Dixit Laurent Laplante, édition du 9 mai 2002

Ça, du respect? Vite, qu'on me méprise!
par Laurent Laplante

En une demi-page de publicité, la direction de Radio-Canada utilise sept fois le terme de respect, en recourant tantôt au substantif, tantôt au verbe. Même pour quelqu'un qui n'a jamais eu à fréquenter de près l'étrange Maison, le texte qui enveloppe cette noble référence contredit si brutalement ce qu'implique normalement le respect qu'on doit conclure ou à l'inconscience ou au cynisme. Les deux ne sont d'ailleurs pas incompatibles. À cela s'ajoute une observation, bien triste elle aussi, qui n'avait pas suffisamment attiré mon attention dans mes premiers commentaires sur ce lock-out : le fossé est devenu si profond entre la plupart des émissions de Radio-Canada et le public que bien peu de citoyennes et de citoyens éprouvent le besoin de voler au secours des lock-outés. Je le déplore, car c'est quand même de la radio de Radio-Canada et d'elle seule, par défaut, que peut provenir l'indispensable oxygène.

1. Le titre du texte publicitaire de l'étrange Maison : Régler dans le respect. Je cherche vainement dans mon Grand Robert un exemple dans lequel ce verbe transitif serait dispensé d'un complément direct. Mes recherches sont aussi vaines dans le Dictionnaire canadien des relations de travail de Gérard Dion. Des spécialistes diront mieux que moi si Radio-Canada a droit à cette licence. Ce ne serait pas la première fois, en tout cas, qu'une marge serait observable entre la langue radio-canadienne et le français.

2. Paraîtrait-il, selon le texte, qu'une « étape cruciale de la négociation s'amorce aujourd'hui : sept jours d'efforts soutenus pour trouver un terrain d'entente dans le respect ». On se demande, d'une part, si toutes les étapes de la négociation ne sont pas cruciales lorsqu'il s'agit d'un service public. On préférerait, d'autre part, en raison du respect qui, paraît-il, nous est dû, savoir de quoi il s'agit. Qu'a-t-on fait pendant les semaines déjà écoulées? Pourquoi les jours qui viennent seront-ils plus importants? Quelle assurance a-t-on que personne ne quittera la table des négociations d'ici à l'expiration des sept jours fatidiques? Que je sache, l'information intervient dans la vie démocratique précisément pour nous éviter l'agenouillement des actes de foi; l'étrange Maison a une autre conception de l'information.

3. Au nom de la valeur morale sept fois brandie, l'étrange Maison souhaite « une entente qui respecte chacun de (ses) employés et qui est équitable pour tous ». Quelle était la situation avant que naisse ce rêve de respect poussé jusqu'à l'attention sur mesure et qu'a-t-on envisagé pour aboutir à une équité dont on nous invite à constater l'inexistence? On ne sait. Pas un mot, bien sûr, à propos des accusations portées contre l'étrange Maison en matière de discrimination entre hommes et femmes ou entre francophones et anglophones. Devons-nous croire que la partie syndicale s'oppose au respect et à l'équité?

4. Par respect pour son auditoire, l'étrange Maison souhaite « régler » pour que les auditeurs et les téléspectateurs « retrouvent le service de qualité auquel ils ont droit ». Pas un mot pour expliquer pourquoi l'étrange Maison nous a privés de ce service, ni pourquoi elle nous offre depuis le début du lock-out une infâme macédoine qui sent l'irrespect à plein nez.

5. Ostensiblement éprise du respect dû aux citoyens contribuables, l'étrange Maison espère une entente « qui permette d'assumer le présent, mais aussi de bâtir l'avenir, dans une institution redevable de sa gestion envers les contribuables ». On doit sans doute comprendre que l'étrange Maison se défend héroïquement contre la dangereuse voracité syndicale. Pas un chiffre cependant sur les sommes en cause. L'institution (?) redevable de sa gestion ne va quand même pas pousser le respect et la transparence jusqu'à dire aux respectables contribuables quelle distance pécuniaire sépare les parties. L'institution (?) ne juge pas nécessaire non plus de faire signer son texte publicitaire par le président du Conseil d'administration de l'étrange Maison. C'est tout de même du Conseil de l'étrange Maison, du moins on l'espère, qu'émanent les politiques dont découlent les mandats des négociateurs.

Par dela ce texte ronflant et vide, les objets de scandale demeurent. Strictement rien n'explique pourquoi il a fallu recourir à un lock-out illimité, ni pourquoi il était et demeure impossible de négocier tout en dispensant les services dus aux respectables citoyens, ni pourquoi l'ensemble des négociations demeure noyé dans l'opacité.

Les syndiqués, quant à eux, se plaignent amèrement du peu d'appui offert à leur cause par le grand public. Encore faudrait-il savoir ce qu'ils ont fait pour le mériter. Force est de constater, en effet, sans pouvoir répartir avec précision les torts entre les divers paliers de responsabilités, que l'étrange Maison paie aujourd'hui en désaffection du public un nombrilisme altier et persistant. Pour un admirable Sans frontières, combien y a-t-il de petits phénomènes locaux convertis en éléments indispensables de programmation nationale? Combien de renvois d'ascenseur maquillés en hommage à la culture, montréalaise cela va de soi? Combien de grossièretés démagogiques permises aux intouchables vedettes de l'étrange Maison? Combien d'entrevues parallèles tirées de la même personne par des émissions qui se succèdent à la même antenne et se font bêtement concurrence? Là non plus, le respect dû au public s'incline souvent bien bas devant la manie de se faire plaisir. Que le public s'en soit aperçu ne devrait pas surprendre.

Dans les circonstances, le blâme, me semble-t-il, doit atteindre en priorité la direction de l'étrange Maison. C'est elle, en effet, qui nous prive du peu de substance disponible au Québec en matière d'affaires publiques. Le syndicat, de son côté, devrait se demander sans recourir à une assez vilaine culpabilisation pourquoi le mutisme d'un service public suscite si peu de frustration dans le public.

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020509.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2002 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.