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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 5 juillet 2001

Questions marécageuses, résultats douteux

Sans doute parce que l'information estivale doit déferler malgré le ralentissement de l'actualité, on succombe encore plus volontiers que d'habitude aux facilités du raccourci. On vient donc de nous servir les résultats d'un savant sondage pancanadien qui porterait, paraît-il, sur l'euthanasie. On en a profité pour insister, assez lourdement d'ailleurs, sur la spécificité québécoise : l'opinion des Québécois serait de 14 % plus favorable à l'euthanasie que celle du Canada anglais. Le problème, c'est que la formulation des questions et l'interprétation qu'on donne des réponses ne permettent pas de savoir si on parle d'euthanasie ou de suicide assisté. On ne sait pas davantage qui doit rougir ou bomber le torse.

La première question dont les médias font état, telle que formulée par la maison Léger Marketing, avait pourtant évité plusieurs des pièges usuels. « Imaginons, demandait-elle, que vous soyez atteint d'une maladie incurable et que cette maladie vous occasionne une souffrance extrême. Personnellement, souhaiteriez-vous qu'on vous aide à mourir? » On évitait ainsi les mots trop chargés d'émotivité ainsi que les pièges idéologiques. On dirigeait habilement le réflecteur vers la préférence de chaque conscience et on améliorait les chances de savoir si les citoyens de ce pays et de ce demi-pays considéraient comme toujours sacrée et intouchable une existence vidée d'espoir et de bien-être. La réponse, de ce fait, se dessine sans équivoque : une nette majorité (57 %) des Canadiens souhaitent que, dans les circonstances décrites, on les aide à mourir, tandis qu'au Québec ce sentiment se retrouve dans 71 % des réponses. C'est également au Québec que le pourcentage d'indécis ou de discrets est le plus bas.

À lire correctement cette question, il est patent qu'elle ne porte pas sur l'euthanasie, mais sur le suicide assisté. Dès lors, titrer, comme le fait Le Journal de Québec, « Les Québécois très ouverts à l'euthanasie » semble relever du jaunisme ou de l'incompétence, peut-être même des deux. À la décharge du média, on doit préciser que la manchette du Journal ne fait que reproduire le titre donné par la maison Léger Marketing à son encadré méthodologique : « Sondage sur l'euthanasie ». Le Journal, au lieu d'être seul blâmable, n'est donc qu'un complice inconscient, ce qui n'équivaut pas à un diplôme professionnel.

Ce qui ajoute à la confusion, c'est que le sondage Léger Marketing a, de fait, posé, dans le même cadre que la précédente, une question qui ne départage pas clairement l'euthanasie et le suicide assisté. « Selon votre avis personnel, demandait-elle, une personne ayant aidé à mourir un membre de sa famille immédiate atteint d'une maladie incurable lui occasionnant une souffrance extrême devrait-elle être poursuivie en justice? » Ayant aidé est ici, en effet, un modèle d'ambiguïté.

Car rien, dans cette formulation, ne permet de cerner l'enjeu avec rigueur. Tout change selon que la mort est décidée par le malade ou par un de ses proches. Si la personne souffrante et promise à la mort demande qu'on l'aide à mourir, le proche qui accède à cette demande ne fait que rendre possible le suicide voulu par un malade qui ne peut le réaliser sans aide et c'est tout. Si, au contraire, le malade ne demande rien, mais souffre de façon intolérable et ne peut espérer la guérison, le proche qui le fait basculer dans la mort par compassion ne contribue pas à un suicide, mais à un meurtre par compassion. Dans ce cas, il s'agit d'euthanasie. Le dictionnaire définit ainsi l'euthanasie : théorie selon laquelle il est légitime de supprimer les sujets tarés ou de précipiter la mort de malades incurables pour leur épargner les souffrances de l'agonie.

Le problème provint de ce que cette deuxième question ne présente clairement ni la première ni la seconde de ces deux hypothèses. Elle évite tout terme brutal qui aurait pu biaiser la réponse et c'est heureux. Elle s'abstient donc de parler de « meurtre par compassion ». Toutefois, elle laisse ainsi dans l'imprécision l'hypothèse de l'euthanasie. Pire encore, elle laisse entendre, mais sans le dire nettement, que le malade a peut-être eu quelque chose à voir avec la décision de provoquer la mort. La question, ambigue à l'extrême, évoque « une personne ayant aidé à mourir », mais elle ne précise pas de qui vient la décision de provoquer la mort. Il peut s'agir, mais nous n'en sommes pas certains, d'une personne qui, de son propre chef, a pris la décision d'interrompre l'existence d'un proche et qui a posé le geste fatal sans avoir reçu une demande de la part du malade. En effet, aider à mourir peut vouloir dire, comme dans le cas de Robert Latimer, un meurtre par compassion et donc l'euthanasie; mais aider à mourir peut vouloir dire, comme dans la demande de Sue Rodriguez, aider cette femme à se suicider. Ce n'est pas du tout la même chose, mais la question du sondage ne permet pas de savoir ce qu'ont compris les personnes interrogées ni ce qu'elles ont décidé.

Du coup, plusieurs des interprétations offertes par la maison de sondages perdent tout fondement. On sait qu'une majorité de Canadiens et 71 % des Québécois sont favorables au suicide assisté dans leur cas personnel. On sait qu'une majorité s'objectent à l'entrée en scène des mécanismes judiciaires dans le cas où une personne aide un proche à mourir, mais on ne saurait affirmer que l'ensemble des personnes interrogées ont toutes compris la même chose. Certaines personnes ont sans doute voulu approuver l'euthanasie, tandis que d'autres ont plutôt pris la défense du suicide assisté. Aucune conclusion ferme n'est possible à propos de l'euthanasie. Bel exemple de confusion.

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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie