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Dixit Laurent Laplante
Paris, le 22 janvier 2001

Poursuivre le processus de réflexion...

Ils étaient quelques-uns, selon les journalistes de Radio-Canada, à « poursuivre leur processus de réflexion » aux fins de décider s'ils seraient, oui ou non, candidats à la succession de Lucien Bouchard. Qu'en termes élégants ces choses-là sont mises! Dire que Pauline Marois, François Legault et Bernard Landry réfléchissent et calculent, ce serait trop simple. Cela ne donnerait pas une juste idée de l'intense méditation à laquelle s'adonneraient ces ministres. Ils ne réfléchissent donc pas, ils poursuivent leur processus de réflexion. S'ils s'avisent de procéder à des sondages, j'imagine qu'on nous dira qu'ils s'appliquent à se rendre perméables à l'expression informelle de la sagesse populaire...

Le résultat, que l'on préfère la formule ampoulée ou celle, plus brutale, qui évoquerait tout bonnement la réflexion, la planification ou le calcul, sera le même : les candidatures seront nombreuses ou pas, inexistantes ou non, selon le rapport coût/bénéfice qu'établiront les personnes concernées et le parti. C'est cela qui se cache, et presque rien d'autre, sous la dite poursuite du processus de réflexion. Ce n'est pas un crime de l'écrire et ce ne serait pas un péché de l'admettre. Calculer le rapport coût/bénéfice, ce n'est pas baigner dans la vénalité, ce n'est pas manifester un égocentrisme morbide. C'est une forme de pragmatisme qui incite à n'entreprendre que les bagarres qu'on peut gagner ou dont on peut du moins tirer un avantage. Cela conduit à éviter les pièges que tendent la vanité et le masochisme. Cela incite à se concentrer sur ce qu'on sait faire et qui nous rend socialement utiles. Poursuivre un processus de réflexion, c'est, une fois décryptée la langue radio-canadienne, vérifier ses chances de l'emporter, mesurer les inimitiés qu'on va provoquer, se situer par rapport à l'éventuel vainqueur, parfois préparer l'après-demain. Quand le parti s'adonne de son côté à ces discrètes auscultations, c'est pour évaluer lui aussi les coûts et les bénéfices. Le parti, qui pèse lourd dans tout changement de la garde, met en balance la visibilité que donne une course longue, incertaine et dramatique et le risque de briser le parti en deux ou trois écoles qui tarderont ensuite à cicatriser les clivages. Assez d'effervescence pour susciter et maintenir l'intérêt; assez de sérénité pour que tous les candidats se réconcilient à temps pour affronter le véritable adversaire.

Il n'y a aucun cynisme à dire ces choses. Il y aurait plutôt un solide mépris des gens si l'on tentait de maquiller en révisions déchirantes ce qui n'est que la règle du jeu. Ceux et celles qui ont choisi la voie politique sont rarement des gens que va satisfaire un rôle de député. Chacun et chacune se voit ministre. Chaque ministre, de façon continue ou au moins épisodique, s'imagine dans le fauteuil présidentiel. S'il en est ainsi, la réflexion dont on nous parle a eu lieu depuis longtemps et chacun vérifie tout simplement si, pour lui, dans l'état actuel du parti et face au legs que laisse M. Bouchard, le coût prévisible l'emporte sur les bénéfices désirés. Pourquoi faudrait-il nier cela?

L'analyse du rapport coût/bénéfice varie assurément selon les candidats. Psychologiquement, le vice-premier ministre Bernard Landry se carre depuis longtemps dans le fauteuil du premier ministre. Il s'est conduit en fidèle lieutenant sous toutes les directions, comme doit le faire celui qui compte exiger un jour la discipline. M. Landry aurait sans doute préféré rencontrer un minimum d'opposition pour ensuite rallier tout le monde et incarner la capacité de gérer en même temps que la capacité de compassion. Triompher sans avoir obtenu le ralliement des nombreux nostalgiques de la social-démocratie, c'est insuffisant. M. Landry, en effet, n'a pas besoin de l'adoubement des gens de la finance, puisqu'il l'a déjà, mais il lui faudrait l'aval de ceux qui souhaitent retrouver une différence entre le Parti québécois et le Parti libéral. M. Landry a d'ailleurs assez de métier pour le savoir. Dans son cas, il n'y a pas poursuite d'un quelconque processus de réflexion.

Madame Marois voit forcément les choses sous un autre angle. On lui reconnaît une plus grande capacité de compassion, une meilleure aptitude au dialogue et aux gestes de solidarité, mais il n'existe pas pour elle de possibilité de couronnement. Si Pauline Marois devient première ministre, ce sera au terme d'un affrontement qu'elle semble pourtant redouter. Des risques? Si on oublie ce qu'une défaite peut avoir de désagréable, il n'y a pour madame Marois aucun risque personnel sérieux. M. Landry devenu premier ministre ne pourrait pas offrir à sa collègue moins que ce qu'elle a présentement. Elle pourrait et devrait bouger. Elle en déçoit plusieurs en retardant; elle en décevra davantage si son désistement se confirme.

Le Parti québécois, on s'en doute, a sa propre opinion sur la question. Là non plus, il n'est pas question de poursuivre un déchirant processus de réflexion. Dans le contexte créé par l'affaire Michaud, la candidature de Pauline Marois lui vaudrait l'appui de personnages comme Jacques Parizeau, Jean Garon ou Yves Michaud lui-même. Au lieu d'une simple transition, c'est à un débat que l'on pourrait aboutir, que madame Marois le veuille ou non. Si madame Marois s'abstient, le couronnement de M. Landry se fait en douceur, le retour en force des « grognards » n'a pas lieu et le parti pousse un soupir de soulagement.

D'autres candidats? La ferveur aurait pu y gagner et la presse l'aurait évidemment souhaité. On ne voit pourtant pas qui, de l'intérieur ou de l'extérieur du conseil des ministres, pourrait s'ajouter avec crédibilité. Le cabinet Bouchard ne regorge pas de personnalités qu'on puisse opposer à Mme Marois et à M. Landry et ce n'est pas la performance d'un François Legault au ministère de l'Éducation qui pourrait modifier cette évaluation. Quant à l'idée de se rabattre sur des candidatures provenant de l'extérieur, elle est théoriquement envisageable, mais comporte un risque majeur : celui de refaire ce qu'on a fait il y a quelques années en faveur de M. Bouchard. Dans le contexte actuel, bien des militants n'auraient pas besoin d'un long processus de réflexion pour se braquer.

M. Bouchard a-t-il donc lancé le Parti québécois dans une impasse? On peut le craindre. D'une part, parce que le style personnel du premier ministre l'a conduit à se constituer un conseil des ministres où l'autonomie personnelle n'était pas la vertu la plus valorisée. D'autre part, M. Bouchard a tant insisté récemment sur les déchirements internes du parti qu'il a rendu inévitable un débat de fond sans doute souhaitable, mais qu'aucun candidat n'est capable d'encadrer. Ces deux facteurs militent irrévocablement en faveur d'une transition feutrée et du couronnement d'un fils du sérail. Pas de débat, pas de déchirements et, surtout, pas de scrutin précipité.

Car tel est l'avantage majeur, aux yeux des nombreux députés qui appuient M. Landry : avec un chef issu du conseil des ministres, le risque d'une élection dès l'automne disparaît. D'ici deux ans, espèrent-ils, la crise provoquée par M. Bouchard se sera résorbée.

M. Charest, qui se voyait déjà en campagne électorale, bénéficiera ainsi d'années supplémentaires pour se doter d'un programme.

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