Qui livrera bataille?
Zone-Outaouais, juin 1997

On entend à gauche et à droite des déclarations éloquentes sur les défis technologiques à relever, sur les combats à livrer pour profiter de la mondialisation, sur les batailles à engager sur le plan de la compétitivité. Mais où sont les généraux?

À part les marchands de canons (lire ici les fournisseurs de matériel et de logiciel) et les représentants de l'État-nation (lire ici les percepteurs de taxes et d'impôts), où sont ceux et celles qui pourraient penser et inspirer l'action?

Qu'ont en commun Bill Gates (Microsoft), Marc Andreesen (Netscape), Steve Jobs (Apple, NeXT), Steve Wozniak (Apple) et tant d'autres qui ont marqué les jalons récemment franchis par la haute technologie? Ce sont tous des décrocheurs. Normal, du moins pas surprenant, les académies chargées de former les troupes (lire ici les collèges et universités) font face à des réductions constantes de leur marge de manoeuvre, tant sur le plan de la souplesse de leurs programmes que sur celui des crédits qui leurs sont accordés.

De l'autre côté de la mare aux canards, le président Chirac qui visitait récemment un centre de haute technologie a demandé candidement à un des responsables «Mais qu'est- ce donc que cette souris dont tout le monde parle?». Et dire que certains se demandent encore à quoi attribuer le retard technologique français. Ne rions pas trop fort, on pourrait entendre la même question posée dans les corridors des parlements d'ici.

Selon une étude du CEFRIO, organisme dont le mandat consiste à analyser les tendances technologiques au Québec, l'achat d'ordinateurs personnels par les ménages québécois représentera en 1997 plus de 700 millions de dollars (matériel neuf et matériel de remplacement). On ne compte même pas ici les dépenses des entreprises à ce chapitre. Petit exercice de calcul : combien rapportera la taxe de vente sur ce volume d'achats? Certainement plus que ce que le Fonds d'aide aux inforoutes affecte à la dynamisation du secteur.

Ce qui manque, c'est une vision d'ensemble, un projet rassembleur autour duquel pourrait se greffer les actions trop souvent isolées et éclatées de ceux et celles qui veulent produire, diffuser. Ce qu'il faut, c'est aller au delà du discours politique traditionnel qui, à force d'être répété, vient à perdre son sens original. C'est un peu comme les enregistrements sonores, à chaque génération de copie le signal diminue et le bruit augmente.

Mais pour qu'un projet soit rassembleur, encore faut-il qu'il repose sur des assises solides que les pouvoirs en place, présentement, semblent incapables de jeter.

Il faut aller plus loin que de dire aux jeunes et aux sans emploi que c'est à eux d'intervenir et de se tailler une place dans la nouvelle économie, alors que l'inscription au moindre forum professionnel, comme le Marché international des inforoutes et du Multimédia en mai à Montréal, coûte environ 750 $. Vous voulez des données? L'étude du CEFRIO précitée, menée avec des fonds publics, et qui devrait figurer dans tout plan d'affaire vous coûtera 125 $. Et la participation au Forum québécois de l'Internet tenu cet hiver (toujours en Métropole) signifiait des déboursés d'environ mille dollars.

Il faut donc plusieurs choses. Démocratiser l'accès aux outils de formation et de production, favoriser la concertation entre les acteurs, appuyer les initiatives visant à trouver des débouchés. En sus, et ce ne serait pas un luxe, reconnaître le potentiel des régions en cette époque où le mythe du grand centre et de la concentration revient à la mode.

Surtout, il faut donner la parole et confier la direction des manoeuvres à des stratèges aptes à décoder les tendances fortes, les signaux faibles et les courant porteurs de la société du savoir et de l'information. Ce sont ces stratèges qui feront fonction de généraux, sauront mobiliser les énergies tout en comprenant et en communiquant les enjeux d'ensemble pour la société d'une action concertée, dirigée.

Est-ce trop demander?

Jean-Pierre Cloutier

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/jpc/articles/bat.html
Mise en ligne : 14 juin 1997