Dixit Laurent Laplante, édition du 20 décembre 2001

Un calme profitable
par Laurent Laplante

L'électorat québécois serait-il en train de se réconcilier avec le Parti québécois? Un sondage le prétend, ce qui ne définit pas la trajectoire probable. Le fossé qui s'élargissait entre les prétendants libéraux et les vétérans péquistes n'est certes pas comblé encore, mais il aurait perdu en quelques semaines son caractère d'abîme infranchissable. La marge à l'avantage des libéraux, de treize pour cent qu'elle était, se limiterait aujourd'hui à sept pour cent. De quoi faire surgir bon nombre de questions : d'où vient ce vent favorable au gouvernement péquiste? S'agit-il d'une tendance lourde? Cela va-t-il modifier le comportement de M. Landry ou, au contraire, l'ancrer dans sa prudence?

Comme bien des champs d'activités, la politique québécoise a dû absorber le choc des événements du 11 septembre. Cela va de soi. Bien malin, cependant, qui pourra départager avec assurance et fiabilité ce qui était déjà en gestation avant les attentats et ce que les attentats ont créé de toutes pièces. Les ressources budgétaires du gouvernement québécois se sont raréfiées, certes, mais peut-être avaient-elles l'intention de le faire de toutes manières. L'économie mondiale, bon point de comparaison, n'a-t-elle pas cyniquement imputé aux attentats la quasi totalité du ralentissement dont elle éprouvait depuis des mois les signes avant-coureurs? Le secteur du transport aérien, pour sa part, n'avait pas attendu l'écrasement des tours jumelles pour multiplier des mises à pied qui confinaient à l'hécatombe. Ce n'est donc pas faire injure à M. Landry et à son équipe que de se demander si une relation existe entre, d'une part, leur nouvelle popularité et, d'autre part, les crimes du 11 septembre et la conjoncture mondiale qui en découle, si les gestes criminels de septembre furent en eux-mêmes un adjuvant inattendu ou un défi supplémentaire pour le gouvernement québécois. Cela ne saute pas aux yeux.

Disons les choses autrement (et plus clairement). L'apparente remontée péquiste est-elle davantage imputable aux attentats ou à la gestion que le premier ministre Landry en a faite? Seule une réponse à cette question permettra de choisir entre un éloge au régime péquiste ou une observation désabusée et même cynique. La question en elle-même n'a rien d'indélicat. Le renom de Churchill doit beaucoup à Hitler, mais plus encore à ce que Churchill a répondu aux menaces d'Hitler. De même qu'il convient d'établir, face à l'invraisemblable popularité dont jouit présentement le président Bush ce qu'elle doit aux comportements de Bush en réplique aux. attentats, de même il s'impose de savoir si M. Landry a quelque mérite à se trouver aujourd'hui en meilleure posture qu'hier ou s'il doit tout à la crise.

Légitime, l'analyse n'en devient pas pour autant fluide. Dans un contexte où Washington transforme une fois de plus la défense de ses intérêts en combat contre le mal, M. Landry pouvait-il faire valoir des vues moins manichéennes? Le gouvernement de M. Chrétien, en tout cas, a jugé que non. Plus encore, il s'est laissé emporter par un mimétisme servile qui atrophie notre législation et réduit pour le pire nos différences culturelles. La marge de manoeuvre de M. Landry n'en a évidemment pas été élargie. Il a quand même, me semble-t-il, correctement joué ses cartes. M. Landry a résisté, aisément on s'en doute, à la tentation juvénile de jeter la pierre aux faucons américains. Il a exprimé un peu plus que la sympathie convenable, mais tant d'autres gouvernements ont participé à la surenchère dans les sanglots sur commande que le comportement québécois a paru à la fois chaleureux et tempéré. La navigation de M. Landry évitait d'isoler le Québec. Ce que les techniciens délimiteraient comme une gestion de crise a été circonscrit et géré.

La crise elle-même comportait, il est vrai, l'énorme avantage de faire porter le regard sur autre chose que la responsabilité proprement québécoise dans les ratés de l'économie et dans la morosité générale. Puisque Québec subissait la même épreuve que l'ensemble du monde industrialisé, la tentation s'estompait de reprocher à Québec les pertes d'emploi et les calculs frileux des investisseurs. Peut-être un gouvernement péquiste complètement aphone aurait-il profité quand même de cette embellie; M. Landry a tenu et gagné le pari de n'aller que raisonnablement trop loin dans le pathos. Il a profité des circonstances de manière passablement élégante.

Pendant que les États-Unis transformaient leur crise en conscription universelle, la situation intérieure du Québec se modifiait donc à l'avantage du gouvernement. La grogne contre les fusions municipales n'était évidemment pas de taille à disputer les manchettes aux événements de septembre et elle reflua en un éclair vers la lointaine périphérie des débats sociaux. Le bouleversement municipal que les banlieues cossues et leurs chantres stipendiés présentaient comme la quintessence de l'arrogance péquiste disparaissait des conversations et des inquiétudes. Quand la déferlante créée par le 11 septembre perdit enfin quelque chose de son hystérie, la question des fusions municipales n'intéressait plus que quelques élus et leurs avocats. Subitement, l'électorat québécois passa les fusions municipales par pertes et profits et ramena son regard sur le bilan global du gouvernement. Or, ce bilan, surtout avec la décision tranchante de la Cour suprême et le comportement plutôt mesuré de M. Landry face aux affolements dits sécuritaires, se défendait bien.

Le chef des libéraux québécois, comme d'habitude, n'a rien vu. Dès avant le 11 septembre, il jugeait, sans preuve concluante, que l'opposition aux fusions municipales était généralisée et qu'elle serait durable. Il continue sur cette lancée, sans tenir compte des deux éléments, jugement et attentat, qui ont conduit la majeure partie de l'opinion québécoise à s'intéresser à autre chose. Dans cette perspective, M. Charest tient un discours mésadapté et anachronique quand il propose d'inverser le cours de l'histoire. Quand au résidu de séduction qu'aurait pu conserver la promesse de « défusion » de M. Charest, il vaudra à l'équipe libérale les votes déjà acquis de l'électorat anglophone de Montréal. Rien de plus et peut-être moins. M. Charest n'a pas compris qu'on ne reprend pas ses oeufs même si l'omelette manque de saveur. On aura d'ailleurs remarqué que les politiciens fédéraux qui, démagogues et opportunistes, avaient dénoncé les fusions municipales pour nuire aux candidats souverainistes lors d'élections complémentaires, abandonnent aujourd'hui M. Charest à son isolement. Là non plus, M. Charest ne semble pas saisir ce qui se passe. Il est seul, mais il en veut toujours à son moulin à vent.

N'allons quand même pas trop loin dans l'extrapolation. D'une part, un sondage isolé n'équivaut pas à une tendance maintes fois observée. D'autre part, un moindre déficit électoral n'insuffle pas automatiquement au gouvernement Landry l'inventivité que réclame la conjoncture et qu'apprécierait l'électorat.

Pour encourageant qu'il paraisse aux yeux péquistes, le sondage en dit plus long sur la satisfaction de l'électorat qu'à propos des intentions de vote. Or, l'électorat est ainsi fait qu'il lui arrive de renvoyer sur les banquettes de l'opposition un parti gouvernemental dont il voulait seulement frotter les oreilles.

Le sondage élargit quand même la marge de manoeuvre de M. Landry. Il permet au premier ministre de maintenir son ton optimiste sans paraître jovialiste. D'où une moindre morosité. D'où l'occasion d'une plus grande audace. Le pragmatisme qui vient de bien servir M. Landry risque cependant, en contrepartie, de le faire rater cette occasion. Un exemple suffira : à moins d'être bientôt suivi de relevés tout aussi encourageants, le récent sondage sonne le glas des réformes électorales qui honoreraient un parti réformiste. Si le pouvoir redevient accessible au Parti québécois alors même que le parti de M. Charest obtient plus de voix, ne rêvons pas d'une élection à la proportionnelle. Le calme de M. Landry aura valu au Québec une navigation calme par temps de crise; peut-être faut-il se satisfaire de ce résultat.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20011220.html

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