Dixit Laurent Laplante, édition du 28 décembre 2000

Une paix en forme de leurre
par Laurent Laplante

Une fois de plus, le front commun américano-israélien exerce sa pression sur l'Autorité palestinienne. Une fois de plus, les États-Unis s'arrogent le rôle de médiateur entre Israël et les Palestiniens et proposent des arrangements qui diffèrent parfois notablement des volontés clairement exprimées par les Nations Unies il y a déjà trente ans. Une fois de plus, la paix au Proche-Orient dépend des aléas de la politique interne d'Israël et des États-Unis. Une fois de plus, les Palestiniens n'ont de choix qu'entre la capitulation sans condition et la défense toujours plus vaine et sanglante de leurs droits. Et pourtant, le pire est peut-être encore à venir.

À certains égards, le président Clinton obtient quand même quelque chose d'Israël. Les Palestiniens gagneraient un peu de territoire et peut-être une souveraineté approximative sur une partie des lieux saints. C'en est déjà trop pour la droite israélienne qui crie à la braderie et qui promet, sitôt son chef Ariel Sharon aux commandes de la Knesset, d'enterrer ces concessions jugées excessives. De la part des Palestiniens, la proposition du président Clinton exige pourtant infiniment plus. D'une part, Jérusalem n'accède pas au statut que réclament les Palestiniens; d'autre part, les millions de Palestiniens dépossédés de leurs terres il y a plus de trente ans ne se voient reconnaître aucun droit au retour chez eux. Comme s'il ne voyait pas l'indécence et la cruauté de son offre, le président américain fait miroiter devant les millions d'humains qui vivent en baraquements la création d'un fonds international qui leur permettrait, au mieux, de changer la tôle de leurs abris.

Ce n'est pourtant là que le versant visible et officiel des échanges. La réalité, qui n'affleure guère dans les débats ni d'ailleurs dans l'information courante, c'est que les accords intervenus dans le passé n'ont pas été respectés et que les prochains, si jamais ils s'écrivent avant le départ de Bill Clinton, ne le seront pas davantage. Israël fait mine de restituer un segment de territoire, mais continue à le ceinturer, à le régenter, à le boucler à sa guise comme si aucune concession n'avait été avalisée. Là même où l'Autorité palestinienne est seule dépositaire du pouvoir légitime, les béliers mécaniques israéliens continuent de raser les masures palestiniennes, de charcuter le territoire pour y bâtir les routes dont Israël estime avoir besoin et, surtout, d'installer des milliers de colons juifs que l'armée israélienne défend ensuite contre le ressentiment palestinien. Jusqu'à maintenant, aucune signature israélienne n'a freiné sur le terrain l'expansion d'Israël. Deux cent mille colons juifs s'enracinent dans le sol pendant que des accords prétendent restituer ce sol aux Palestiniens. Jamais, en dépit de tous les engagements d'Israël, on n'a ralenti l'implantation illégale de colonies juives. Du seul fait que ces faits terriblement observables ne soient jamais pris en compte par les propositions américaines, les Palestiniens comprennent forcément qu'ils ne doivent rien espérer d'un processus de paix qui n'est pas un processus et qui n'interdit pas à Israël de reprendre par la force ce que la négociation lui aurait momentanément enlevé.

Comme si ce n'était pas suffisamment humiliant, deux autres menaces planent sur le peuple palestinien, toutes deux engendrées par la politique intérieure de ses vis-à-vis. Si Ariel Sharon remplace d'ici quelques semaines Ehoud Barak, le recours israélien à la force se fera encore plus écrasant. Quand, à Washington, George Bush aura officiellement remplacé le démocrate Bill Clinton, le soutien américain à Israël se fera sinon plus constant, du moins plus péremptoire. Autrement dit, le peuple palestinien est menacé d'un destin pire encore que celui qu'il subit. On ne se gêne d'ailleurs pas pour le lui faire savoir. On convertit même cette menace en instrument de chantage : pour contraindre Yasser Arafat à accepter l'inacceptable que propose Clinton, on lui fait redouter l'inadmissible dont sont porteurs Sharon et Bush. S'il n'aime pas la poêle à frire, qu'il saute dans le feu!

L'alternative offerte à Yasser Arafat laisse si peu d'espoir aux Palestiniens qu'on les comprendrait de tourner le dos à tout nouveau simulacre de négociations. Quand le dialogue est stérile et humiliant, le refus du dialogue devient presque une hypothèse plausible. Mais ce presque ne suffit pas. Yasser Arafat a raison, malgré tout, de maintenir la porte entrouverte. Il sait, bien sûr, ce qui ne fait qu'augmenter son mérite, que déjà on le présente comme l'entêté, comme le négociateur jamais satisfait, comme celui qui oppose une fin de non-recevoir au souple acquiescement d'Ehoud Barak. Yasser Arafat reçoit ainsi le pire de deux mondes. Il a raison de refuser ce qui, en plus d'être insuffisant, ne sera jamais appliqué, mais on lui reprochera quand même son intransigeance et on lui imputera encore l'échec d'un processus qui n'a jamais eu de prise sur la réalité. Que Yasser Arafat essaie, du fond de cette impasse, de contourner les offres américaines en ne répondant ni oui ni non, on le conçoit aisément.

On changera donc de millénaire sans guérir le chancre qui ronge le Proche-Orient. Le scandale persistera d'un peuple dépossédé et humilié de génération en génération. L'humanité s'enlisera dans un silence qui fut toujours honteux et qui devient complice. L'ONU persistera dans ses péchés d'omission et dans ses surdités sélectives. Elle n'enverra pas de casques bleus pour s'interposer entre les adolescents de l'intifada et les balles des militaires israéliens. Elle ne protestera même plus lorsqu'Israël, en violation de toutes les décences, punira des populations civiles dès qu'un soldat israélien aura été tué. L'ONU finira par ne rien dire quand un président américain désormais sans pouvoir essaiera quand même de s'insinuer dans l'histoire en négociant ce que le Conseil de sécurité des Nations Unies a soustrait à la négociation il y a plus de trente ans.

Difficile de souhaiter une bonne année aux Palestiniens.

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20001228.html

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