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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 7 janvier 2002

Pendant ce temps, en Israël...

Il faut sans cesse reprendre la description des lieux et des enjeux, car la désinformation déferle avec constance et efficacité sur la situation au Proche-Orient. Par définition, cette désinformation, surtout la plus volontaire, ne travaille pas à visière levée, mais on peut lui prêter au moins deux sources. Pour une part, la désinformation résulte de la nature même des médias de l'hémisphère nord : leur terreau favorise la thèse israélienne et laisse dans l'ombre le drame palestinien. Pour une autre part, cependant, l'orchestration est délibérée et porte la marque d'un mercenariat aussi compétent que cynique. Malheureusement, les deux biais sont cumulatifs. Il faut donc, ne serait-ce que pour maintenir une vigile à propos d'une situation honteuse, reprendre périodiquement l'examen du Proche-Orient. On a chaque fois des surprises.

Que les médias des pays industrialisés prêtent plus aisément l'oreille à la thèse israélienne, c'est l'évidence même. Point n'est besoin, pour s'en convaincre, d'interpréter le fait comme le résultat d'un noir complot. Israël est perçu comme faisant partie de la culture occidentale et l'État le mérite d'ailleurs. On s'y rend plus volontiers qu'on ne visite la Syrie ou le Yémen. Les technologies y sont avancées, les sciences valorisées, les arts choyés, les musées séduisants. D'ailleurs, la population israélienne d'origine et de culture occidentales occupe, dans l'armée et dans la gouverne, plus que sa part des postes déterminants. Cela doit être gardé en mémoire. Avant d'imputer toute la désinformation aux astuces des firmes de relations publiques à la solde de l'État d'Israël, il convient, par exemple, de retourner au rapport MacBride et de se rappeler, tout bonnement, que les médias du nord parlent des pays et des crises qui les intéressent et ignorent jusqu'à l'existence de la partie sud de la sphère terrestre. Or, Israël fait partie de la demie intéressante, tandis que les Palestiniens, pauvre peuple sans relais internationaux, ne suscitent l'intérêt journalistique que comme repoussoir ou faire-valoir. Désinformation est ici synonyme de désintérêt pour une des faces de la médaille.

L'autre désinformation est délibérée, planifiée, recherchée. Non seulement elle peut tabler sur l'énorme avantage qu'est le déséquilibre entre les images israélienne et palestinienne, mais elle l'aggrave par le pilonnage des demi-vérités, par l'emballage trompeur des décisions gouvernementales, par les pressions exercées sur des médias d'emblée sympathiques ou vulnérables à l'intimidation. Arme toujours prête et fréquemment utilisée, l'accusation d'antisémitisme complète l'arsenal. Quiconque décrit l'armée israélienne comme une troupe d'occupation est réputé raciste et présumé contaminé par une idéologie nazie ou suprémaciste. À cela s'ajoute, j'y ai déjà fait référence, un fait majeur : Israël se sait indispensable aux intérêts américains dans cette partie du monde et peut compter sur l'appui inconditionnel des États-Unis, jusqu'aux assassinats inclusivement. De quoi ajouter une désinformation meurtrière et cynique à celle qui découlait paresseusement du nombrilisme occidental et industriel.

La double désinformation accrédite partout les perspectives et le vocabulaire qui avantagent Israël. Ariel Sharon peut présenter comme de légitimes représailles ce qui constitue en réalité une provocation israélienne. Yasser Arafat est assigné à résidence surveillée parce qu'il n'a pas arrêté les assassins du ministre israélien Zeevi, mais Sharon évacue hors du champ de l'information le fait que l'assassinat du ministre israélien répondait à quelques dizaines d'assassinats de personnalités palestiniennes. Qu'un missile décapite un leader palestinien dans un immeuble occupé par des Palestiniens porteurs de passeports américains, cela n'existe plus. Que la riposte palestinienne soit injustifiable, j'en conviens, mais elle est une réplique à une politique explicitement approuvée par le premier ministre Sharon. L'assassinat d'un ministre israélien aux propos incendiaires n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu qui mériterait des représailles massives contre la population palestinienne; l'assassinat de Zeevi était lui-même une vengeance. Quand, pourtant, Sharon fait commencer l'histoire au moment de son choix et exploite l'assassinat impuni de Zeevi comme prétexte pour isoler Arafat, les médias acceptent sa définition de représailles : le crime du commando palestinien aurait été le déclencheur et Israël, mandataire de la justice divine, n'aurait fait qu'appliquer le talion. Et quand le même prétexte fait un deuxième tour de piste pour empêcher Arafat d'assister à une messe à Berthléem, on se borne à considérer Sharon comme un peu sévère et on passe à autre chose.

Qu'on établisse un instant la comparaison. Arafat, dont on abat les policiers, devrait arrêter les assassins de Zeevi. Sharon, chef d'État, approuve et même établit la liste des Palestiniens à assassiner, mais, bien loin d'exiger de lui l'arrestation des tueurs stipendiés par l'État, on l'autorise à remettre des médailles aux exécuteurs. Quand la France, au nom de la raison d'État, tua accidentellement en Nouvelle-Zélande un photographe à l'emploi de Greeenpeace, un certain sens moral protesta, même en France; Israël, sous Sharon, assassine et joue les victimes.

Pendant que l'Afghanistan remplit l'horizon médiatique, Israël continue à assassiner, à démolir des habitations palestiniennes et à les remplacer par des colonies immorales et illégales, à arrêter sans légitimité, à détenir sans comparution, à pratiquer ce que la législation israélienne qualifie pudiquement de pressions physiques modérées ou de pressions physiques accrues pour éviter le terme plus juste et plus répugnant de torture. J'imagine que ma détestation de la torture révèle au grand jour mon antisémitisme.

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Une lectrice me donnait ces jours derniers sa définition personnelle du terrorisme : la guerre de ceux qui n'ont pas les moyens. À mes yeux et sans doute aux siens, le déséquilibre des forces en présence ne confère aucune légitimité au terrorisme. On admettra cependant que certaines dominations recourent si vicieusement à la désinformation et prennent un tel plaisir sadique à discréditer, à humilier, à contraindre que des tentations naissent et s'exaspèrent chez ceux qui n'ont pas moyens. Le terrorisme des puissants nourrit celui des humiliés. Toujours courageux mais obtus, les puissants comprendront qu'ils doivent frapper plus fort et mieux convaincre les médias que les humiliés les martyrisent.

RÉFÉRENCES :

Rapport MacBride : « Many Voices, One World: Towards a New More Just and More Efficient World Information and Communication » (UNESCO, 1980)

Conclusions and Recommendations: Introduction and Part I

Recommendations: Parts II-VII

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