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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 11 avril 2002

Une inquiétante politique canadienne

Les propos du Canada au sujet du Proche-Orient sont si déroutants, parfois même si scandaleux, qu'on ne parvient pas à en établir la cohérence ou à en identifier les fondements. On se réjouira donc de trouver enfin devant soi un texte officiel émanant du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et intitulé La politique canadienne à l'égard du processus de paix au Moyen-Orient. L'espoir d'y trouver une source de clarté est cependant vite frustré : le document décrit le comportement du Canada, mais il ne le justifie ni ne l'explique. Sans le vouloir, il en révèle même les failles.

D'entrée de jeu, le titre du document sème la confusion. De deux manières. D'abord, en substituant le terme de Moyen-Orient à celui de Proche-Orient; ensuite, en tenant pour acquis qu'un processus de paix est en marche dans cette partie du monde.

Parler du Moyen-Orient, comme le fait le document canadien, invite à englober dans la réflexion des pays comme l'Inde, l'Afghanistan, le Pakistan. Le Proche-Orient s'en tient plus modestement aux pays donnant sur la Méditerranée, ce qui, en l'occurrence, est amplement suffisant. Peut-être est-ce la perspective américaine qui conduit la diplomatie canadienne à recourir à des vues aussi ambitieuses, mais le conflit israélo-palestinien mérite assurément une attention circonscrite que le document semble lui refuser. Le document ne traite d'ailleurs que d'Israël et des Palestiniens, donc du Proche-Orient.

La confusion s'accroit à l'évocation d'un processus de paix. On se demande qui a bien pu faire avaler pareille baliverne à nos responsables de la diplomatie canadienne. La seule négociation que connaisse et pratique Ariel Sharon s'exprime par voie de F-16 et de blindés. De la période où Israël et l'Autorité palestinienne se parlaient, il ne reste rien. Les accords d'Oslo, qui datent de ce temps, ont été péremptoirement liquidés par le premier ministre Sharon. À ses yeux, ils appartiennent à une mythologie dont il ne garde aucune nostalgie. Autant dire que le mouvement qui pouvait ressembler à un processus de paix a été brutalement stoppé et même inversé. Chaque fois qu'il a été question de ressusciter le processus de paix et de remettre la négociation sur ses rails, Sharon a posé des conditions qu'il veillait à rendre irréalisables. On ne voit d'ailleurs pas comment le processus de paix pourrait reprendre, puisque Sharon a mis et met encore tout en oeuvre pour détruire les symboles palestiniens et priver Arafat de toute légitimité. Washington n'a pas fait mieux : Sharon fait partie des familiers de la Maison blanche, tandis que Arafat est traité comme un lépreux. Dès le départ, la politique canadienne s'enlise donc dans la pensée magique. Il n'y a pas de processus de paix au Proche-Orient, mais démonstration de force par une partie et écrasement de la partie la plus faible. Et nous n'en sommes qu'au titre.

Une fois remaniée la géographie et inventé un processus fictif, le document passe... aux corollaires. Il ne nous dit rien des valeurs auxquels adhère le Canada, rien non plus des principes qui devraient guider son comportement à l'égard des belligérants et fournir la clé des déclarations canadiennes. Il vole aux conclusions et nous les assene sans en expliquer la dissymétrie. Ainsi, au tout premier paragraphe, le Canada « préconise la sécurité, le bien-être et les droits d'Israël ». Fort bien. On s'attendrait à ce que la contrepartie surgisse aussitôt et que le Canada affirme avec la même netteté les droits des Palestiniens à la sécurité et au bien-être. Ce n'est pas le cas. Le texte préfère effectuer un détour et citer à la barre les résolutions des Nations Unies, les accords intervenus en 1993 entre Israël et l'OLP et les Traités de paix conclus entre Israël, d'une part, et, d'autre part, l'Égypte et la Jordanie. Tout cela est juste et bon, mais cela escamote l'équité. On apprécie que le Canada ne reconnaisse pas le contrôle qu'Israël s'autorise depuis 1967 sur des territoires qui ne lui appartiennent pas, mais le texte n'a pas encore offert aux Palestiniens une reconnaissance de leurs droits comparable à ce dont Israël a bénéficié dès le premier paragraphe.

Quand on parvient enfin aux droits des Palestiniens, la clarté n'est plus au poste. Le Canada, déclare le texte, « reconnaît que les droits légitimes des Palestiniens doivent être concrétisés, notamment le droit à l'autodétermination, qui doit être exercé par la voie des négociations de paix ». Pas de symétrie, par conséquent : Israël jouit de ses droits, les Palestiniens devront négocier les leurs. Et on sait déjà qu'il n'y a pas de négociation. La définition humoristique du fair-play trouverait ici à s'appliquer : « What belongs to me belongs to me. What belongs to you is negociable. » Le même déséquilibre persistera lorsqu'il sera question d'un État palestinien, du soutien canadien à des initiatives de paix empreintes d'équité, du statut de Jérusalem et de l'intégrité territoriale du Liban. Chaque fois, le document s'en remettra à d'improbables négociations.

Le document permet ensuite à la diplomatie canadienne de se tresser des couronnes glorieuses. Le Canada, nous dit-on, « a fait office de chef de file » lors de la conférence de Durban en s'opposant à ce que soient étudiés et peut-être affirmés les liens entre le racisme et le sionisme. Une mémoire plus fidèle rappellerait que le Canada n'a envoyé à Durban qu'une délégation symbolique et qu'il fut le seul, avec Israël et les États-Unis, à refuser le débat. On apprend au passage que le Canada « s'oppose à toutes les tentatives visant à préjuger de l'issue des négociations par des résolutions unilatérales au sein d'enceintes internationales », ce qui est pour le moins équivoque. D'une part, beaucoup de résolutions sont « unilatérales » si l'on entend par là qu'elles énoncent une volonté tranchée. Le Canada en a d'ailleurs approuvé plusieurs, même dans l'actuel conflit. D'autre part, le Canada redevient partie prenante quand l'unilatéralisme profite à Israël et à son partenaire américain. On aurait d'ailleurs cru que c'est précisément le rôle des « enceintes internationales » que de retentir des affrontements idéologiques et d'accoucher de votes majoritaires ou unanimes.

Pareil texte ne rend pas intelligible ni respectable la décision canadienne de s'opposer à la résolution par laquelle la Commission des Nations Unies sur les droits humains déléguait d'urgence au Proche-Orient sa directrice générale. Des 53 pays composant cette Commission, deux seulement, le Guatemala et le Canada, se sont opposés à une initiative d'inspiration aussi pacifique que possible. Pourquoi siéger dans une « enceinte internationale » si l'on tient à la garder muette?

Sans surprise, la politique confie enfin à d'inexistantes négociations bilatérales le sort des réfugiés palestiniens, blâme le terrorisme palestinien tout en ne reprochant à Israël que ses assassinats ciblés, « respecte le droit d'Israël de réagir en proportion aux attaques, y compris au terrorisme ».

On l'aura compris, il ne s'agit pas d'une politique, mais de la mise en forme d'une diplomatie constamment gauchie en faveur d'Israël. On y chercherait en vain la trace d'une ferme adhésion canadienne à la charte universelle des droits ou une référence aux valeurs dont le Canada préconise le respect par tous ses partenaires.

Mais, au fait, le Canada a-t-il là-bas deux partenaires ou un seul?

RÉFÉRENCES :

La politique canadienne à l'égard du processus de paix au Moyen-Orient

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