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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 15 avril 2001

Spectacle vengeur et morbide

L'homme reconnu coupable d'avoir perpétré le geste meurtrier d'Oklahoma City sera exécuté devant un public formé des parents et intimes de ses victimes. La décision de procéder ainsi, même si elle comporte plus de précédents qu'on le croit, témoigne d'une telle méconnaissance des exigences de la justice qu'il faut blâmer autant ceux et celles qui ont réclamé d'assister en direct à l'exécution du terroriste que les autorités qui organisent ce spectacle vengeur et morbide.

Sur ce terrain de la peine capitale, on revient toujours aux réflexions d'Albert Camus et d'Arthur Koestler. Camus entame son analyse sur le rappel de son père. Il l'a bien peu connu, mais dont il en sait ceci : révolté par un crime particulièrement odieux, il avait décidé d'assister à la décapitation de celui que l'opinion publique considérait comme un monstre. Il s'était levé avant l'aurore pour se joindre à des centaines d'autres Algériens et assister à l'exécution publique. « Ce qu'il vit, ce matin-là, rapporte Camus, il n'en dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu'il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s'étendit un moment sur le lit et se mit tout à coup à vomir. »

Ceci se passait un peu avant la guerre de 1914, c'est-à-dire il y a presque un siècle. Que l'on en soit encore à tuer des coupables au nom de la justice montre que la nature humaine éprouve toujours les mêmes dangereux vertiges face à la vengeance. Mais ce n'est là qu'une trompeuse stabilité. Ce qui se passe à Oklahoma City diffère, en effet, des exécutions publiques que pratiquent encore certains systèmes judiciaires.

On a cru longtemps à la force dissuasive des peines. Cette théorie prétendait que le châtiment doit frapper l'opinion en même temps qu'il s'abat sur le coupable. Voir à quelle risque s'expose le criminel devait, pensait-on, détourner du crime ceux qui auraient été tentés de s'écarter du droit chemin. En bonne logique, il fallait donc, pour que l'effet dissuasif de la peine soit poussé au maximum, que tous puissent contempler la rigueur du châtiment. D'où les exécutions publiques.

On connaît la suite. Là encore, les chiffres fournis par Camus fournissent un éclairage brutal : « En 1886 encore, sur 167 condamnés à mort qui avaient défilé dans la prison de Bristol, 164 avaient assisté au moins à une exécution. » Dissuasion? Sûrement pas autant que le prétendent ceux qui croient à l'efficacité des peines dites exemplaires.

Il y avait là, malgré tout, une certaine cohérence. Puisqu'on croyait à la force dissuasive des peines, on avait raison de les infliger devant les foules. Ce qui se passe à Oklahoma City, c'est autre chose. Ce n'est pas pour renforcer dans la population le goût de la bonne conduite qu'on offre en spectacle l'exécution du terroriste. C'est pour garantir aux proches des victimes que le coupable a payé de sa vie. L'exécution n'est pas, comme elle l'était autrefois et comme elle l'est encore en certains pays, un investissement cruel dans la prévention de nouveaux crimes, mais le tribut versé à l'instinct vengeur des personnes touchées par le crime. On devrait pourtant savoir qu'une justice qui doit trop à la vengeance ramène la société entière à la loi de la jungle.

Bien sûr, ce ne sont pas les victimes qui ont mené l'enquête. Elles n'ont pas non plus prononcé la sentence de mort. En ce sens, la condamnation à mort est le fait de l'appareil judiciaire et non pas celui des familles éprouvées. L'exécution ordonnée par le tribunal se distingue ainsi du lynchage qu'aurait pu provoquer la colère des proches. Soit. Il n'en demeure pas moins que la décision d'inviter les proches à assister à la mort du terroriste accrédite une assez inquiétante exigence : justice n'est rendue que si les personnes touchées par le crime sont satisfaites du châtiment infligé au criminel.

La peine de mort est, en elle-même, un châtiment excessif. Il n'y a pas de façon décente de tuer un humain. Le crime remporte un triomphe paradoxal quand il conduit la société à se faire meurtrière pour sanctionner les meurtriers. Oklahoma City ne se borne pourtant pas à recourir à la peine capitale. On va au-delà de l'aberration qu'est la peine capitale, car le châtiment suprême, en même temps qu'il constitue une réponse outrancière de la société à la menace criminelle, y devient une légitimation de l'instinct vengeur.

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