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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 10 décembre 2001

Questions avec ou sans réponses

-Quand se termine une guerre qui n'a jamais commencé?

-Selon toute probabilité, quand le plus fort estime avoir obtenu le résultat désiré.

-Le plus fort peut-il changer son objectif en cours de route?

-Pourquoi ne le ferait-il pas puisqu'il est le plus fort et qu'il n'a peut-être pas révélé son véritable objectif au départ?

-Est-il important d'avoir raison quand on est le plus fort?

-Question stupide : quand on est le plus fort, on a raison.

-Défendre une bonne cause donne-t-il le droit d'utiliser des moyens excessifs et d'interdire l'accès à l'information?

-Autre question stupide : la cause défendue par le plus fort n'a aucune raison de se perdre en états d'âme ou de laisser des détails secondaires nuire à l'effort de guerre.

-Ceux qui livrent la guerre au nom de valeurs sacrées ont-ils le droit de les interpréter à leur gré?

-Cela va de soi, à condition, encore une fois, d'être le plus fort. Les valeurs, de toutes manières, font partie intégrante de l'arsenal des nations avancées. Quand on sait s'en servir et les utiliser pour diriger l'opinion publique, elles valent plus que n'importe quel missile. Ne pas pratiquer la conscription des valeurs, ce serait un aveu d'incompétence.

-Y a-t-il des risques à livrer une guerre sans adhérer vraiment aux valeurs qu'on prétend défendre?

-Aucun. À deux conditions cependant. D'abord, d'être le plus fort. Ensuite, de compter sur les meilleurs experts en relations publiques et en conditionnement des médias.

-À quoi reconnaît-on que la cause défendue par nos dirigeants mérite notre adhésion?

-Aux affirmations que prodiguent ces dirigeants et qui ne peuvent quand même pas être mis en doute par n'importe quel petit esprit critique.

-Est-ce à dire qu'un bon patriote doit ressembler au croyant docile des temps anciens?

-La comparaison ne tient pas. Le croyant d'autrefois adhérait sans bonne raison à des affirmations non vérifiées. Le bon citoyen d'aujourd'hui sait qu'il a affaire à des spécialistes, à des experts renseignés et à des élus qui ne lui dissimulent des faits que si cela risque de réduire son patriotisme.

-Quelle est alors la différence entre le citoyen embrigadé par des causes indéfendables et le citoyen auquel notre pays demande l'acte de foi?

-Une telle question devrait vous rendre honteux. La différence, en effet, saute aux yeux : la cause de nos adversaires ne peut séduire que des ignorants et des fanatiques, la nôtre mérite l'appui de gens instruits, éclairés et pragmatiques. Penser un instant que les dirigeants de ce pays pourraient opter pour autre chose qu'une cause juste, c'est dévier du comportement du bon citoyen.

-Il me semble avoir déjà lu quelque chose du genre dans un livre de George Orwell...

-Vous confondez encore une fois les époques et les situations.

-Est-ce que les dirigeants des régimes que nous combattons ne disent pas la même chose que vous à leurs citoyens?

-Bien sûr! Et c'est pour cela que nous les combattons : ils mentent à leurs citoyens, alors que nous respectons les nôtres au point de toujours leur dire la vérité.

-Quand sera terminée cette guerre qui n'a jamais commencé vraiment, sera-t-il possible de fournir la preuve concluante des torts de nos ennemis?

-Bien sûr! C'est d'ailleurs ce que nous nous apprêtons à faire. Aussitôt que nous aurons gagné, nous créerons les tribunaux dont nous avons besoin et ils prononceront des verdicts de culpabilité contre ceux que nous aurons vaincus.

-Comment avoir l'assurance d'avance qu'ils sont coupables?

-Nous n'aurions quand même pas entrepris cette guerre sans avoir la conviction qu'ils sont coupables. Ils le sont.

-Quelqu'un peut-il être vaincu et avoir quand même raison?

-Encore une question stupide! Je ne sais plus comment vous faire comprendre que le fait de vaincre est la seule façon d'établir clairement qu'on a raison.

-Dans ce cas-là, est-ce qu'on ne pourrait pas faire l'économie du rituel démocratique et des discours sur la liberté, la démocratie, l'équité? Écrasons l'adversaire et tout est dit...

-Vous n'avez décidément aucune connaissance de la nature humaine. Vous avez théoriquement raison de vouloir jeter par-dessus bord les simagrées et les discours creux, mais vous oubliez que la conscience des gens a besoin d'être endormie par des berceuses. Larguer une bombe à fragmentation, cela dérange la conscience à moins qu'on sache que les infirmités ainsi causées sont le prix à payer pour imposer des valeurs sacrées. Il faut donc maintenir la ferveur patriotique à un haut niveau.

-Est-ce que notre camp est le seul à pouvoir raisonner ainsi?

-Comment pouvez-vous en douter? Puisque nous gagnons, comment voulez-vous que les autres puissent se donner raison et nous traîner devant un tribunal pour prouver nos torts?

-Un tribunal créé par nous et seulement après la victoire, est-ce crédible?

-Vous voudriez peut-être que les tueurs et les voleurs nomment les juges? Soyons sérieux. Nous savons ce qui est bien et ce qui est mal, tandis que nos adversaires confondent les deux. C'est donc à nous de traduire devant nos tribunaux ceux qui nous ont agressés.

-Puisque les bombardements ont liquidé le régime taliban, notre rôle en Afghanistan est-il terminé?

-Pas complètement. Il ne le sera qu'au moment où nous aurons mis la main sur tous ceux qui ont travaillé contre nous.

-Les Afghans, que nous avons voulu libérer, vont-ils être maintenant autonomes, libres de former le gouvernement de leur choix, d'amnistier qui ils veulent...?

-Ne confondez pas liberté et anarchie. Leur liberté ne doit quand même pas aller à l'encontre des intérêts de leurs libérateurs. Nous ne permettrons pas les amnisties qui seraient de la mollesse. Nous surveillerons la formation du gouvernement. Nous avons d'ailleurs les moyens de les contrôler : il n'y aura pas de reconstruction sans notre accord.

-Vous voulez dire que vous ne paierez pas si l'orientation du pays libéré ne vous convient pas?

-Allez plus loin : aucun dollar ne sortira du FMI ou de la Banque mondiale si nous ne sommes pas d'accord.

-Peut-on parler de libération?

-Bien sûr, puisque nous aurons les mains libres pour construire les pipelines dont nous avons besoin.


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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie