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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 30 octobre 2000

Qu'exige-t-on de la Chine?

Pendant que le président Jacques Chirac presse aimablement les dirigeants chinois de lever les derniers obstacles à l'admission de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Madeleine Albright, en visite à Pyongyang, s'emploie à rouvrir les canaux de communication entre les États-Unis et la Corée du Nord. Une surprise, tout à coup, survient : avant même que Madeleine Albright soit repartie, des émissaires chinois arrivent à Pyongyang pour y mener des négociations analogues avec les Nord-Coréens. À croire que la Chine comprend fort bien ce qui l'attend.

Faisons rapidement un sort aux rengaines des pays industrialisés à propos de la Chine. Les États-Unis peuvent bien déplorer sans cesse le massacre de Tien-Anmen et l'emprisonnement que subissent les dissidents chinois, nul ne prend au sérieux ces futiles prétentions américaines à la pureté des moeurs démocratiques. De leur côté, les Européens n'aiment certes pas que l'immigration clandestine en provenance de l'Asie produise chez eux des amoncellements de cadavres dans des fourgons réfrigérés, mais ce n'est pas ce qui amène M. Chirac en Chine. Aux yeux des Américains comme de l'Europe, la Chine est d'abord et avant tout un énorme marché; le reste est verbiage et conditionnement.

La Chine ne s'y trompe d'ailleurs pas. Face aux pressions qu'exercent sur elle les intérêts capitalistes, elle procède comme elle l'a toujours fait : elle joue ses rivaux les uns contre les autres et multiplie les alliances. Quand Moscou prétendait lui imposer son orthodoxie communiste, Beijing esquissait un sourire en direction des Américains. Quand Washington dorlotait un peu trop l'ancienne Formose, devenue Taiwan, les Chinois se retrouvaient tout à coup des affinités avec leurs cousins communistes de la Russie. Et de savantes tractations triangulaires gardaient la Chine en pleine possession de son mystère et de son marché.

Les pays capitalistes, maîtres de l'OMC, comme d'ailleurs du FMI et de la Banque mondiale, peuvent cependant compter aujourd'hui sur une arme nouvelle : leur coordination. Sans faire disparaître les rivalités entre le Japon, les États-Unis et l'Union économique européenne, l'offensive capitaliste est quand même massive, enveloppante, aussi étanche qu'un blocus. Si la Chine veut bouger et elle le veut, il lui faut ouvrir ses frontières. Si elle s'entête, les pays industrialisés la traitent comme une lépreuse. Nous avons encore devant les yeux la dernière manifestation de cette collusion : Sydney a obtenu les jeux olympiques de l'an 2000 en triomphant de la candidature chinoise par deux voix seulement et sans que les médias de l'hémisphère mènent à propos de ce vote douteux une enquête comparable à celle qu'a subie Salt Lake City. La Chine n'a guère besoin de sa paranoïa légendaire pour savoir qu'on ne lui fera pas de faveurs.

L'offensive capitaliste, la Chine le sait fort bien, vise en priorité le secteur agroalimentaire. La Chine a certes progressé au chapitre de l'autosuffisance alimentaire, mais elle sait, sans qu'il soit nécessaire de le lui rappeler lourdement, que ses méthodes d'exploitation ne peuvent résister à la concurrence de l'Union européenne et des États-Unis. Sitôt les règles de l'OMC applicables en Chine, il y aura à la fois déferlement des produits agricoles étrangers et implantation massive d'entreprises agroalimentaires techniquement articulées. C'est là que se joue l'avenir de la Chine : un prolétariat agricole d'environ 330 millions de personnes risque le pire. Avec ce que cela signifie d'urbanisation forcée dans un pays aux mégalopoles déjà surpeuplées.

La Chine, menacée par la déferlante de la mondialisation, a besoin aujourd'hui de plus pauvre qu'elle. Si des dizaines de millions de personnes s'ajoutent tout à l'heure à ses phalanges de chômeurs, la Chine devra, sous peine de traverser un nouveau cycle d'agitation et de répression, prendre avantage de la reconstruction qui s'annonce en Corée du Nord, développer de nouveaux partenariats asiatiques, philippins, indonésiens. La présence d'émissaires chinois à Pyongyang au moment même où s'y trouvait Madeleine Albright relève probablement de ce calcul.

Chose certaine, les pays qui versent des cascades de larmes émues sur le massacre de Tien-Anmen et sur les pauvres immigrants chinois sont aussi ceux qui travaillent à déstabiliser la Chine. Ils brandissent les droits de l'homme, mais ils s'apprêtent à lancer des millions de fermiers chinois déqualifiés à l'assaut d'un pouvoir autoritaire et des rives inhospitalières des pays riches. Le message de Seattle n'a pas été entendu.


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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie