ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

Dixit Laurent Laplante
Paris, le 25 janvier 2001

Avant de tourner la page Clinton

Clinton s'en va, Bush entre en scène. Pareil résumé, qu'un cinéaste traduirait aisément en une seule image, induit pourtant l'opinion en erreur. Ce qu'a fait et a omis de faire Clinton en huit ans conditionne le présent et l'avenir; ce que l'on sait des intentions de Bush provoque déjà des réalignements dans bon nombre d'États et d'économies. Voir une cassure nette dans ce qui constitue une interface empêcherait de voir la nécessité d'un arrimage entre les deux régimes et le danger qu'il y a à ne pas examiner le legs Clinton.

Les derniers instants de la présidence Clinton ont été, je l'espère, traumatisants. Au tout dernier instant, le président sortant révèle qu'un troc a eu lieu : ses aveux contre une absolution globale et rétroactive. Oui, il a menti. Oui, il s'est parjuré. Oui, il a lancé les salissantes foudres présidentielles contre des femmes qui n'avaient que leurs ressources personnelles et leur vérité à opposer aux mensonges et aux pressions de l'occupant de la Maison blanche. Mais cela ne vaut au glorieux parjure qu'une tape sur les doigts de la part du Barreau de son État et la restitution de sa virginité personnelle. M. Clinton pourra maintenant multiplier les lucratives conférences aux quatre coins du monde avec le sourire angélique du poupon qui vient de naître. Quand le chef suprême de l'exécutif obtient une telle connivence de la justice de son pays, on se demande s'il y a séparation des pouvoirs.

Ce que n'a pas fait le président Clinton mérite aussi l'examen. Il n'a pas remis en cause les aspects vétustes du système électoral américain et n'a donc rien fait pour garantir aux Américains que leur prochain président serait l'homme choisi par le plus grand nombre. Il n'a pas vérifié la pertinence des Grands Électeurs et n'a pas invité les États à harmoniser raisonnablement leurs règles électorales. Le système américain, durable et ingénieux, ne mérite certes pas tous les quolibets dont il a fait l'objet récemment, mais un règne de huit ans aurait dû permettre une minutieuse vérification des assises. Chose certaine, il est choquant d'entendre l'épouse de l'ex-président lancer aujourd'hui son offensive contre les Grands Électeurs, alors que Bill Clinton a traversé deux mandats sans y songer.

Il ne faudrait pas non plus oublier, au moment où les choses risquent d'empirer, que l'administration Clinton a puissamment ramé à contre-courant presque chaque fois que l'humanité a tenté de se civiliser. Les États-Unis, sous la gouverne Clinton, ont fait moins que leur devoir en matière d'environnement, de droits de la personne, de protection des mineurs. Les États-Unis n'ont pas honoré leurs engagements à l'égard de l'ONU. Ils n'ont pas toujours joué franc-jeu avec leurs alliés de l'OTAN. Ils ont tenté d'intimider les pays qui souhaitaient mettre sur pied un tribunal international pour sanctionner les crimes contre l'humanité. Ils ont maintenu des interdits désuets et cruels contre les populations irakienne et cubaine. Ils ont, comme la France, l'Angleterre ou la Russie, contribué directement aux ventes d'armes et multiplié ainsi les risques de conflits partout dans le monde. Si on doit à l'ex-président Clinton la mise en veilleuse du projet américain de bouclier anti-missiles, on ne peut oublier qu'il a longuement flirté avec cette regrettable hypothèse et qu'il ne lui a jamais vraiment coupé les vivres.

Huit ans n'ont pas suffi non plus au président Clinton pour mettre au service de l'humanité les mécanismes que sont l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), etc. Un véritable endossement américain aurait pourtant permis aux efforts européens ou japonais d'atteindre à une masse critique et de renouveler en profondeur les relations entre l'hémisphère de la richesse et celui du dénuement.

Tout n'est pas négatif dans le bilan Clinton? C'est vrai. Le pouvoir législatif sous contrôle républicain a souvent neutralisé les audaces présidentielles? Encore vrai. Tout risque maintenant d'évoluer vers le pire? Je le crains, comme bien d'autres, mais, tout cela pris en compte, il ne faudra pas accuser tout à l'heure l'administration Bush d'ouvrir la porte aux forces de l'enfer si elle ne fait que répéter les gestes de l'administration Clinton.

Certains sujets d'inquiétude ont survécu aux huit années du règne Clinton sans qu'on puisse en faire reproche au seul président sortant. Le crise de l'élection présidentielle américaine a révélé des clivages partisans au sein même de la Cour suprême, mais l'administration Clinton n'a jamais eu l'occasion d'équilibrer les forces en présence ni de nommer des juges sans liens avec les factions.

Au chapitre de la vitalité civique, le bilan de l'administration Clinton ne pèse pas lourd. Les Américains ne votent pas comme devraient le faire ceux qui enseignent la démocatie à la planète. S'ils votent, ils semblent le faire pour se défausser de leurs responsabilités et pour se ménager un bouc émissaire, non pour amorcer une collaboration quotidienne avec les pouvoirs publics. Cela, qui est largement connu et déploré, ne semble pas avoir préoccupé l'administration Clinton, du moins pas assez pour qu'un coup de barre soit donné.

Comprenons bien l'arrière-plan de ce bilan. Il veut, dans un premier temps, imputer honnêtement aux deux administrations que la transition met en contact ce qui relève ou relèvera de chacune. Dans un second temps, le bilan de la période Clinton devrait, en présentant l'état des lieux, donner à ceux qui arrivent le goût et l'occasion de modifier ce qui doit l'être. Quand l'administration Bush aura passé deux ou trois ans au pouvoir, elle ne pourra plus imputer les problèmes à ses prédécesseurs; si elle agit tout de suite, par rapport aux Grands Électeurs par exemple, elle ne courra aucun risque et empochera tous les éloges.

L'histoire, qui a souvent le verdict cruel mais juste, se souviendra que l'administration Clinton s'est déroulée dans une atmosphère de grande confiance économique, mais elle se rappellera, peut-être davantage encore, de sa lenteur à traduire ses velléités sociales et éthiques en gestes concrets.


Imprimer ce texte



ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie