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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 27 septembre 2001

En ces temps de propagande

Il faut évidemment s'incliner dans un silence respectueux devant les milliers de morts causées par les attentats de New York et de Washington. Mais il faut aussi, précisément à cause de ces morts, veiller à ce que la barbarie qui les a causées ne soit pas combattue, puis remplacée par une autre négation de la démocratie et des valeurs qui en constituent le fondement. Cela n'est pas une crainte née d'une quelconque divagation, mais une inquiétude dictée par le fait observable que bien des intérêts n'hésitent pas à profiter des attentats pour ébranler les valeurs démocratiques, l'information au premier chef.

Les exemples d'assauts délibérés contre l'information surabondent. Quand, par exemple, le président Bush annonce le déclenchement d'une guerre économique contre les réseaux terroristes qu'animerait ben Laden, il ne fait que répéter le geste posé aussi glorieusement et aussi stérilement par son prédécesseur, le démocrate Clinton. À moins de modifier en profondeur les règles économiques actuelles dont les États-Unis tirent avantage plus que quiconque, on n'empêchera pas l'argent, propre ou sale, de circuler en toute impunité. Or, ces modifications ne se feront pas. Le spectacle offert par Bush vise donc à détourner l'attention des véritables objectifs.

Quand le président Bush et le premier ministre Chrétien font semblant de s'être entendus pour ne pas définir avec précision la contribution canadienne à la lutte contre les réseaux terroristes, tous deux se paient allègrement notre tête. Depuis déjà belle lurette, le Canada est, comme d'autres pays censément anglo-saxons, un relais docile dans l'espionnage planétaire pratiqué par le réseau Echelon et il est évident que les États-Unis comptent sur un effort canadien décuplé. Si, dans cette veine, on lit Moi, Mike Frost, espion canadien, on constate que le Canada, entre autres services discrets rendus aux États-Unis, se fait un devoir et un plaisir d'enquêter selon les besoins américains. Quand cela concerne des citoyens américains, le FBI et la CIA ont alors beau jeu de jurer sur la sacrosainte constitution américaine que jamais les services secrets américains ne commettent d'intrusion dans la vie privée de leurs concitoyens. Le Canada le fait à leur place. Le Canada a d'ailleurs souvent rendu des petits services de ce genre, par exemple en testant des hallucinogènes sur des cobayes humains dans un grand établissement hospitalier de Montréal. Il aura fallu que l'épouse d'un député fédéral subisse elle-même ces tests pour que l'opinion en soit saisie.

Quand les médias, fidèles stentors de la propagande guerrière, affirment que les taliban sont de plus en plus isolés, ils négligent de rappeler que, bien avant les attentats de New York et de Washington, bien peu de pays avaient reconnu le nouveau gouvernement de Kaboul et que l'isolement avait déjà presque atteint le sommet d'aujourd'hui. Petit changement, grosse nouvelle.

Quand, tout récemment encore, l'administration Bush faisait semblant de n'avoir aucune prise sur Israël, on abusait, là aussi, de notre candeur. La preuve, en effet, s'étale devant nous : quand les intérêts américains exigent que le monde arabe se montre conciliant, les États-Unis parviennent aisément à mettre un frein aux intrusions d'Israël dans les territoires palestiniens. Pourquoi ne pas l'avoir fait avant?

Alors que Washington prétend avoir obtenu l'aval d'à peu près toutes les capitales pour un effort concerté contre le régime des taliban et, plus largement, contre le terrorisme international, une vérification même sommaire révèle que cette concertation s'édifie sur une série de maquignonnages et occulte bien des réticences. Ils sont nombreux, par exemple, les pays qui insistent pour que l'ONU jouent un rôle plus important, pour que les États-Unis fournissent enfin des preuves de l'implication de ben Laden dans les attentats, pour qu'intervienne un tribunal international chargé d'examiner la preuve américaine et d'établir la culpabilité de ben Laden, pour que les populations civiles ne fassent pas les frais d'opérations militaires ressemblant à celles qui ont dévasté Belgrade et qui dévastent encore une partie de l'Irak. L'information disponible ne dit pas grand-chose des tractations qui, paraît-il, ont amené le Pakistan dans le camp américain, mais qui n'ont pas encore convaincu Islamabad de tolérer des troupes américaines sur son sol. On sait, cependant, n'en déplaise à la propagande répandue par Washington et répercutée servilement par trop de médias, que les États-Unis ont accepté de ne plus s'inquiéter des essais nucléaires effectués par le Pakistan et l'Inde qui constituaient pourtant à leurs yeux un danger extrême il n'y a pas longtemps. On sait aussi que les États-Unis ne se préoccupent pas plus de l'absence de démocratie au Pakistan qu'ils ne se scandalisaient d'une absence comparable de démocratie au Koweit et en Arabie saoudite au temps de la guerre du Golfe. La démocratie était pourtant une condition d'admission au récent Sommet des Amériques, au point d'en exclure Cuba.

La propagande assenée par l'administration Bush est parvenue (ou presque) à faire oublier aux Américains eux-mêmes les assauts déjà lancés victorieusement contre leur propre démocratie. Le pouvoir législatif a si massivement accordé les pleins pouvoirs à la Maison-Blanche qu'on ne trouve plus trace dans le débat actuel des « checks and balance » qui font à juste titre l'orgueuil de la mécanique constitutionnelle américaine. Les ukases présidentiels peuvent pleuvoir. Les remparts traditionnellement édifiés pour protéger la présomption d'innocence sont démolis ou contournés. Dans un pays où il se trouve toujours un avocat pour contester la moindre preuve obtenue dans une moins éclatante légalité, bien peu de choses protègent maintenant l'intimité du foyer.

Quand le premier ministre Chrétien refuse à la Chambre des communes le droit de se prononcer officiellement sur une contribution canadienne à l'effort militaire, il est certes en mesure d'invoquer des précédents. Il prend cependant, selon l'expression pudique, des libertés avec la vérité quand il livre ses motifs. Ainsi, il omet de dire qu'un vote parlementaire sur une éventuelle conscription reproduirait, à en juger par les récents sondages, les chiffres explosifs du référendum de 1942 sur la même conscription. Qu'on y regarde, en effet, de plus près. Les sondages de la semaine dernière montraient que le Canada anglophone favorisaient une contribution militaire canadienne à hauteur de 80 pour cent, alors qu'un pourcentage presque équivalent des répondants québécois s'opposaient à l'hypothèse. Et qu'on regarde ensuite comment les deux groupes avaient voté lors du référendum de 1942. Survenant en 2001, un vote sur cette question confirmerait d'indésirable façon l'existence de deux solitudes, ce que préfère éviter, sans le dire, M. Chrétien.

Une fois de plus, les défenseurs verbeux de la démocratie et de la transparence pratiquent la restriction mentale, le clair-obscur trompeur, quand ils ne recourent pas au mensonge caractérisé. À cet égard, la différence entre le président Bush et son négligeable ami canadien ne dérangerait même pas la plus scrupuleuse balance. Cela, en démocratie, ne dispense personne, surtout pas les journalistes, du devoir de dire que le roi est nu.

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