Dixit Laurent Laplante, édition du 17 février 2003

Inutiles et fiers de l'être

D'après une majorité de députés fédéraux, c'est au premier ministre Chrétien de déterminer si le Canada se joindra à la coalition américano-britannique dans la guerre contre l'Irak. Le parlement, d'après ces fins analystes de la mécanique politique, doit se satisfaire de palabrer autour de la décision. Que des élus soient aussi inutiles et aussi fiers de l'être en dit long sur leur apport à la vie démocratique.

Dans le contexte actuel, plusieurs arguments militent en faveur d'un recours net et déterminant à la chambre des communes. C'est un lieu infiniment plus propice que le cabinet ministériel à la transparence, à la comparaison de vues divergentes, à la prise en compte de la société civile. L'opinion publique canadienne ressemble présentement beaucoup plus à celle des pays européens, Angleterre comprise, qu'à celle des États-Unis. La palette des avis exprimés à l'occasion des sondages va de la réticence à l'opposition caractérisée. Même dans l'hypothèse d'une guerre avalisée par l'ONU, le public canadien, c'est le moins qu'on puisse dire, manque d'enthousiasme. D'autre part, on se doute bien que Washington, tout en proclamant son respect de la souveraineté canadienne, considère le Canada comme un fidèle et docile fournisseur de services. Si nous esquissions ne serait-ce que l'ombre du commencement d'un soupçon de réticence, nous aurions aussitôt droit de la part de nos voisins à des invectives encore plus incendiaires que celles que reçoivent présentement la France, l'Allemagne et la Belgique. Le clivage est donc béant entre la volonté du peuple canadien et ce qui est exigé de notre gouvernement. Une réconciliation s'impose entre les deux mondes et c'est à la chambre des communes qu'elle doit s'effectuer. Là aussi qu'elle doit pouvoir se vérifier.

MM. Chrétien et Manley, pour ne citer que deux noms, devraient pourtant comprendre ce qu'exige l'intérêt public. Tous deux se sont permis des interventions contraires à la décence et ont invoqué comme défense qu'un député doit chercher l'intérêt de ses électeurs. Les électeurs en question leur disent aujourd'hui qu'ils ne veulent pas de la guerre.

Le recours au parlement s'impose d'autant plus que, jusqu'à maintenant, le gouvernement de M. Chrétien a constamment entouré ses décisions militaires d'un épais mystère, pour ne pas dire qu'il a sciemment trompé le public. Les soldats canadiens faisaient des prisonniers, mais l'autorité politique ne le savait pas ou ne le disait pas. Les soldats canadiens avaient, au sein d'une armée étrangère, un statut aussi flou que possible. D'un jour à l'autre, la doctrine varie quant à la nécessité d'une deuxième résolution de l'ONU ou à l'acceptation d'une guerre conduite par les États-Unis seulement. Aujourd'hui encore, quand le Canada prétend attendre les demandes américaines, il en a déjà accepté plusieurs. La présence de militaires canadiens dans les équipes qui préparent la guerre le démontre clairement. Quand on laisse entendre que des soldats canadiens se rendraient en Afghanistan plutôt qu'en Irak, on doit tirer au moins deux conclusions désagréables : d'une part, que nous avons déjà accepté de soutenir l'intrusion américaine alors que M. Chrétien prétend réfléchir encore; d'autre part, que nous effectuons à la place des Américains les tâches d'ultime « nettoyage » et de consolidation en Afghanistan et que nous aidons ainsi les États-Unis à oublier le pays conquis pour concentrer tous leurs efforts sur le pays à conquérir. Une équipe aussi cachottière que celle de M. Chrétien ne commencera à jouer franc jeu avec l'électorat que si le parlement, comme il convient, assume la tâche de définir la politique du pays. L'exécutif, par la suite, exécutera!

Cela, les députés de tous les partis devraient être les premiers à le comprendre. Ont-ils, en effet, un autre rôle que celui de représenter le public dans la surveillance et l'orientation du pouvoir exécutif? De ma vie, je crois n'avoir jamais rencontré un député pleinement satisfait de son rôle. Tous ceux qui occupent les banquettes arrière, l'un après l'autre, se plaignent d'être bousculés par les ministres, d'être traités comme des « bêtes à votes », d'apprendre les décisions gouvernementales par les médias, etc. Et voilà que, masochistes inconséquents, les mêmes insatisfaits votent pour DIMINUER leurs prérogatives et pour inviter l'exécutif à faire ce qu'il veut! Cela dépasse l'entendement.

Cette gaffe découle-t-elle d'un respect excessif pour la personne du chef ? Qu'il soit permis d'en douter. Le leadership de Jean Chrétien n'a pas empêché plusieurs députés de réclamer le départ du chef et on voit mal que des députés succombent à la timidité quand il est question de la guerre et se trouvent du courage pour la contestation du chef. Discipline de parti, me dira-t-on. Je m'en doute bien, mais, encore là, nos élus auront-ils le triste culot de s'en vanter? Répétons-le, il est question de la guerre, pas de la couleur des draperies de leurs bureaux. On se rapproche sans doute de la vérité si, tout simplement, on explique cette sottise par le fait que les députés n'ont pas réfléchi. S'ils ont réfléchi, c'est pire.

Au moment où un Ramsey Clark estime que le président Bush et son équipe méritent l'impeachment pour avoir largement débordé les limites fixées au pouvoir exécutif, on éprouve plus que de la gêne en voyant une majorité de nos élus pratiquer un à-plat-ventrisme contraire à leur mission démocratique. S'abandonner aux décisions d'un chef d'État qui veut la guerre alors que les citoyens qu'on représente n'en veulent pas, cela relève de l'inconscience ou du cynisme. Ou des deux.

Insignifiants, c'est-à-dire sans signification dans un système politique fondé sur la représentation, comment peuvent-ils être fiers d'eux-mêmes?

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030217.html

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