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Québec, le 30 janvier 2003 Les mots et la morale Peut-être parce que je suis immergé dans Camus à « Combat », je ressens le besoin de vérifier si, comme journalistes ou commentateurs, nous préservons assez la nécessaire adéquation entre les mots et la réalité, entre nos textes et les exigences de la morale. Si la clarté fait défaut et si la rectitude politique substitue un terme lénifiant au mot qui serait pleinement révélateur, les gestes répréhensibles entrent masqués dans l'univers de l'acceptable. Se produit alors une évacuation de la préoccupation morale et l'information s'intègre au monde de la manipulation. Un tueur est un tueur La déshonorante torture Des morts dépréciés? L'intérêt des électeurs M. Manley, comme ministre, n'est pas élu, mais nommé par le premier ministre Chrétien. Comme ministre, il n'a pas d'électeur. Devenu ministre, il doit s'occuper de l'ensemble de l'électorat canadien. L'éthique voudrait qu'un ministre n'accorde aucun traitement de faveur aux électeurs qui en ont fait leur député. Comme député, M. Manley ne pèse d'ailleurs rien aux yeux d'un banquier et il n'aurait probablement même pas tenté d'infléchir la décision bancaire s'il n'avait pas été ministre. Le ministre Manley ne se donne sûrement pas autant de mal pour chacun des électeurs du député Manley. C'est donc en tant que ministre dépourvu d'électeurs qu'il est intervenu. Le député Manley se conduit mal quand il usurpe les pouvoirs du ministre Manley. Mais le conseiller à l'éthique ne fait pas mieux. Sondant les reins et les coeurs, il juge que les motifs du ministre Manley étaient purs et qu'il n'y a donc pas de faute. La fin, à ses yeux, justifie les moyens. L'entorse à l'éthique du ministre Manley est sanctifiée par son intention vertueuse. Pourtant, quand des militants accusés de méfaits invoquent pour leur défense les motifs de leurs gestes, l'objectif, même s'il s'agit de la paix, cesse de justifier les moyens. Représentés deux fois? Les négociations entre les Autochtones et le gouvernement québécois durent, on le sait, depuis des années. Pendant tout ce temps, le gouvernement négociait, en toute légitimité, au nom de l'ensemble du peuple québécois. Comment justifier que, tout à coup, les populations blanches des régions plus directement touchées obtiennent une représentation inattendue et supplémentaire? Faut-il comprendre que le gouvernement négociateur va devenir un arbitre entre les représentants autochtones et les porte-parole de certaines populations blanches? On comprendrait que les Blancs inquiets ou mécontents blâment leur gouvernement, mais les Autochtones n'ont pas à payer pour les querelles entre Blancs. Les Blancs auraient-ils la langue fourchue? Taxes spéciales À la réflexion, un gouvernement devrait s'interdire une fiscalité fondée sur la spécialisation des entrées et des sorties de fonds. Un gouvernement taxe, puis répartit l'argent perçu. On imagine mal le ministre des Transports imposant une taxe spécifique pour financer son ministère, le ministre de la Justice en faisant autant pour payer les juges, le ministre de l'Éducation... Un gouvernement taxe selon les besoins d'ensemble, puis il ventile son budget. Au gouvernement issu du vote populaire de décider, quand on le presse d'accroître le financement des soins de santé ou d'éducation, s'il retire des fonds à un poste pour en ajouter à un autre. L'idée de recourir à des taxes spéciales est une assez triste façon pour un gouvernement d'abdiquer ses responsabilités et de laisser les lobbys se disputer le contrôle du budget public. Une taxe spéciale pour les médecins spécialistes serait peut-être acceptée par l'opinion publique, mais ce serait, de la part d'un gouvernement, une lâcheté. Même chose dans le cas de l'automobile : il n'appartient ni aux automobilistes ni aux usagers des transports en commun de contrôler le budget, mais aux élus. |
Laurent Laplante | |
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