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Dixit Laurent Laplante
Paris, le 26 février 2001

Style et substance de Bush

Les maîtres sondeurs nous affirment que les deux courbes se sont croisées et qu'elles poursuivent leur route vers des niveaux différents. La popularité de l'ex-président Clinton, hypothéquée par les scandales qui n'en finissent plus d'émerger, subit une baisse marquée, tandis que le président Bush obtient l'aval d'une proportion croissante des Américains. Non seulement cette évolution découle-t-elle de divers facteurs, mais encore elle peut exprimer des opinions bien différentes. Qu'approuve-t-on, en effet : la clarté avec laquelle le nouvel ordre s'affirme ou la nature de cet ordre?

C'est en bombardant l'Irak jusqu'aux portes de Bagdad que l'administration Bush a entamé sa trajectoire internationale. Certes, il y avait eu des déclarations, à propos du bouclier antimissiles par exemple, mais pas de geste clair avant celui-là. Les raids anglo-américains sur l'Irak sont même porteurs de plusieurs messages. Ils signifient, pour l'opinion américaine, que l'heure n'est plus aux atermoiements de l'ère démocrate et qu'il manque un chapitre à la guerre du Golfe. Celui que rêvent d'écrire George W. Bush et Colin Powell, celui dans lequel le fils Bush dépassera son père et qui permettra à Colin Powell d'abattre enfin le président irakien qui le nargue depuis dix ans. Dans les capitales étrangères, la désinvolture de l'attaque provoque d'autres réflexions. Entre autres, celle-ci : l'administration Bush n'a que faire de l'ONU, du Conseil de sécurité, de l'OTAN, des instances internationales en général, de tout ce qui n'est pas américain. Washington met Londres dans le secret, mais n'informe ni la France ni la Russie ni la Chine. Pas la moindre déférence à l'égard du Conseil de sécurité, pas le moindre souci des susceptibilités russe, française ou chinoise.

Le hasard aura pourtant voulu que l'opinion européenne, celle de la France en particulier, soit saisie, au moment même de ces raids, d'un afflux croissant de réfugiés venus de l'Irak et de ses environs. L'administration Bush n'a pas créé le problème, mais elle durcit une politique dont les effets pervers sont patents et vont s'appesantir. À sataniser Saddam Hussein, Washington a abouti à isoler l'Irak. Loin d'affaiblir la tyrannie du régime de Bagdad, on a plutôt appauvri la population irakienne. Un pays développé a été lancé par Washington sur la pente descendante du chômage, de la faim, de la maladie, de la mortalité infantile. Menacées à domicile et dans les airs, coïncées entre un despote et les ennemis de leur despote, les populations se mettent en mouvement et font pression sur les frontières des pays voisins. La France, qui n'est pas la destination la plus courante des Kurdes irakiens, réagit de son mieux devant le millier de réfugiés qui lui sont arrivés par la mer ces jours derniers. L'Autriche, au cours de 1999, a intercepté à ses frontières 40 000 clandestins de diverses origines. Elle en dénombrait 20 000 pour le premier semestre de 2 000. L'Italie, plus souvent mise à contribution, rapporte les chiffres suivants1 : des 18 000 demandes d'asile présentées par des clandestins, 5 600 provenaient de ressortissants kurdes, 3 400 d'Irakiens et 2 100 de Turcs. Même s'il n'est pas toujours facile de distinguer entre le Kurde et l'Irakien, il est quand même permis d'évoquer un lien entre le sort infligé à l'Irak et la transhumance imposée à l'Europe de l'ouest. Isoler, bombarder, affamer, tout cela constitue le déclencheur de la panique et de l'émigration. Que Saddam Hussein soit un dictateur et qu'il ait réservé à sa population kurde certaines de ses pires salves, cela ne fait de doute pour personne. Cela ne justifie ni l'embargo maintenu contre l'Irak ni les bombardements qu'on y pratique à la Rambo. L'administration Bush perpétue ce que le régime Clinton avait de moins sympathique. Le style est plus fracassant, le contenu aussi peu ragoûtant.

En ce qui touche à l'éventuel bouclier antimissiles, la différence est peut-être plus substantielle entre le régime Clinton et l'administration Bush. La différence n'est cependant, pour un temps du moins, que d'ordre idéologique. Autrement dit, les États-Unis de Bush sont aussi éloignés techniquement de la mise au point de leur parapluie antimissiles qu'ils l'étaient aux derniers jours de l'administration Clinton, mais ils se sont rapprochés politiquement et moralement de leur rêve élitiste. La séduction de l'opinion importe plus qu'on ne le croit.

Sous Ronald Reagan, les États-Unis n'avaient certes pas les moyens de truquer à leur avantage la fameuse guerre des étoiles. En mettant de l'avant l'hypothèse d'un bouclier et en le vendant à leur opinion publique, les dirigeants américains obtenaient quand même de leur électorat l'état d'esprit souhaité. Ils pouvaient par conséquent engager des ressources dans la recherche préparatoire et les essais. Si l'administration Bush renoue avec le rêve de Reagan et réussit mieux encore le travail d'endoctrinement, on peut parier que les ressources ne manqueront pas. Or, ce que l'Amérique veut, conquête de la lune, reddition des puissances de l'Axe ou bouclier antimissiles à bénéfice national, l'Amérique se le donne. À propos du bouclier antimissiles, la différence entre l'ère démocrate qui s'est achevée dans le déshonneur et le temps républicain qui commence n'est pas seulement d'ordre cosmétique. Elle est déjà d'ordre idéologique, elle risque fort d'être tantôt spécifiquement militaire. Au grand dam du reste de la planète.

La question du départ demeure posée : sur quoi porte la faveur populaire dont semble jouir la nouvelle administration américaine? Certainement sur le style propre au nouveau président : l'adéquation est plus vite réalisée entre la parole et l'acte. Pour le meilleur et pour le pire. Mais la hausse de la cote de popularité s'explique aussi, et cela n'a rien de réjouissant, par l'aptitude de George W. Bush à épouser les pires tendances américaines à l'impérialisme sous toutes ses formes, dont la militaire.

RÉFÉRENCES :

  • 1 Le Figaro, 21 février 2001

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