Dixit Laurent Laplante, édition du 26 octobre 2000

Les parlementaires privés de débats?
par Laurent Laplante

Le Parti libéral du Québec reproche au gouvernement péquiste de confier à des analystes gagnés à ses perspectives des études qui devraient relever des élus. Le premier ministre Bouchard réagit en livrant une excellente imitation de l'indignation la plus vive. Comme pour attiser le feu, un élu péquiste qui a séjourné au Conseil des ministres avant d'être rétrogradé au rang de député, endosse le point de vue des libéraux et affirme lui aussi que les débats majeurs ne se déroulent plus au Parlement. Comme si les nuances étaient inutiles.

On ne fait qu'entonner de vieilles rengaines si l'on dit que ceux qu'on appelle les simples députés s'ennuient au Parlement. Il ne peut en être autrement, puisque tous ceux qui briguent les suffrages dans une circonscription s'attribuent au moins la vocation de ministre quand ils consentent à ne pas s'imaginer en premier ministre. Qu'ils s'ennuient dans un rôle indigne de leur talent n'est que prévisible. On ne renouvelle pas davantage les perspectives si l'on affirme qu'un énorme pourcentage des études commandées par les gouvernements à des spécialistes de tous poils sont inutiles, soit parce qu'elles disent lentement et à prix fort ce qu'on savait déjà, soit parce que leurs recommandations déplaisent aux gouvernants. Si l'on freine la réflexion dès ce stade, le diagnostic est donc simple et éculé : le pouvoir exécutif se moque de ce que peut penser le pouvoir législatif et il sollicitera les avis extérieurs tant qu'il n'en aura pas trouvé qui lui plaisent.

Pareille description, heureusement, ne couvre pas la totalité du sujet. Il faut, par exemple, ignorer l'histoire du Québec autant que le fait le chef libéral, Jean Charest, pour ne pas savoir qu'une part majeure de la Révolution tranquille n'aurait jamais eu lieu sans la contribution des grandes commissions d'enquête qui ont marqué la fin de l'époque Duplessis et les premières années du règne de Jean Lesage. C'est de la Commission Tremblay (1955), en effet, que Georges-Émile Lapalme¹ a extrait des pans complets du programme libéral de 1960. C'est ensuite grâce à la Commission Parent sur l'éducation et à la Commission Castonguay-Nepveu sur les services de santé et les services sociaux que le régime libéral a pu doter le Québec des orientations qui font sa dignité aujourd'hui encore. Ce ne sont d'ailleurs là que des exemples. Bien que moins connu, le Rapport Gauvin sur l'assurance-automobile a permis à la société québécoise de se doter d'un régime qui, malgré tout, coûte infiniment moins cher que celui qui prévalait jusque-là. Dans chacun de ses cas, les études menées à l'extérieur du Parlement ont été stimulantes; dans chacun de ces cas, les parlementaires ont pu adopter des positions en arguant de données solides et sereines. Il y a donc ignorance ou démagogie, bien que les deux ne soient pas incompatibles, à proclamer sans nuances la stérilité des études menées à l'extérieur du Parlement.

Ce qui, en revanche, est tristement fondé dans la critique libérale, c'est que l'exécutif péquiste utilise de façon incorrecte l'utile « fonction conseil ». Certes, bien des gouvernements antérieurs à celui-ci ont recouru à la technique des études et des commissions d'enquête pour désamorcer les crises ou pour retarder paresseusement les coups de barre exigeants. Cela ne justifie pourtant pas le recours systématique du gouvernement Bouchard à des analystes extérieurs dont il connaît les préférences et qui ne lui causeront pas de surprises désagréables. Cela n'excuse pas non plus le gouvernement Bouchard de nommer à la tête de presque tous les Conseils consultatifs des candidats défaits et de maintenir la quasi totalité de ces organismes sous la coupe des ministères dont ils doivent pourtant évaluer la performance.

Sur ce terrain, les critiques du Parti libéral vont moins loin et frappent moins juste que celles que formulait il y a deux ans le chef de l'Action démocratique, Mario Dumont. Celui-ci avait raison de dire que ce n'est pas la peine d'avoir cinquante conseils consultatifs si c'est pour les peupler de dociles sympathisants péquistes et si c'est, en plus, pour les empêcher d'exercer librement leur rôle de chiens de garde. Au sein de plusieurs de ces Conseils consultatifs, on semble avoir oublié que le ministère parrain n'est pas l'autorité à suivre, mais un organisme à évaluer sur la place publique. Cette servilité ne date pas d'hier, mais elle a aujourd'hui un caractère systémique qui révèle l'intolérance d'un régime présidentiel qui a peur d'avouer son nom.

Le problème n'est ni récent ni facile à résoudre. D'une part, beaucoup des députés qui se plaignent de la toute-puissance de l'exécutif gouvernemental ne seraient pas au Parlement s'ils n'avaient pas été littéralement mis au monde par le parti. Plusieurs de ceux qui se plaignent de ce que les débats se déroulent loin des élus ne se sont jamais donné la peine d'émettre une opinion; on ne sait donc pas si leur silence nous prive de quelque chose. D'autre part, ceux qui pensent avoir découvert un nouveau vice dans notre système politique pourraient, à défaut de remonter trop loin dans le passé, lire (et appliquer?) le rapport que signait le 28 janvier 1982 l'ancien ministre et député Denis Vaugeois. Le document s'intitule L'Assemblée nationale en devenir. Son sous-titre réclame sobrement ce qu'exigent les députés d'aujourd'hui : pour un meilleur équilibre de nos institutions. MM. Jean Charest et Matthias Rioux² trouveraient là de quoi rendre leur tir plus précis et M. Bouchard de quoi feutrer son indignation.

La solution passe par un plus grand courage des élus face aux partis qui les ont enfantés et par une moindre domestication de la fonction conseil.


RÉFÉRENCES
¹ Georges-Émile Lapalme a été chef du Parti libéral du Québec de 1950 à 1958.
² Matthias Rioux est député de Matane. Il a été ministre du Travail de janvier 1996 à décembre 1998.

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20001026.html

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