisés.  Alors ça m'a donné un peu le goût de l'informatique.  Certes pas comme programmeur, mais comme utilisateur. 

En 1981, avec l'achat d'un Apple ][ Plus (64k de mémoire, un lecteur de 5 pouces qui stockait 140k, un écran monochrome, une imprimante à points), j'ai commencé à utiliser l'informatique personnelle.  J'ai appris le BASIC, pour comprendre un peu les principes de programmation.  Mais surtout, j'ai commencé à écrire.  Pour moi, le traitement de texte libérait l'esprit (et les doigts) des contraintes de l'écriture.  On écrit une phrase, on corrige à volonté, sans devoir reprendre tout le texte, etc. 

En 1982, je quitte Radio-Canada et en 1983 je suis ma compagne en Haïti où elle prend la direction des activités d'un organisme de développement.  Alors je commence à faire du journalisme sur place.  J'écris sur mon Apple ][ qui résiste assez bien au climat tropical.  L'agence Associated Press m'offre alors le poste de correspondant à Port-au-Prince et me donne un petit portable, un TRS-100 je crois, avec écran à cristaux liquides de 4 lignes, et un modem.  C'est que le bureau régional pour la Caraïbe de AP était à Porto Rico, et j'envoyais mes textes par modem à tous les jours. 

Évidemment, de retour au pays en 1989, c'est rapidement les échanges par modem entre amis et avec les clients, les BBS, puis CompuServe pour finalement plus tard arriver avec l'ouverture de l'Internet et des fournisseurs commerciaux. 

FL
Nous sommes en 1994 et vous décidez de publier les Chroniques de Cybérie.  À ce moment quel avenir voyez-vous pour vos chroniques?  Comment a été le premier accueil à votre liste? 

JPC
En fait, tout a commencé entre copains, il n'y avait pas de grands projets pour que ça devienne ce que c'est rendu aujourd'hui, du moins ce que les gens en disent (voir Revue de presse). 

Mais tout s'est passé très vite.  à partir des cinq premiers «abonnés», il y en a rapidement eu 10, 20, 40 60, au point où il m'a fallu un serveur de liste pour l'envoi.  Au printemps 1995, Mychelle Tremblay m'a offert de faire une version sur Web qu'on a initialement hébergé sur le serveur d'un petite compagnie appartenant à des copains.  Quelques mois plus tard, il a fallu déménager sur un plus gros serveur car le premier ne suffisait plus à la demande. 

Alors tu vois, tout a marché très vite probablement parce que nous (Mychelle et moi) avons été les premiers à faire ce genre de chroniques.  Il n'y avait rien d'autre, en français, sur le Net et pourtant il y avait un grand besoin de contenus. 

Il faut aussi préciser que pour nous, il ne s'agissait pas de s'improviser chroniqueur ou journaliste.  Nous avions déjà une longue expérience des communications et du métier, de l'écriture, de la technique. 

FL
J'ai relu les premières Chroniques archivées et j'ai constaté qu'il s'agissait d'un carnet des nouveautés sur internet alors que les chroniques actuelles commentent l'actualité vue par l'oeil de l'internaute.  Ce changement de vocation des chroniques a-t-il été conscient et planifié ou il s'est produit inconsciemment ? 

JPC
Pas compliqué, au début tout était nouveau.  Un moteur de recherche (Lycos), un répertoire (Yahoo), je crois que quand je suis arrivé sur Internet, il y avait deux pages personnelles au Québec : Jean-Hugues Roy et Robert Blondin.  Ironiquement, Blondin était à Radio-Canada et faisait l'émission L'Aventure, Jean-Hugues devait s'y retrouver plus tard pour faire Branché, et moi j'étais un ancien du Téléjournal.  Radio-Canada est peut-être plus importante qu'on le croit pour l'Internet au Québec, mais ça, c'est autre chose. 

Donc c'est certain qu'on parlait beaucoup de nouveautés dans les Chroniques.  Puis, d'autres joueurs sont arrivés, comme Branchez-Vous! et La Toile du Québec

Tu vois, il s'est passé deux choses.  Une évolution des Chroniques, puis l'évolution du marché. 

Une semaine, comme ça, j'ai commencé à faire plus de commentaires sur les à-côtés de l'Internet, du Web, de l'information, de la politique, de la société.  La réaction a été immédiate, j'ai reçu un tas de courriers me remerciant de le faire, que c'était ce que les gens voulaient, qu'ils voulaient s'abonner, que le style et le ton et le contenu étaient uniques, c'est-à-dire une mise en perspective, une intégration du phénomène cyber et de son expression dans la vie quotidienne.  J'ai reçu aussi un bon nombre de courriers de gens qui voulaient se désabonner, mais bien moins nombreux que les premiers. 

Eh bien voilà, les Chroniques s'étaient trouvé un créneau de marché solide.  Mais Branchez-Vous! et La Toile évoluaient aussi.  Sans qu'on s'en parle vraiment entre nous, Patrick Pierra (Branchez- Vous!) a fait évoluer son produit dans une direction différente des Chroniques car au début, les deux produits se ressemblaient assez.  Yves Williams et Chrystian Guy (La Toile) se sont concentrés sur la constitution d'un répertoire exhaustif et sur un moteur de recherche. 

Aujourd'hui, les trois produits remplissent chacun un rôle distinct, ont chacun leur clientèle, chacun leur personnalité. 

FL
Dans vos commentaires vous ne vous gênez pas pour remettre les pendules à l'heure et appelez les choses par leurs vrais noms.  Avez-vous souvent les commentaires des gens cités dans vos chroniques? 

JPC
Oui, assez souvent.  On peut me reprocher certaines opinions que je formule, c'est d'ailleurs le style des Chroniques.  Mais personne n'a jusqu'à présent pu contester les faits que je cite, et c'est ça qui est important.  C'est que certaines vérités dérangent. 

Le printemps dernier, j'ai écrit dans le journal VOIR un article sur la complaisance des médias.  En gros, je disais que les journalistes qui couvrent l'actualité technologique prêchaient davantage par enthousiasme que par analyse rigoureuse.  Plusieurs journalistes m'ont avoué s'être sentis visés, certains m'ont même dit avoir fait un sérieux examen de conscience. 

De plus, l'Internet au Québec est un très petit milieu, tout le monde se connaît.  C'est donc difficile de faire une critique, même constructive, sans heurter certaines sensibilités. 

FL
Dans une entrevue dernièrement vous disiez ne pouvoir vivre des seules Chroniques.  Est-ce que le style «commentaires» des Chroniques et y est pour quelque chose.  En clair est-ce que les commanditaires ont peur d'être associés aux Chroniques en raison de leur contenu ou est-ce seulement une question de marché? 

JPC
Faudrait demander aux commanditaires ou aux annonceurs, pas à moi.  Bon, d'accord, c'était une voie facile de sortie, soyons sérieux. 

Prenons Le Devoir.  C'est un journal qui a un parti pris annoncé, clair, sans ambiguïté.  Et pourtant ils ont des annonceurs.  Pourquoi?  Parce que c'est un journal qui est lu, que l'information qu'on y trouve est crédible, que c'est un bon produit. 

Les ennuis que nous avons eu avec Bell, ou plutôt son agence de publicité (Cossette), ne portaient pas principalement, à mon avis, sur une question de contenu mais de marché. 

Pour avoir toute l'histoire, il faudrait demander à Mychelle Tremblay, l'éditrice, qui est responsable des publicités et commandites.  Dès que nous avons pris le virage commercial, je me suis détaché complètement de cet aspect des Chroniques, et c'est elle qui négocie avec les agences. 

Ce que je sais, cependant, c'est que nous avons des statistiques de fréquentation très fortes, validées par notre fournisseur, que nous avons une base d'abonnés par courrier électronique la plus importante de n'importe quel cybermédia francophone, que nous avons effectué une enquête auprès de nos lecteurs et lectrices pour établir un profil démographique de clientèle qui est très haut de gamme, et les agences et les annonceurs nous boudent.  Question de contenu? 

Prends en France le journal Libération qui est ouvertement un journal socialiste.  Eh bien le site Web du Cahier Multimédia de Libération a des publicités de IBM, Intel, et des jeans Levi's. 

Ici, le marché et ceux qui essaient de l'exploiter n'ont pas atteint un très haut degré de maturité.  En Europe, ce qui compte, c'est que le contenu soit bon car ça assure qu'il soit vu. 

FL
Et le Fonds de l'autoroute de l'information? 

JPC
Ouf.  On pourrait en parler longtemps.  Un de mes collègues a demandé à un sous-ministre adjoint au ministère de la Culture et des communications pourquoi les particuliers étaient exclus des critères d'admissibilité du FAI.  Le SMA a répondu «On m'a posé cette question deux fois : la première fois, c'était Parizeau, la deuxième fois, c'est toi.  Parizeau voulait créer une catégorie pour "les petits", soit les 10 000 dollars et moins. »   Et il a ajouté   «Nous ne subventionnons pas le bénévolat.  Lorsque tu as une bonne idée, tu en parles, tu trouves des partenaires, tu fondes une petite société et là tu fais une demande de subvention.»

Je crois que cette attitude va d'une part à l'encontre de ce qui a contribué au développement de l'Internet au Québec, soit les initiatives de particuliers, puis est le reflet d'une conception dépassée des nouveaux rapports sociaux et économiques qui sont grandement bouleversés par ce que Kevin Kelly (Wired) appelle l'«économie réseau». 

J'ai été assez critique envers certains projets financés par le FAI.  Il y a même des gens qui ne me parlent plus à cause de ce que j'ai écrit.  Mais je crois que les grosses déceptions s'en viennent.  On arrive au terme des premières subventions qu'on a commencé à accorder il y a environ deux ans.  Alors, ça va être l'heure des bilans; il faudra bien que quelqu'un regarde, projet par projet, ce qui a été réalisé, combien ça a coûté, et si c'était vraiment là où il fallait mettre des sous.  Autrement dit, est-ce qu'on en a eu pour notre argent? 

C'est certain qu'il faut qu'il y ait place à l'erreur car le milieu est nouveau, il faut prendre des risques.  Mais il ne faudrait pas répéter les erreurs. 

De plus, quand on parle du FAI, on semble penser que c'est la seule manière possible pour le gouvernement d'intervenir.  C'est faux, le gouvernement dispose d'autres leviers pour favoriser de développement des nouvelles technologies. 

Seulement sur le plan de l'Internet, j'ai demandé à Madame Beaudoin en juin 1996 si le gouvernement allait affecter une partie de son enveloppe publicitaire au Web.  Pas de nouveaux budgets, pas des subventions, seulement une réaffectation de crédits déjà votés sur un médium qui a fait ses preuves comme véhicule publicitaire. 

Le gouvernement québécois dépense 5 millions par année pour dire aux jeunes de ne pas commencer à fumer.  Un pour cent de cette somme représenterait 50 000 $ en pub à partager entre les sites Web québécois, et on ne parle ici que d'une seule campagne.  Mais rien ne bouge de ce côté.  Et pourtant on ne demande pas de subventions.  On veut seulement que le gouvernement qui se veut un «utilisateur modèle» achète un bon produit.  Mais ça semble trop simple, même si ça permettrait aux cybermédias de vivre convenablement et de pouvoir penser à d'autres projets, même si ça pouvait favoriser l'arrivée de nouveaux venus dans le paysage du Web. 

FL
Alors est-ce que les cyber-medias au Québec sont encore considérés comme des médias de seconde zone?  Et le gouvernement est-il sérieux avec son FAI ou ne fait-il qu'acte de présence? 

JPC
Je vais d'abord répondre à la deuxième question.  Les intentions du gouvernement sont bonnes, c'est la compréhension de la dimension réelle du phénomène des inforoutes qui fait défaut.  On applique des mesures traditionnelles à un phénomène inédit. 

Pour ce qui est des cybermédias, rappelons l'affaire de la Conférence sur la vie privée tenue à Montréal en septembre.  On n'a pas accrédité les cybermédias, dit-on, car il y avait eu 150 demandes et qu'on n'avait pas fait un examen pour déterminer ceux qui méritaient une accréditation. 

J'aurais bien pu demander une accréditation à titre de chroniqueur du journal VOIR, de la revue Planète Internet Québec, ou encore offrir une collaboration spéciale à un autre média traditionnel qui se serait empressé de me faire accréditer.  J'ai refusé, car il y a ici une question de principe. 

Et il y a des précédents importants.  Par exemple, Simard Hamel Communications (SHC) qui est responsable des accréditations pour des événements aussi importants, voire plus importants, que la Conférence (INET96, Forum québécois des inforoutes, etc.) accrédite tout le monde, sur un pied d'égalité. 

C'est une des nouvelles réalités de l'univers numérique, le foisonnement des petits médias.  Il faut composer avec ce nouvel ordre informationnel, trouver de nouvelles méthodes. 

Mais comment donner aux cybermédias la place qui leur revient?  Créer un répertoire et mettre des critères d'admissibilité?  Faire une présélection?  Exiger de voir trois mois de fonctionnement?  Regrouper les cybermédias en association professionnelle?  Je crois d'abord et avant tout, ici comme ailleurs, qu'en cas de doute il faut faire preuve de gros bon sens, ce que les organisateurs de la Conférence de Montréal n'ont pas fait. 

FL
Et comment peut-on comparer l'internet Québécois avec nos voisins du sud?  Il me semble que lorsque je me branche sur le réseau je suis inexorablement aspiré vers les sites .com (made in US) au détriment des .ca et encore plus des .qc.

JPC
C'est normal.  La loi du nombre.  Les Américains sont trente-cinq fois plus nombreux que les Québécois, on pourrait même parler d'un champ gravitationnel qui attire, ou aspire comme tu dis, les internautes, et c'est normal. 

Je vois peu de différence entre le Web canadien anglophone et le Web américain.  Même langue, même culture technologique. 

Que faire sur le Web québécois?  Premièrement, dire ce que nous sommes, comment nous vivons nos réalités spécifiques au Québec, comment nous voyons plus globalement le monde.  Il ne faut pas chercher à tout reprendre, tout traduire, refaire la roue.  On ne fera des choses de qualité qu'en exprimant notre propre réalité. 

On s'achemine vers une culture plus mondiale où la langue dominante est l'anglais.  Bon, ce n'est pas une raison pour arrêter de parler français, de produire et diffuser sur le Web en français. 

On est trop habitués à nos «anglos» qui ont une peur maladive du français.  Tu sais, ces gens qui vont en vacances à Acapulco deux semaines et qui reviennent et peuvent se débrouiller pour les choses de base dans un bar, un restaurant ou un magasin en espagnol.  Ils ont vécu trente ans ici, mais refusent d'apprendre et de parler le français. 

Je reçois souvent du courrier d'américains, de britanniques, puis d'hispanophones qui lisent les Chroniques de Cybérie parce qu'ils s'intéressent à ce qui se passe ici, à notre façon de voir les choses, de régler des problèmes, de lancer des projets, etc. 

Donc, le Web au Québec doit d'abord nous servir de miroir de notre propre société.  On n'aime peut- être pas ce qu'on voit; on n'a qu'à le changer.  Puis, le Web doit devenir la vitrine de notre apport à la nouvelle société mondiale et servir à engager un dialogue, voire une multitude de dialogues, à tous les niveaux (particuliers, organismes, entreprises) avec le reste du monde. 

FL
Pouvez-vous sortir votre boule de cristal et nous faire vos prédictions sur l'évolution prochaine de l'internet et plus particulièrement au Québec?  En autre qu'adviendra t-il de l'équation média-écrits, parlés (radio-tv) et électroniques? 

JPC
C'est toujours difficile de faire des prévisions.  Récemment, on m'a demandé au cours d'une entrevue ce que serait l'Internet dans cinq ans.  J'ai répondu que quiconque se hasardait à prédire à si long terme, du moins pour l'Internet, racontait des balivernes.  En fait, c'est de mettre des dates sur des événements à venir qui fausse le jeu.  Par contre, on peut prévoir des développements. 

Je crois que le médium va continuer de s'imposer, puis donner lieu à des services originaux, précis, spécifiques, quand on aura trouvé un modèle économique de viabilité.  Que ce soit pour les cybermédias d'information comme les Chroniques de Cybérie, ou pour les info-services, les services communautaires et publics en ligne, le commerce électronique, l'éducation à distance, la politique post-moderne qui va changer les rapports élus/commettants, en fait, tout ça s'en vient.  Mais quand? 

En 1996, on a connu un boom médiatique sur les produits, les services, les logiciels, les fonctionnalités du Net.  On découvrait le médium.  Puis, en 1997, on ne parle plus que de «modèle économique» (pub, services payants, transactions en ligne, sécurité).  On cherche à voir comment il peut être soutenu par l'économie, et aussi soutenir l'économie.  Le médium est rendu un partenaire de l'économie, pour le meilleur et pour le pire, car tout comme dans l'économie traditionnelle, la «nouvelle économie» fera des exclus. 

Pour ce qui est des rapports avec les autres médias, je crois qu'il faut regarder en arrière.  Contrairement aux dires des alarmistes de toutes les époques, la radio n'a pas tué l'industrie de la musique ou du spectacle, pas plus que le cinéma.  La télé n'a pas tué la radio, ni le cinéma.  Le vidéo à domicile non plus.  Quand un nouveau médium arrive, il se fait une place, les autres s'ajustent, il y a une période de transition, puis une «convergence». 

Ce qui est différent, avec Internet, c'est la dimension interactive du médium et son impact possible.  C'est la donnée sur laquelle on réfléchit encore, on observe. 

Aussi, comme médium, le Net fait émerger de nouveaux concepts sur le plan de la communication, et sur le plan humain, et ce même pour les non branchés.  Je me souviens (eh oui, j'ai cet âge) quand McLuhan est arrivé, fin des années soixante, avec son concept de «village global» en se basant sur la télévision, le téléphone, et qu'il prévoyait les échanges de données entre ordinateurs.  Eh bien il y a eu des gens, en Afrique, sans télévision et sans téléphone, qui ont lu et qui ont compris McLuhan.  Et McLuhan a changé des choses dans leur conception de voir le monde.  L'Internet a ce même effet.  Il provoque une réflexion sur la communication, la vie privée, la liberté d'expression, les valeurs auxquelles ont tient, celles dont on est prêt à se débarrasser, et c'est ça qui en fait un médium si puissant, si important. 

Aussi, on parle souvent de l'Internet comme d'une aide à la mondialisation.  Mais je crois qu'on va découvrir et aimer des applications plus «locales», et ça c'est une tendance que je vois percer à moyen terme. 

FL
Et l'avenir des Chroniques de Cybérie?

JPC
Comme tous les autres cybermédias, c'est une question de sous.  Le marché de la pub n'est pas mûr, et on est ignoré par le peu d'annonceurs présents sur le Web.  On est réfractaire à l'idée de faire payer les gens pour avoir accès au contenu, on veut que ça demeure gratuit pour tous, et toutes les expériences de contenus payants ont échoué.  Faudra-t-il commencer à produire et écrire en anglais, où le marché est plus rentable? 

C'est quand même trois ans d'efforts, de travail et d'investissements de la part de Mychelle Tremblay et moi.  On a une revue de presse enviable, un profil de lecteur haut de gamme, un groupe important d'«inconditionnels» dont on a guidé les premiers pas sur les réseaux et qui se fient à nous pour leur donner l'heure juste.  Mais tout ça ne paye pas les coûts de conception, de production, d'hébergement, de services techniques, sans parler d'un salaire raisonnable pour nous deux. 

Donc, c'est fragile.  On a le goût de continuer, mais trois ans d'investissements sans rentabilité, c'est long.  Alors, parfois on pense à prendre de longues vacances, à faire autre chose.  Puis ça me donnerait le temps de terminer un livre en chantier depuis trop longtemps déjà, ça me donnerait trente heures de plus dans ma semaine, le temps de flâner, «See some old friends.  Good for the soul» comme dit Bob Seeger. 

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/jpc/album.html
Mise en ligne : 17 décembre 1997