ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 octobre 2000

Démocratie ou électoralisme?

À une époque qui se proclame planétaire, de nombreux dirigeants politiques obéissent à une échelle de valeurs qui doit à peu près tout à leur calendrier partisan et presque rien aux vrais enjeux. Les États-Unis abandonnent donc le Proche-Orient à ses démons si c'est ce que réclame la course entre Bush et Gore. Ehoud Barak, quant à lui, imite l'intransigeance inhumaine d'Ariel Sharon parce que cela lui permettra peut-être de demeurer premier ministre d'Israël. Tout comme le successeur de Milosevic semble appliquer la doctrine de Milosevic pour empêcher la résurrection du dictateur. Ainsi s'enracinent les malentendus. Il suffirait, selon ces gens, de gagner l'élection. Quitte à ce que la victoire électorale soit obtenue pour les mauvaises raisons; quitte à ce que, au lendemain du scrutin, on enterre les promesses.

Partons d'en haut, c'est-à-dire de Washington. L'épouse du président Clinton immole sur l'autel de sa candidature new-yorkaise le vernis de convictions libérales que vaut normalement l'appartenance au parti démocrate. Hillary Clinton regrette publiquement que les États-Unis n'aient pas recouru à leur droit de veto lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU a blâmé les excès d'Israël. Elle aurait préféré que les États-Unis, selon leur penchant, oppose leur veto et empêche la communauté internationale de dire tout haut qu'Israël se conduit mal. Que les États-Unis aient choisi de s'abstenir quand tout témoigne d'un abus de force israélien ne suffit pas à la politicienne en campagne. Elle veut être élue et elle veut séduire son électorat juif; ses convictions se modifient en conséquence. Même si cela veut dire qu'elle blâme publiquement son époux, le président des États-Unis... Comme manifestation d'appétit électoral, on fait difficilement pire. (D'aucuns diront que Clinton l'a bien mérité, mais cela est une autre histoire!)

En Israël, le premier ministre Barak obéit aux mêmes calculs électoraux. Par crainte de voir le dangereux Ariel Sharon prendre les commandes de l'État israélien ou s'intégrer à un gouvernement de salut national, Barak finit par faire ce que souhaite le nommé Sharon. Il professe, selon toutes les probabilités, un autre credo que Sharon, mais quelle importance cette différence peut-elle avoir si, en termes concrets, l'armée israélienne se conduit sous les ordres de Barak comme elle le ferait sous la férule de Sharon? Quand un parti en mal de victoire électorale applique le terrifiant programme du parti adverse, que valent les différences idéologiques?

Ce qui se passe en Yougoslavie est encore trop incertain pour qu'on y applique le même scepticisme de façon péremptoire. Le risque, cependant, est immense que le pays et l'opinion internationale confondent l'éclipse de Milocevic avec un virage significatif. À l'heure actuelle, n'en déplaise aux admirateurs de la Guerre des étoiles et aux lecteurs de Harlequin, la Yougoslavie n'a pas encore troqué le noir contre le blanc. Nul ne s'interroge maintenant sur les vrais résultats de l'élection. Nul ne parvient à savoir si le vainqueur propulsé au pouvoir par la rue et par les capitales étrangères différera suffisamment de son prédécesseur pour que les Serbes, les Monténégrins et les Kosovars de toutes cultures y trouvent leur compte. Nul ne sait, tant on confond le tyran avec la corruption qu'affectionne la tyrannie, si la Yougoslavie est promise au même sort que la morbide Russie de Eltsine et de Poutine. Chose certaine, tant que Kostunica n'aura pas le plein contrôle des institutions du pays, depuis la police jusqu'aux sociétés d'État, depuis les services secrets jusqu'à la télévision, il ne pourra livrer à ses concitoyens et à l'opinion mondiale un message clair. Tout ne fait que commencer.

On doit donc constater, avec plus d'inquiétude que de surprise, que le cérémonial électoral introduit d'étouffantes ambiguïtés dans la relation entre le peuple et ceux qui sollicitent ses suffrages. Quand les différents candidats dorlotent l'opinion publique et lui dissimulent les vraies couleurs de l'avenir, que reste-t-il du choix démocratique? Quand les aspirants au pouvoir se rallient au plus bas commun dénominateur pour gagner des votes, comment départager le faucon authentique de la colombe qui s'affuble de serres postiches? Et que gagne-t-on à préférer le bon sens quand le gouvernant sensé se sent contraint d'imiter l'irresponsable?

Certes, l'élection est une composante importante de la démocratie. Comprenons cependant qu'une victoire électorale qui, comme en Yougoslavie, se borne peut-être à rogner les griffes d'un Milosevic ne garantit pas un avenir profondément meilleur. Les médias, quand ils diabolisent un tyran et négligent de faire voir qu'il n'est qu'un rouage dans un système infernal, induisent en erreur. Ils propagent, en effet, la pensée magique : « Abattons le tyran et tout ira bien ». Quand, plus tard, la population constatera que la mise à l'écart du despote n'a rien changé à la corruption de l'administration et à la veulerie de la magistrature, elle sera déçue. Et la population profitera de la première occasion pour renvoyer chez eux les pseudo réformateurs. Suharto après Sukarno. Poutine après Eltsine.

L'élection est un élément essentiel de la démocratie, mais à une condition expresse : que le vote puisse se fonder sur les convictions et les mérites réels des candidats. Cela implique que les candidats disent non pas ce qui semble plaire, mais ce qu'ils ont l'intention de faire. Cela implique aussi que les médias aident la population à juger les candidats selon leur bilan, leur véritable marge de manoeuvre plutôt que selon leur popularité passagère. La campagne électorale ne remplit aucun rôle démocratique si les candidats y dissimulent leurs vraies intentions et si les médias s'abstiennent de débusquer les vrais enjeux.


Imprimer ce texte



ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie