ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

Dixit Laurent Laplante
Québec, le 12 avril 2001

Entre le mensonge et la bêtise

Que l'on nous mente ou que l'on nous dise vrai, l'explication offerte pour préserver le secret des enjeux du Sommet des Amériques jusqu'au lendemain de l'événement est déshonorante. De deux choses l'une, en effet. Ou il est vrai que l'on ne possède pas encore les versions portugaise et française des textes soumis à la discussion et il faut en déduire dès maintenant que la zone de libre-échange ne sera pas peuplée de gens égaux, ou on nous ment et on doit comprendre que la mondialisation qui est proposée est aux antipodes de ce que réclamerait la démocratie. Dans les deux hypothèses, ceux qui ont voulu l'événement et l'ont planifié selon leurs valeurs méritent d'être gardés sous haute surveillance de l'opinion publique.

Si, par malheur, il était vrai que les versions française et portugaise des espoirs du Sommet des Amériques n'existent pas encore, il y aurait lieu pour tous les participants, mais plus encore pour le Brésil et le Québec, de s'interroger. Cela pourrait vouloir dire que, avant même de naître, la zone de libre-échange des Amériques met à mal le principe de la diversité culturelle. L'Amérique, comme la conçoit Washington, serait anglophone dans sa direction et hispanophone dans sa main-d'oeuvre de relève. Le portugais et le français seraient quantités négligeables. Pareille lecture de la diversité culturelle des Amériques est trop plausible pour ne constituer qu'un mauvais procès d'intention.

Dans cette hypothèse, le Québec aurait toutes les raisons du monde de s'estimer fort mal servi par le fédéralisme outaouais. Qu'Ottawa refuse au Québec, à cette occasion-ci comme à toutes les autres, de faire entendre sa voix dans les théâtres internationaux, ce ne serait qu'à demi-mal si le gouvernement central présentait correctement le point de vue québécois, si, en l'occurrence, MM. Chrétien et Pettigrew s'étaient inquiétés à temps de l'absence de textes français. Dans l'hypothèse où cette absence serait dûment constatée, la diplomatie fédérale, comme l'assènent Jean Chrétien, Sheila Copps, Stéphane Dion et Pierre Pettigrew, ne pourrait certes pas affirmer que les intérêts du Québec sont aussi bien servis par ses soins qu'ils le seraient si le Québec exprimait lui-même son point de vue. La société distincte ne serait qu'un hochet futile pour amusement domestique.

Il se peut, malgré le caractère plausible d'un oubli, qu'on nous mente et que les retards subis par les versions française et portugaise ne soient qu'un écran de fumée. Sans l'ombre d'un doute, le Québec se serait fait un plaisir de préparer la version française si on la lui avait demandée. Le Brésil, tout aussi prudemment, aurait volontiers assuré le texte en portugais. Si l'on avait craint que des traductions ainsi effectuées édulcorent les versions anglaise et espagnole apparemment privilégiées, il aurait été facile de lever les inquiétudes en recourant à des institutions internationales depuis longtemps rompues à de telles transpositions linguistriques et culturelles. En un mot comme en cent, il est difficile de croire l'explication.

Le plus probable, c'est qu'il fallait jeter du lest et gagner du temps, sans pourtant rien concéder. Il fallait faire une fleur à l'opinion publique qui réclame plus de transparence, mais il ne fallait pas avouer prématurément la gourmandise des puissants. Il fallait révéler quelque chose, mais stériliser d'avance cette révélation. D'un sommet à l'autre, d'un Seattle à un Davos, d'un Prague à un Québec, les ténors de la mondialisation comprennent de mieux en mieux qu'ils ne peuvent humilier à la fois les États et les citoyens. Même les citoyens qui ne s'inquiètent pas quand les conglomérats traitent les gouvernements en satellites et en commis se découvrent une fierté quand la mondialisation demande l'acte de foi et prétend se réaliser dans le secret. Ne pas répondre aux citoyens, c'est ressusciter une force de frappe civique. C'est inciter les citoyens à réclamer de leurs élus et de leurs gouvernements un minimum d'épine dorsale. C'est recréer la connivence entre les citoyens et leurs élus. Ce redressement des pouvoirs publics, les tenants de la mondialisation veulent, sans jeu de mots, en faire l'économie. Il fallait, d'urgence, rendormir l'opinion publique, la calmer, la convaincre qu'il n'y a pas de noir complot et que, oui, bien sûr, les textes sur lesquels vont plancher les Amériques - et certaines Amériques plus que d'autres - seront rendus publics.

Publics, mais pas tout de suite. Publics, mais pas à temps. Façon de dire : « Faites-nous confiance pour quelques jours. » Façon aussi de discréditer les opposants, car on peut, de cette manière, opposer à toutes leurs critiques un global et classique « tout cela est prévu dans les documents qui vous seront remis d'ici peu. » Les opposants ainsi empêchés de toucher au coeur du débat perdront des points dans l'opinion publique. Si les opposants insistent quand même, on aura beau jeu de leur reprocher soit leur violence gratuite soit l'imprécision de leurs questions. Libérés des pressions de l'opinion publique, les gouvernements pourront renouer avec leur myopie et leur lâcheté. Un plus grand nombre de citoyens auront été convaincus que la mondialisation est incontournable. Le Sommet aura atteint ses objectifs.

Triste réalité ou mensonge éhonté, le retard invoqué défend bien mal une mauvaise cause.

RÉFÉRENCES :


Imprimer ce texte



ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie