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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 13 août 2001

Entre la force et le désespoir

Nouvel attentat suicide palestinien avec sa triste et longue liste de morts imméritées, nouvelle riposte militaire et symbolique d'Israël avec son cortège d'humiliations et d'abus. Le cycle enclenché oppose sans fin prévisible la force au désespoir. La force pousse délibérément le désespoir vers des abîmes sans cesse plus profonds, de manière à créer les conditions propices à une offensive d'envergure et, pense-t-on, déterminante. Et le désespoir suscite des meurtres toujours plus odieux comme s'ils pouvaient briser la sombre logique de la force. Pendant que roule ce cycle démentiel et sanglant, la communauté internationale compte les morts israéliens et palestiniens, répartit savamment les blâmes des deux côtés du fossé et oublie que la force colonise chaque jour un peu plus le sol des désespérés, au point de hisser le drapeau d'Israël sur la Maison d'Orient, symbole palestinien de première grandeur.

Tout être pourvu d'entrailles éprouve un haut-le-coeur devant une tuerie qui emporte une quinzaine d'innocents. S'agirait-il de soldats que le réaction ne serait pas la même. Mais une dénonciation de l'attentat, comme celle qu' a lancée le premier ministre canadien, n'est que verbiage inutile : l'auteur a déjà payé son crime de sa vie. Punir l'attentat suicide en frappant la communauté palestinienne, ce n'est certes pas justice. Même le code criminel canadien, qui ne brillait pas par sa cohérence, a fini par exclure de la liste des crimes punissables la tentative de suicide. M. Chrétien ne semble pas au courant. Ergoter sur le thème de l'horreur, comme Jean Chrétien vient de le faire, c'est ne pas comprendre que le terrorisme pratiqué par des kamikazes possède des caractéristiques particulières et s'alimente à une source incontrôlable. On ne peut le punir de façon légitime et il existe bien peu de manières correctes de le prévenir. Même une armée et des services secrets aussi omniprésents que ceux d'Israël ne réussiront jamais à neutraliser le terroriste qui croit suffisamment à sa cause pour ne se réserver aucune porte de sortie; ils n'y parviendront qu'à condition de s'enliser encore plus qu'aujourd'hui dans un terrorisme d'État aussi illégitime et encore plus dangeeux.

Certes, l'occupation par Israël de la Maison d'Orient semble une riposte pondérée à un attentat suicide extrêmement sanglant. Ce n'est peut-être pas si simple. D'une part, on peut penser que l'occupation par Israël de ce centre d'animation palestinien visait à saisir des documents et peut-être à obtenir de l'information sur les personnes prêtes à agir comme kamikazes. D'autre part, cette occupation poursuit dans la dimension symbolique le travail d'érosion que mène Israël contre toute emprise palestinienne sur le sol convoité par l'expansion sioniste. Que ces deux motifs ou un seul d'entre eux aient joué ne change guère les perspectives : cette occupation risque fort de se révéler à la fois insuffisante et dangereuse. Si la saisie de documents conduit à identifier les prochaines bombes humaines, la politique criminelle d'assassinats préventifs s'étendra probablement aux personnes qui, sans avoir un passé terroriste, sont prêtes à mourir dans un attentat suicide. Si la saisie de la Maison d'Orient n'avait pour but que de nier avec plus de clarté les droits palestiniens à une présence politique à Jérusalem-Est, Israël n'aura fait qu'accentuer le désespoir et susciter interminablement de nouvelles candidatures de désespérés. Plus de force, plus de désespoir, plus d'attentats, plus de répression, le cycle continuera.

Ce qui achève de boucher les horizons, c'est le fanatisme qu'introduit dans l'affrontement une certaine exégèse religieuse. Le gouvernement Sharon, en effet, reçoit quotidiennement la dictée d'extrémistes qui tirent leur programme politique d'une certaine lecture de la bible. Il n'est d'ailleurs pas dit qu'Ariel Sharon ait personnellement besoin d'incitations de ce type pour accélérer l'expansion des colonies israéliennes. Lorsque ces tenants de l'interprétation littérale des textes bibliques considèrent comme une volonté divine de replacer les frontières d'Israël là où elles existaient il y a deux mille ans, il n'est plus de traité qui tienne, plus de négociations qui soient possibles, plus de coexistence pensable entre l'État d'Israël et un éventuel État palestinien. L'équivalent d'une Inquisition moderne fonctionne sous nos yeux, dont nos descendants tireront sans doute d'admirables Procès de Jeanne d'Arc.

Un ancien empereur, dont on blâmait l'expansionnisme en lui parlant du droit des autres, répliquait sur un ton moqueur : « Qu'on me montre l'article du testament d'Adam qui m'interdit d'occuper ce territoire! » Tous avaient compris à sa suite que réécrire l'histoire à reculons équivaut à un défi plutôt abrupt. Ce défi, les extrémistes israéliens le relèvent : à grands renforts de textes bibliques, ils exigent l'occupation par Israël des territoires de la Galilée, de la Judée, de la Samarie. Eretz Israël! Et s'il est écrit que le temple de Jérusalem doit être reconstruit, le fanatisme n'accordera aucune importance au fait que Titus ait détruit le temple précédent en l'an 70 de notre ère et que son site n'est pas demeuré vacant depuis lors. Un groupuscule voué à la reconstitution intégrale ira donc poser la première pierre du prochain temple de la manière la plus choquante possible. Sous l'oeil approbateur d'un Ariel Sharon qui a déclenché la reprise de l'intifada par une provocation analogue. La religion, légitime quand elle définit les relations entre Dieu et ses créatures et quand elle laisse à César ce qui appartient à César, devient une intarissable source de conflits quand elle transforme un texte historiquement daté et forcément partial en arbitre suprême. Ce que font les taliban à partir d'une lecture sectaire du Coran, c'est ce que certains fanatiques font faire à Israël au nom d'une lecture aussi peu fiable de la bible.

Entre une force exacerbée par une exégèse intransigeante et un désespoir qui confond dans son regard brouillé les militaires et les simples citoyens, il faut, d'urgence, que s'interpose la communauté internationale. Ou cette communauté existe et agit, ou cette communauté avoue honteusement n'exister que si les États-Unis le lui permettent.

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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie