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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 24 mai 2001

Le rapport Mitchell, un nouvel Oslo?

Il est tentant de croire à un renouveau. Quand Kofi Annan se découvre le courage de blâmer l'administration Bush pour son rejet du protocole de Kyoto, l'espoir renaît chez les écologistes. Quand la Commission des droits de l'homme entreprend un triennat sans le concours des États-Unis, on a l'impression que, malgré tout, le bon sens retrouve une certaine gaillardise. Quand le rapport Mitchell établit sans fioritures les conditions d'une véritable paix au Proche-Orient, on comprendrait les Palestiniens de ressentir enfin un peu d'optimisme. Mais voilà que Colin Powell édulcore tellement le rapport Mitchell que, du coup, ce document incomplet, mais clair et sensé, semble promis au même sort que les accords d'Oslo. Pendant ce temps, Ariel Sharon s'abandonne à ses instincts guerriers et promet pire. Quelques hirondelles, mais peut-être pas encore le printemps.

Inviter Israël et les Palestiniens à réamorcer le processus de paix, ce n'est pas sérieux. Certes, la paix demeure l'objectif ultime, mais la paix ne peut entamer son cheminement que si les préalables dont parle le rapport Mitchell sont fournis. Ou les mots ont un sens et les préalables sont ce qui précède la négociation, ou Israël et les États-Unis ont préséance sur le dictionnaire et peuvent retirer aux mots leur sens obvie.

Un préalable est, selon tout dictionnaire, ce qui doit être fait d'abord. La question préalable, qui peut empoisonner n'importe quelle assemblée délibérante, c'est celle qui coupe court aux débats et qui dispense de l'examen d'une question. En l'occurrence, les préalables dont parle le rapport Mitchell sont précisément ce qu'Israël rejette ou prétend négocier. Si les propos de Colin Powell traduisent bien sa pensée, les États-Unis aussi rangent les préalables du rapport Mitchell parmi les éléments négociables. Autant dire qu'aux yeux d'Ariel Sharon et de Colin Powell, aucun préalable n'est exigible et tout est négociable. Autant dire que, tout en faisant semblant d'y souscrire, Sharon et Powell rejettent le rapport Mitchell.

De quels préalables est-il donc question dans le rapport Mitchell? Il y a en plusieurs, mais d'abord et avant tout celui-ci : gel immédiat de l'implantation de nouvelles colonies israéliennes en territoire palestinien. La commission déclare d'ailleurs explicitement qu'aucune négociation n'est pensable, qu'aucun processus de paix de peut s'enclencher sans ce gel. Ou l'on accepte ce préalable, ou l'on perd son temps.

À cette exigence aussi claire que possible pour tout esprit de bonne foi, Israël répond par diverses esquives qui ont en commun de déporter le préalable dans la zone du négociable. Israël commence par affirmer qu'il n'y a pas de nouvelles implantations. Quand des médias israéliens révèlent qu'il s'agit là d'une fausseté et que la colonisation par Israël du territoire palestinien n'a jamais cessé et même s'accélère, Israël recourt à nouveau distinguo : les nouvelles colonies ne font que répondre aux besoins démographiques de la population israélienne. Quand les mêmes médias mettent à mal cette nouvelle affirmation, Israël balaie les objections et déclare que, de toutes manières, il faudra négocier le gel de ses projets de colonisation. L'intransigeance vient ainsi à la rescousse des sophismes; ensemble, ils font du rapport Mitchell un triste cousin des accords d'Oslo. De ces accords, on sait qu'Ariel Sharon considère qu'ils n'ont jamais existé; du rapport Mitchell, on doit comprendre qu'Israël en fait une lecture délibérément déformante. Ce qui n'embellit pas la situation, c'est que Shimon Pérès lui-même, l'amnésique apôtre de la paix, emploie les derniers feux d'une carrière respectable à défendre ce qu'il sait faux.

Peut-on, à défaut d'espérer de la part d'Ariel Sharon autre chose que des cris de guerre, attendre des États-Unis une lecture correcte du rapport Mitchell? Si cela se produisait, Israël ne pourrait plus faire porter aux Palestiniens la responsabilité de la principale violence. Le rapport Mitchell, en effet, demande aux deux parties de se prononcer clairement en faveur de la paix, mais c'est à Israël qu'il demande les gestes les plus concrets : gel de la colonisation, repli de l'armée sur les positions plus anciennes, modération dans les représailles, etc. Que Washington lise correctement et endosse le rapport Mitchell signifierait que, pour la première fois, l'allié inconditionnel et tout-puissant d'Israël regarde le Proche-Orient avec presque de l'impartialité. Est-ce trop demander?

En temps normal, oui, ce serait trop demander. Dans le contexte actuel, il est permis de rêver. Sans naïveté excessive, cependant. L'administration Bush a commencé son règne sur le ton du colosse qui entre au bar du coin en roulant ses manches de chemise. On allait voir ce qu'on allait voir. Le bouclier antimissiles serait mis au point, avec l'accord des alliés si possible, en se moquant de leur opinion si nécessaire. On allait mettre la Chine au pas. On allait retirer les GI des points chauds balkaniques et abandonner l'Europe à ses démons. On allait faire le tri parmi les accords et les protocoles internationaux, bloquer ceux qui déplaisent, effacer ceux qui irritent vraiment trop. George W. Bush n'a que lui à blâmer si Ariel Sharon a compris du style matamore du nouveau président américain qu'il pouvait, sous son aile, envoyer paître la planète lui aussi. Sharon, bien sûr, n'avait pas besoin d'encouragement pour lancer sa foudre, mais le comportement du président Bush fut pour lui un défi.

La réalité, heureusement, est peut-être en train de rattraper l'administration Bush. La morgue américaine a provoqué un sursaut d'impatience dans la communauté internationale. Ce n'est pas vrai, a-t-on fini par dire, que l'économie américaine passe avant l'intérêt planétaire. Ce n'est pas vrai que la Chine remettra rapidement aux Américains l'avion-espion qui s'est posé en territoire chinois. Ce n'est pas vrai que les États-Unis conserveront leur siège inamovible à la Commission des droits de l'homme tout en imposant la peine de mort même à des mineurs et à des handicapés mentaux. Autant de signes qui apparaissent dans le ciel et que l'administration Bush pourrait commencer à décoder.

Pas de naïveté excessive cependant. Quand Colin Powell charge l'ambassadeur américain en Jordanie de tenter un rapprochement entre Israël et les Palestiniens, il bafoue le rapport Mitchell et démontre qu'il ne veut pas, lui non plus, considérer qu'un préalable est un préalable. La question demeure celle-ci : les États-Unis, qui ont nommé la commission Mitchell, adhérent-ils, oui ou non, au rapport Mitchell? Jusqu'à ce que Powell ou Bush réponde à la question, mieux vaut que, de toutes parts, s'intensifie le travail de démystification. Peut-être le mensonge et le sophisme perdront-ils peu à peu de leur efficacité.

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