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Dixit Laurent Laplante
Paris, le 12 février 2001

L'étrange parcours d'un ministre en sursis

Si nous devions avaler la version officielle, il n'y aurait, à l'origine de la plus récente mésentente entre les ministres Landry et Legault, qu'une négligeable divergence dans la lecture du budget du ministère de l'Éducation. Comme rien ne nous oblige à pousser la naïveté à un tel sommet, considérons plutôt que le ministre François Legault a cherché dans un programme mal bâti un prétexte pour quitter presque élégamment la vie politique, qu'il a mal utilisé cette mauvaise excuse et qu'il est en sursis. Regrettons du même coup que tant d'hommes politiques traitent les citoyens comme des cruches à remplir.

M. Legault a agréablement étonné quand il a laissé entendre que les universités québécoises pouvaient faire mieux. Ce fait, que le lobby universitaire niera avec véhémence, aurait dû être admis depuis des décennies, mais de multiples ministres de l'Éducation s'étaient succédé en évitant soigneusement le sujet. Jusqu'à ce que M. Legault ose l'aborder. M. Legault, malheureusement, ne garda pas le cap bien longtemps. L'amélioration qu'il souhaitait, il était prêt à l'acheter. Autrement dit, il ne demandait pas aux universités de faire mieux avec leurs budgets actuels, mais de faire mieux avec plus d'argent. Les universités, qui préfèrent scruter les problèmes des autres que de se reconnaître imparfaites, ont daigné réfléchir à l'offre du ministre, puis, sans le moindre enthousiasme, l'accepter. En n'admettant jamais, cela va de soi, avoir dérogé à l'excellence.

Puis, sans qu'on sache exactement pourquoi, l'exigence du ministre Legault acheva de s'effilocher. Les contrats de performance n'astreindraient pas les universités à des évaluations récurrentes, mais à un seul et unique survol. Surtout, les critères d'évaluation avaient perdu toute fiabilité. Si, en effet, une université est dite plus performante dès qu'elle multiplie ses diplômes, chacun a le droit de se demander si le diplôme a toujours la même valeur. M. Legault ne semble pas s'être aperçu qu'il avait conclu un marché de dupes.

M. Legault, fort de ce succès, s'est senti l'étoffe d'un premier ministre. Ils n'étaient pas nombreux autour de lui à partager ce diagnostic. Quand il devint évident que M. Landry avait une avance insurmontable sur tout autre candidat, M. Legault dut réviser ses ambitions à la baisse. On parla alors d'un tandem formé de Pauline Marois et de François Legault et destiné à contrer l'offensive du vice-premier ministre. La petite histoire nous racontera un jour de façon plus claire le bizarre parcours que suivit alors M. Legault, mais ceci semble déjà probable : M. Legault a cru pouvoir jouer sur tous les tableaux. Tout en tendant la main à Pauline Marois, il présentait à Bernard Landry sa liste de « conditions ». Elles révélaient dans l'ensemble une telle inexpérience politique que le vétéran Landry y trouva sans doute une bonne occasion de rigoler. Le problème, c'est que M. Legault s'empêtra dans ses astuces couleur de muraille et provoqua exactement l'inverse de ce qu'il recherchait : la colère de Pauline Marois et un rapprochement entre elle et M. Landry. Dès cet instant, les jours de M. Legault comme ministre majeur étaient comptés.

M. Legault, semble-t-il, a fini par le comprendre. Il n'allait pourtant pas, après avoir rêvé du poste suprême, se laisser repousser sans mot dire vers un emploi subalterne ou même vers la sortie. Une fois encore, il surestima ses forces. Il laissa entendre que le gouvernement reculait sur les engagements contractés au sujet du financement de l'éducation supérieure. Il s'octroya ensuite le rôle prestigieux du croisé défendant des valeurs sacrées. Il n'allait pas, lui, accepter ce qu'eux, les vilains, consentaient à faire. Dressé héroïquement contre le Conseil des ministres, il dirait à la population qu'on refusait au ministre de l'Éducation l'argent déjà promis. Rôle magnifique que celui du chevalier juché sur son destrier blanc, à condition cependant d'en avoir l'étoffe.

M. Legault, une fois de plus, a attiré la foudre sur sa tête. Il a provoqué une réplique cinglante et immédiate de M. Landry, ce qui était prévisible, mais il a aussi indisposé à peu près tous ses collègues du cabinet. Bien peu d'entre eux s'exprimeront librement en présence d'un homme qui peut, à tout instant, à tort ou à raison, raconter la teneur de débats confidentiels. Certes, d'autres hommes politiques l'ont déjà fait, mais ils tiraient ensuite la conclusion logique : ils allaient faire autre chose. Longtemps après le fameux Lac-à-l'Épaule, on a su que la nationalisation de l'électricité n'avait pas séduit d'emblée chacun des ministres de Jean Lesage. Au cours de la campagne électorale qui s'est engagée ensuite autour de ce projet, l'équipe libérale a quand même feutré ses divergences et manœuvré dans l'unité. On se range ou on quitte.

Que M. Legault ait sincèrement pensé qu'on l'empêchait de tenir ses engagements, cela se peut. Cela est peu probable, mais cela se peut. Dans cette hypothèse, il avait devant lui une alternative : ou bien il se ralliait à son corps défendant à la décision du Conseil des ministres, ou bien il faisait de sa dissidence une question de principe et démissionnait. M. Legault n'a pas compris qu'il ne peut pas avoir à la fois les pouvoirs d'un ministre et la liberté romantique du décideur solitaire.

M. Bouchard a quand même choisi, en efficace médiateur qu'il est, de ne pas choisir. Il a interrompu son voyage autour du monde pour venir donner à ses deux ministres le cours de mathématiques 101 et pour réduire la crise à un simple malentendu. M. Legault a peut-être même l'impression qu'il a eu gain de cause contre M. Landry et contre le Conseil des ministres. Il ferait cependant un autre mauvais calcul s'il s'abandonnait à cette illusion : il est en sursis.


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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie