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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 10 septembre 2001

L'amont, est-ce vraiment vers la source?

Depuis qu'une municipalité ontarienne a vécu le drame mortel d'une contamination de son eau potable, les gouvernants de tout le pays se sentent contraints aux déclarations rassurantes. Ils les accompagnent, selon les ressources financières récemment redevenues disponibles, de promesses chiffrées : des centaines de millions redonneront à l'eau potable sa pleine fiabilité. Québec ne fait pas exception. Le problème, c'est qu'on ne semble pas avoir appris que l'eau coule de l'amont vers l'aval. Mais oui, elle descend!

Contrairement à la croyance populaire, notre société n'en est pas à ses premiers investissements massifs en matière d'épuration des eaux. C'est par centaines de millions qu'on a engouffré les capitaux dans des technologies dites de pointe et inauguré bruyamment les frustrations les plus bellement méfiantes. On a également montré beaucoup de créativité dans le choix des méthodes d'analyse. Des délégations dévouées sont allées en France y étudier humblement la méthode des bassins versants et à Londres pour y admirer une Tamise toute fière du retour des saumons. Même la modeste rivière Chaudière en a été émue.

Jusqu'à maintenant, les résultats fluctuent quand même d'étonnante façon. On a beau distinguer savamment entre les différents usages de l'eau, on ne dégage pas durablement le moindre consensus. Le Saint-Laurent reçoit, selon un cycle difficile à décoder, des certificats de santé ou, au contraire, de déprimantes évaluations. L'élu de la région de Québec qui promettait, il y a une bonne quinzaine d'années, de se baigner au fleuve « prochainement » n'a ni tenu parole ni renouvelé son engagement. Les plages dont le ministre de l'Environnement Clifford Lincoln avait imprudemment confié la surveillance aux municipalités exploitantes sont de nouveau soumises aujourd'hui, fort heureusement, à des tests moins complaisants, mais nul ne prétendrait que leur santé soit définitivement au-dessus de tout soupçon. Surtout au printemps, maintes municipalités invitent les citoyens à faire bouillir l'eau avant de la consommer. Pusillanimes ou prudents, beaucoup préfèrent enrichir l'industrie de l'eau embouteillée. Tableau contrasté et instable, par conséquent.

N'insistons pas sur les aspects purement quantitatifs de la consommation d'eau. Ils témoignent de l'inconscience infantile de la majorité d'entre nous. Chaque Québécois se fait verser quotidiennement 500 litres d'eau. Cette eau est traitée selon des méthodes coûteuses, de manière à ne jamais mettre en danger la santé humaine, mais les humains boivent à peine deux pour cent de ces 500 litres. Le reste? Mille usages se le partagent, depuis le remplissage de la piscine jusqu'à l'arrosage de la pelouse ou le lavage de la voiture.

On constate, par ailleurs, que maints produits indésirés s'infiltrent dans la nappe phréatique et dans les sources d'eau potable parce que les consommateurs, sans la moindre culpabilité de leur part, ne savent pas comment en disposer. On a parlé récemment des shampooings dont on trouve les traces dans l'eau potable. Comment diable éviter qu'il en aille ainsi avec les shampooings disponibles? Combien d'entre nous accumulent dans un placard ou dans la noirceur de leur cave des contenants de peinture presque vides dont ils ne savent que faire? Et combien d'autres, ou les mêmes, effectuent eux-mêmes la vidange d'huile de leur voiture et portent chaque fois sur l'huile usée le même regard interrogatif? Chacun, en plus de mal mesurer l'ampleur du problème, en cherche vainement la solution.

D'où la question : quand les gouvernements promettent des centaines de millions en rénovation des réseaux et des usines de traitement, quelle amélioration pouvons-nous espérer? Autrement dit, pourquoi aurions-nous des résultats plus heureux si nous recourons une fois de plus aux méthodes qui ont préparé nos inquiétudes actuelles? Le scepticisme est de rigueur, car l'eau, quelque soit le raffinement de la gestion qu'on lui applique, entend bien maintenir son indéfectible tendance à couler vers le bas. D'amont en aval. Rien n'indique qu'elle veuille inverser son cours.

En vertu de ce principe, la pollution que l'on autorise en amont continuera à contaminer l'aval. Tant que notre agriculture productiviste à l'extrême, Bacon le film en témoigne, continuera à déverser ses poisons dans la nappe phréatique, les centaines de millions promis par les gouvernements ne pourront que financer à perpétuité des usines de traitement aussi insatisfaisantes que par le passé. L'eau, en effet, descend et elle entraîne dans sa course vers le bas la pollution encouragée en amont. S'il y a pollution à la tête des Grands Lacs, traiter l'eau à Montréal devient une tâche de plus longue durée que l'effort stérile de Sisyphe.

De la même manière, les sommes requises pour l'assainissement des eaux usées n'en finiront jamais de grever les budgets publics, à moins qu'un renouvellement du sens civique nous apprenne à économiser l'eau. Il est, en effet, bizarre que des gens pour qui la température constitue le principal sujet de conversation ne puissent pas constater par eux-mêmes qu'une sécheresse sévit et qu'il faille interdire par règlement des arrosages que le simple bon sens devrait condamner. Traiter 500 litres d'eau par personne par jour, alors que le véritable besoin d'eau potable tourne autour de dix litres, c'est à la fois puéril et masochiste.

Pour que, vague après vague, affolement après affolement, sévisse toujours cet infantilisme coûteux, il est permis de penser qu'il fait le bonheur de quelqu'un. Certainement le bonheur de ceux qui tiennent tellement au profit immédiat de leur exploitation agricole qu'ils en oublient de tenir compte des coûts et des risques sociaux et qu'ils n'évaluent même pas les dommages causés par la pollution au sol qui les fait vivre. Cet infantilisme coûteux profite également à une certaine industrie de l'épuration, ingénieurs compris, qui voit dans la pollution effectuée en amont un problème agréablement et interminablement rentable. Il semble même que beaucoup de nos gouvernants préfèrent se gargariser de promesses d'aide à l'épuration au lieu d'intervenir, par la recherche de nouvelles technologies et l'éducation du public, à la source des problèmes. L'amélioration qui semble se produire à propos des millions de pneus usés devrait pourtant instruire qui veut l'être : la consigne de quelques dollars imposée lors de l'achat de pneus est un bon exemple d'une intervention à la source.

Pourquoi un principe de physique élémentaire ne prendrait-il pas du service dans la gestion de l'eau? Un Galilée moderne ne pourrait-il pas dire, avant une nouvelle valse de centaines de millions : « Oui, mais l'eau coule... »?

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