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Journal VOIR
Section : Zone X
20 mars 1997

ESPRIT CRITIQUE

Plus une journée ne se passe sans que l'on entende le mot «Internet» prononcé à la radio ou à la télévision, qu'on ne le lise dans les pages de nos quotidiens ou périodiques préférés, qu'on ne l'entende prononcé au cours de nos libations cinq à sept ou même chez le dépanneur du coin. Saisissant, comme phénomène, si l'on considère les résultats d'une recherche dans les archives de la presse de chez nous: la première apparition du mot, dans un quotidien québécois, ne remonte qu'à... mai 1994!

Internet sortait alors des universités et des instituts de recherche et se préparait, à l'âge approximatif de trente-trois ans, à faire sa «vie publique» au Québec. On a assisté à la naissance, non sans douleur, d'une spécialisation journalistique: Internet et nouveaux médias.

Il serait permis de penser que le public est bien servi par cette abondance d'information issue de la presse dite «techno-spécialisée», tout au plus vingt-cinq journalistes ou chroniqueurs au Québec. La multitude de choix qui lui est proposée nécessite un certain bagage technique pour prendre des décisions éclairées sur le matériel, le logiciel, les ressources Internet, les choses à voir et celles à éviter. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Il existe un tel manque d'esprit critique dans la presse spécialisée, une absence presque totale de recul par rapport à l'objet du discours, qu'à lire ou écouter cette presse, on tombe vite dans le syndrome «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil».

Si les critiques de littérature ou de cinéma ne se gênent pas pour faire cuire un navet, si les commentateurs politiques se font un devoir de plonger dans l'eau chaude nos élus et leurs serviteurs, la presse techno semble avoir perdu tout sens critique, toute échelle de valeur, et agit trop souvent avec complaisance envers les pires produits (matériel, logiciel, informationnel) ou en face des pires bavures commises dans le milieu.

Serait-ce que le secteur de la technologie et des nouveaux médias est si fragile qu'il faut éviter à tout prix un peu de controverse, de peur de le voir s'effondrer sous le poids de la critique? Serait-ce que le milieu est tellement restreint, que tout le monde se connaît, et que personne ne veut se faire d'ennemis?

Ce n'est pas mon but premier, mais il m'arrive d'écorcher au passage des concepteurs ou exploitants de sites Web dans mes Chroniques de Cybérie, de dire que pour telle ou telle raison leur site ne vaut pas le «click». J'en visite environ trois cents par semaine, je prétends savoir de quoi je parle. Réaction typique de leur part: «Comment osez-vous parler ainsi d'un site francophone, et québécois de surcroît!» Comme si le fait qu'un site Web soit en français et réalisé au Québec était un gage de qualité.

La refonte récente de la présentation sur Web du Journal de Montréal ne m'a pas plu, on y trouve moins d'information qu'auparavant, ça fait très vitrine passive, et je l'ai écrit pour la Cybérie. Commentaire d'un collègue (et néanmoins ami): «Ouin, on règle ses comptes!» C'est faux, il n'y avait (et il n'y a toujours pas) de comptes à régler avec Quebecor; nous avons réalisé ensemble des projets intéressants et valables et si nos relations ont été mutuellement profitables, c'est peut-être parce qu'elle se sont toujours déroulées à l'enseigne du franc-parler.

L'échec du Libertel de Montréal, oł le gouvernement du Québec a vu s'envoler pour 360 000 $ de subventions après trois mois de fonctionnement, a tenu moins de place dans les quotidiens que le déplacement éventuel de la borne fontaine en face de chez moi (enfin, ce n'est qu'un exemple). La presse spécialisée, en grande partie, s'est contentée de déplorer la fermeture du Libertel, ceux et celles en mesure d'approfondir le dossier ne l'ont pas fait. Et pourtant, l'échec de l'expérience sonnait l'alarme quant à l'analyse de la pertinence technique et de la santé administrative de bien des projets du Fonds de l'autoroute de l'information.

Et aussi, y a-t-il vraiment deux cents entreprises de multimédia au Québec; pourquoi ces mines basses de nos délégations au retour du Festival international multimédia Milia '97 de Cannes; ne serait-il pas temps d'euthanasier Apple? Autant de questions auxquelles répondre. Mais il ne faut surtout pas, à aucun prix, ternir un tant soit peu l'image de la techno.

Ce qui est à déplorer, avec le sentiment de complaisance partout présent dans la presse spécialisée en technologie, c'est que le public (consommateur ou non de nouvelles technologies) est floué. On ne lui transmet pas une information, on lui communique un enthousiasme, une salade de copier/coller de communiqués d'entreprises, sans interprétation, avec peu de mise en contexte ne serait-ce que pour souligner les succès passés et les perspectives d'avenir. Et le présent, alors? Un «reality check» NSF.

Jean-Pierre Cloutier

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AVIS: Ce texte est protégé par la Loi sur le droit d'auteur du Canada.
© Communications Voir Inc., 1997


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URL : http://www.cyberie.qc.ca/jpc/articles/ec.html
Mise en ligne : 14 juin 1997