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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 31 mai 2001

Droite unie ou simple bon sens?

Parmi les multiples inepties proférées ces jours derniers par le chef du Parti libéral du Québec, une vérité détonnait : Jean Charest frappe juste quand il estime que le gouvernement fédéral de Jean Chrétien a présentement la vie trop facile. M. Charest revenait cependant à son habituel niveau d'analyse quand il proposait comme remède au béat contentement des libéraux fédéraux un étrange et impensable front commun des quatre principales provinces canadiennes. Abordant le même sujet, l'ancien premier ministre conservateur, Brian Mulroney, suggère, quant à lui, de regrouper tous les partis d'opposition sous un même parapluie. L'hypothèse est déjà plus sensée, mais l'actuel chef conservateur, Joe Clark, est peut-être en train d'inventer mieux qu'une structure.

Il faut toute la superficialité de Jean Charest pour parier même un dollar déplumé sur un quelconque front commun interprovincial. Il lui suffirait de lire Claude Morin pour savoir quel sort attend les diverses variations sur ce thème. La lubie de Jean Charest, en plus de révéler une assez belle ignorance de notre histoire politique, présente l'inconvénient de laisser sur la touche plus de la moitié des provinces. Pareille conception de la démocratie est difficile à défendre.

Brian Mulroney, auquel le temps qui passe donne des airs de serein vétéran des luttes politiques, a profité de sa plus récente conférence pour admonester les partis régionaux qui morcèlent l'opposition et concèdent ainsi au Parti libéral le titre de seul parti politique de dimensions nationales. Puisque ni l'Alliance canadienne ni le Bloc québécois ne peuvent aspirer à la majorité parlementaire, déclare M. Mulroney, pourquoi ne remettent-ils pas en cause leur pertinence et pourquoi ne reviennent-ils pas, en pécheurs repentis, implorer l'absolution et l'appartenance conservatrices? Aux yeux de M. Mulroney, ces partis n'existent que par caprice et irréflexion et il serait temps que cesse leur bouderie. Prompt à réclamer des tiers partis qu'ils fassent hara-kiri, M. Mulroney, qui a eu le réel mérite de gouverner sans toujours avoir le couteau entre les dents, oublie ceci : les partis régionaux sont souvent nés des maladresses du gouvernement central et de son incapacité à mieux partager le pouvoir. Il fut une époque où le premier ministre Brian Mulroney lui-même n'obtenait que 16 % d'approbation dans les sondages et où son impopularité exacerbait puissamment les tendances centrifuges. Le regroupement est peut-être désirable, mais la fragmentation n'est pas le fruit du hasard et une simple fusion n'étouffera pas le régionalisme.

La démarche choisie par l'actuel chef conservateur semble à la fois plus lucide et plus prometteuse. M. Clark, autrefois victime d'un traquenard du Parti libéral et bousculé ensuite de manière cavalière par le fougueux Brian Mulroney, n'a quand même jamais sombré dans la hargne ou la déloyauté. Il a assumé correctement les rôles qu'on lui confiait et s'est comporté aussi longtemps que nécessaire en modeste second. Il n'a pas blâmé les autres de sa propre inexpérience. Il n'a pas résolu de devenir sournois même si d'autres l'avaient été avec lui. Plus important encore, il n'a cessé, pendant ses années d'éclipse, de réfléchir aux paradoxes canadiens et de préconiser un plus grand respect des différences culturelles et régionales. Cela, qui aurait pu valoir à Joe Clark une auréole glorieuse et stérile et une réputation de sculpteur de nuages, ne l'a pourtant pas empêché de reconquérir ses galons et de mériter de nouveau la confiance de l'électorat. L'homme a prouvé qu'il peut se battre sans se laisser emporter par l'instinct du tueur.

Joe Clark vit aujourd'hui une phase ascendante. Il a triomphé lors du débat des chefs à la fin de la dernière campagne électorale. Il a retrouvé sa place à la Chambre des communes. Il a su talonner Jean Chrétien sans pour autant verser dans les procès d'intentions de Stockwell Day. Alors que l'Alliance canadienne en arrive à compter plus de schismatiques que de fidèles, le Parti conservateur et son chef sont loués par l'opinion publique. Joe Clark, cependant, en homme qui a connu la gloire et l'humiliation, résiste aussi bien au triomphalisme qui serait aujourd'hui compréhensible qu'il a résisté au découragement quand l'Alliance canadienne débauchait les organisateurs conservateurs. Kipling avait raison :

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front
....
Tu seras un homme, mon fils.

La méthode et les perspectives de Joe Clark suscitent ainsi des espoirs infiniment plus séduisants que le fondamentalisme de Stockwell Day, que la diplomatie sirupeuse et anachronique de Brian Mulroney ou que les fronts communs imaginés par Jean Charest. Clark ne se laisse pas piéger par le facile partage de l'électorat en droite et gauche. Ce dont le Canada a besoin, continue-t-il à dire, c'est de bon sens, de respect. Et ces vertus peuvent fleurir sous toutes les latitudes politiques. Ils sont nombreux les électeurs qui, en raison d'horizons bouchés, se sont résignés à Jean Chrétien et qui, sans se caractériser par un penchant vers la droite, se rallieront avec plaisir à la pondération de Joe Clark. Pourquoi faudrait-il leur claquer la porte sur les doigts sous prétexte qu'ils n'appartiennent pas à la mouvance conservatrice? Le Parti libéral de Jean Chrétien a lui-même tellement dérivé vers une parfaite complaisance à l'égard des grands prédateurs du secteur privé qu'il ne peut guère reprocher aux conservateurs de Joe Clark de mépriser l'État. Joe Clark n'exige pas des excuses de ceux qui l'ont laissé tomber ni de serment verrouillé de la part des électeurs qui apprennent à l'apprécier. Il demeure fidèle à lui-même, se montre accueillant, ramène à l'avant-scène les valeurs qu'il a défendues en des temps moins propices. Il se permet même une rafraîchissante absente de calcul quand il ose évoquer, au nez d'alliancistes ambivalents, la décriminalisation de la marijuana. C'est beaucoup. Sans heurt, sans bombement de torse, Joe Clark fait le plein des électeurs qu'agresse l'arrogance libérale et que déçoit le glissement du pays vers l'insignifiance et la servilité.

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