Dixit Laurent Laplante, édition du 12 septembre 2002

Feuilles volantes 2
par Laurent Laplante

Une fois encore, je ne parviens pas à privilégier une seule facette de l'actualité. Je suis conscient du risque de dispersion et je me mets moi-même en garde contre la tentation de me satisfaire de commentaires trop laconiques. Qu'on me le rappelle au besoin.

Un bon geste
Du palabre où le Parti québécois s'est ausculté une fois de plus et a offert aux sondages défavorables la meilleure mine possible, je ne retiens que ceci : le premier ministre Landry a mis fin aux supputations et aux incertitudes au sujet de la date du prochain scrutin. À peu de choses près, ce sera juin 2003. M. Landry n'était pas obligé de fournir cette balise; qu'il l'ait fait montre une maturité qui l'honore. De cette manière, la démocratie est bien servie, car tous les partis sont sur un pied d'égalité. L'élément de surprise cesse de jouer en faveur du gouvernement. Ceux et celles qui songent à une candidature ont une base solide pour se préparer, pour réorienter leur carrière, pour couper les ponts au moment opportun.

Ce geste de M. Landry, en raison de sa gratuité, donne une certaine crédibilité aux changements que le ministre Jean-Pierre Charbonneau proposera d'ici peu aux institutions démocratiques. Ayant en mémoire le calendrier électoral, il devient possible d'examiner sereinement les mérites de la proportionnelle, l'hypothèse d'une « chambre des régions », etc.

Le président a compris, mais quoi?
Le président de Radio-Canada, Robert Rabinovitch, prétend avoir compris beaucoup de choses grâce au récent conflit de travail au sein de sa société. On se demande bien quoi. Le monsieur parle de grève, alors qu'il s'agit d'un lock-out. Il a tout fait pour que les négociations se déroulent sans que le public soit informé, mais il n'explique pas encore une telle anomalie de la part d'une entreprise publique vouée à l'information. Il redoute que l'appétit de Quebecor pousse à un nouveau sommet la concentration des médias, mais il ne semble pas comprendre que Radio-Canada fait plus que sa part pour que la concentration s'intensifie. Radio-Canada, en effet, détient je ne sais plus combien de permis de diffusion et les fait interagir d'une telle manière que la diversité disparaît, que tout devient n'importe quoi, que le spectacle est partout privilégié. Quand on mobilise Sans frontières pour célébrer les 50 ans de la télévision, que fait-on sinon de l'homogénéisation? Quand les mêmes têtes occupent tous les créneaux, que fait-on sinon de la concentration?

À cela s'ajoute la dernière sottise radio-canadienne : l'invitation lancée au chef de l'ADQ, Mario Dumont, de présenter la série télévisée Bunker. Quelqu'un quelque part a jugé que la cote d'écoute importait plus que le bon goût. Personne dans la pyramide n'a entrevu que la vie politique ne gagne rien à imiter les talk-shows d'outre-frontières. Et Mario Dumont, pas plus structuré, s'est montré aussi incapable d'afficher une échelle de valeurs décente.

Un sondage sans objet
La question demandait : « Êtes-vous satisfait des opérations militaires canadiennes en Afghanistan? » Question théoriquement défendable puisque, après tout, le coût de ces opérations nous incombe et que, dans un pays normal, la décision de participer à cette guerre aurait fait l'objet d'un débat. Là où le tableau tourne au ridicule, c'est au stade des réponses. Trente-trois pour cent des personnes interrogées se disent très satisfaites, 45 pour cent satisfaites, 8 pour cent insatisfaites et 3 pour cent tout à fait insatisfaites. Je cherche vainement sur quoi les gens fondent leur jugement. Pour ma part, j'aurais éclaté de rire si l'on m'avait posé la question et j'aurais redouté un gag. Aujourd'hui encore, en effet, que sait-on de la contribution canadienne? Le haut fait, ce fut, ne l'oublions pas, la bombe « échappée » par un avion américain sur des soldats canadiens. À part ça? Est-il donc si gênant de répondre « je ne sais pas »?

Réalisme ou naïveté?
Nous n'y sommes pas encore, mais presque, semble-t-il. La marijuana cesserait de constituer pour la société canadienne une interdiction inapplicable, une dépense astronomique en services policiers et carcéraux et un constant défi à la magistrature, et elle entrerait dans la zone des produits tolérables. L'incertitude persiste cependant quant au nouveau statut dont jouirait la marijuana. Tous les termes qui circulent présentement n'ont pas le même sens et il ne faudrait pas confondre légalisation, décriminalisation, socialisation, libéralisation.

Heureusement, des points de comparaison existent qui éclairent les différences dans la terminologie et qui peuvent guider la réforme. Un fossé sépare, par exemple, la légalisation du jeu que pratique, par exemple, le Nevada et la socialisation du jeu qui caractérise le Québec. Qu'on soit ou non d'accord avec la publicité pratiquée par Loto-Québec, on admettra qu'il est, malgré tout, préférable de remettre à l'État les profits du jeu que de les abandonner au crime organisé. Partout où l'on s'est borné à légaliser le jeu, on a vu rôder les indésirables autour des tables de jeu. Socialiser le jeu, ce n'est pas le légaliser de façon imprudente. De la même manière, le contrôle que l'État exerce sur les spiritueux se situe à égale distance du laisser-faire et de l'irréaliste prohibition. Il n'est pas criminel de consommer du gin, mais il le serait de mettre en marché le gin produit par un alambic clandestin. Dans le cas de la marijuana, une prudence et une ouverture d'esprit comparables s'imposent. La socialisation et la décriminalisation ne sont pas synonymes d'irresponsabilité.

Chose certaine, la période d'incubation du nouveau cadre légal doit se terminer au plus vite, car aucun juge ne voudra appliquer la loi actuelle s'il risque d'être le dernier à se montrer intransigeant.

Enfin, le 12?
Le vol du vampire est-il enfin terminé? J'ose l'espérer sans pourtant y croire encore. Maintenant que Bush II a extrait des décombres du World Trade Center tout ce qui pouvait nourrir sa frénésie guerrière, il est pourtant indispensable que nous revenions à une meilleure évaluation des enjeux et des perceptions et que l'hystérie reflue. Pour cela, il faudra que les médias se calment, que la description des faits prenne le relais des images et que les morts américaines cessent de crier plus fort que les cadavres d'ailleurs. Se repaître des cadavres, cela regarde les charognards et ne devrait pas s'intégrer aux stratégies politiques. Surfer sur les impressions épidermiques, ce n'est pas non plus du grand journalisme. Ressasser septembre 2001 est moins important que réfléchir à ce qui ne s'est pas produit à Johannesbourg. Informer demande du travail, alors qu'il est facile de jouer les courroies de transmission et de publier les images fournies par les vampires.

Paul Martin et Kyoto
À mesure que passent les jours et les semaines, Paul Martin voit décroître sa visibilité et se réduire sa marge de manoeuvre. Comme prévu, c'est Jean Chrétien que l'on voit à l'ombre de Bush II, pas Paul Martin. Seule solution pour l'ancien ministre des Finances, des déclarations stimulantes et innovatrices. Le problème, c'est que M. Martin n'en a pas l'habitude. Ainsi, il n'a même pas prévu que les journalistes lui poseraient des questions sur Johannesbourg et le protocole de Kyoto. Il s'est donc borné à souhaiter un débat sur le sujet. Ce n'est pas ce genre de guimauve qui l'accréditera comme un homme politique capable de renouveler les perspectives.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020912.html

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