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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 24 mars 2003

Guerre, mensonge et isolement

À peine le trio des Açores a-t-il retiré piteusement une résolution que le Conseil de sécurité aurait rejetée que la propagande américaine lance de nouvelles vagues de désinformation. Certes, il fallait s'y attendre. Mais il fallait surtout se préparer à les affronter et, si possible, à les briser. Le problème, c'est que plusieurs pays et médias ont mal compris ou déjà oublié la leçon servie par le récent affrontement au Conseil de sécurité. De nouveau, ils se laissent manipuler par ceux qui ont déjà essayé de les leurrer. Ceux qui commettent des erreurs sont des humains, ceux qui commettent trop de fois les mêmes doivent leurs ennuis à leur propre amnésie.

On mentait quand on prétendait que la deuxième résolution soumise par Washington, Londres et Madrid avait de bonnes chances de rallier « neuf ou dix voix » au Conseil de sécurité. On mentait en maquillant en demandes turques ce que le Pentagone voulait obtenir. Les fêlures provoquées par ce mensonge au sein de l'OTAN continuent d'affaiblir la solidarité européenne. On mentait en imputant à la France et à la France seule un refus endossé par une double majorité des membres du Conseil de sécurité : trois sur cinq des membres permanents, probablement onze sur quinze à l'échelle du Conseil. On mentait en présentant comme accablants pour Saddam Hussein des documents plagiés dans un travail d'aspirant au doctorat ou forgés à propos des achats d'uranium par l'Irak...

Liste tronquée, mais qui devrait suffire à placer l'opinion en état d'alerte. Les menteurs, en effet, n'ont pas pris leur départ pour la retraite. Ils mettent une belle ardeur à reprendre là où ils avaient laissé. Indice que les mensonges partaient de haut, pas une seule tête n'a roulé comme conséquence des maladresses qui ont permis au monde de surprendre MM. Blair, Bush et Powell en flagrant délit de mensonge. On ment maintenant à propos du ralliement à l'assaut américain de dizaines de pays qui cachent leur identité ou se contentent d'agiter courageusement (?) le mouchoir blanc de l'au revoir en direction des bombardiers américains. On ment à propos des inspecteurs recrutés par les Américains et qui, eux, vont trouver ce que l'équipe de Hans Blix est ainsi accusée de n'avoir pas vu. On ment quand on transmet à des médias paresseux, crédules ou complices des scénarios affolants et tordus...

Liste tronquée cette fois encore, mais qui devrait hausser d'un cran la méfiance des médias et des gouvernements. Si l'on sait, et l'on devrait savoir, que l'information sur l'assaut américain est confiée à des menteurs, pourquoi persister à les croire? Pourquoi reproduire à pleines pages les sottises concoctées pour occuper les naïfs? Pourquoi servir de courroie de transmission à la désinformation? Pourquoi faire rigoler Donald Rumsfeld en prêtant foi aux hypothèses délirantes qu'il a lui-même répandues pour terrifier le bon peuple? Ce n'est pas informer que de consacrer à des mouvements militaires dont on ne sait rien de certain des dizaines et des dizaines de bulletins. Ce n'est pas non plus informer que d'entrer dans une logique de guerre, de l'entretenir par le recours aux innombrables spécialistes des études stratégiques et de laisser sur la touche ceux qui, sociologues, politologues ou éthiciens, mettaient récemment en doute la légitimité de l'attaque. Dans peu de jours, les sondages montreront que l'opinion pivote vers une approbation de la guerre. Comment en serait-il autrement quand les médias, à peu d'exceptions près, ne jurent plus que par les uniformes et les armements? Pour un René Mailhot qui ose dire, sur les ondes de Radio-Canada, que la coalition vantée (inventée?) par les USA n'est ni sérieuse ni crédible, combien de journalistes reproduisent ou répètent les mensonges de la Maison blanche? Combien ont le courage de reconnaître, humblement et utilement, qu'ils n'ont rien vu? La plupart d'entre eux, contre toute logique et contre toute loyauté à l'égard de la société civile, laissent le champ libre à la guerre et amplifient son assaut contre la vérité.

Trop peu des États qui composent l'ONU font mieux. Il s'en trouve encore pour plier, peut-être sans enthousiasme, sous les pressions de ceux qui promettent, puis oublient. Le blocage obtenu au Conseil de sécurité aurait pourtant dû établir ceci : l'arbitraire américain ne peut être endigué que par la concertation. Une France isolée n'aurait rien empêché. Parce que Moscou et Beijing ont offert un certain soutien (plutôt qu'un soutien certain), d'autres pays ont résisté au chantage américain. Parce qu'il est devenu évident que le Conseil de sécurité refusait son aval à l'agression américaine, de nombreuses capitales ont adopté un comportement différent de celui qui prévalait lors de l'opération Tempête du désert. S'il y a aujourd'hui coalition, elle ne ressemble qu'en miniature à celle qui avait défendu le Koweit. L'agression a lieu quand même? C'est vrai, mais on en voit le vrai visage : celui de la voracité, de l'arbitraire, de l'illégitimité. Celui d'un messianisme halluciné.

En quel état se retrouvera l'ONU au lendemain de cette chevauchée d'inspiration western? Non pas en état de décomposition, mais en urgence de réalignement. Du fait que les masques soient levés, le défi est plus net. Du fait que des pays décrits comme « indécis » par un journalisme pressé aient été suffisamment décidés pour ensabler la résolution américaine, un nouveau courage semble à portée de main. À condition que se renforce la solidarité. Reprendrait-on la semaine prochaine le vote sur la résolution 1441 que plusieurs membres du Conseil de sécurité, fiers d'avoir refusé leur aval à l'illégitime, se montreraient réticents et peut-être même hostiles. Ces pays savent aujourd'hui que les exégètes stipendiés de la Maison blanche peuvent faire avouer n'importe quoi au texte qu'ils soumettent à la torture; un nouveau vote sur la même question les trouverait plus prudents, moins prompts à laisser des équivoques dans la rédaction de la résolution 1441.

Le problème à bien identifier, c'est celui de l'isolement. Si les États définissent leur politique selon les appels téléphoniques que la Maison blanche leur adresse à tour de rôle, ce qui vient d'être conquis au Conseil de sécurité n'aura servi à rien. Washington continuera à attacher à son char ceux qui commettront l'erreur d'entrer en solitaires dans l'antre du Minotaure. En revanche, les pays qui se feront confiance les uns aux autres et qui parieront sur la solidarité et la transparence du débat public obtiendront l'un de deux résultats : ou bien l'infléchissement des visées américaines, ou bien l'isolement de la puissance impériale. Les efforts déployés par la Maison blanche pour isoler la France et pour démontrer que les États-Unis peuvent compter sur des dizaines d'appuis montrent bien l'importance de ce facteur. Ce n'est pas pour rien que les États-Unis détestent les forums internationaux qui peuvent leur faire perdre la face. Ils préfèrent un unilatéralisme capable d'intimider les pays un à un. L'impasse récemment vécue au Conseil de sécurité devrait inciter tous les pays à redouter cette stratégie étasunienne et à privilégier les lieux où la solidarité peut contrer l'hégémonie.

Le chroniqueur Robert Fisk rappelait récemment une dimension trop ignorée de l'assemblée générale de l'ONU. Quand survient une impasse au Conseil de sécurité, l'assemblée générale pourrait et devrait se saisir du dossier. Si l'on avait suivi cette voie, on saurait mieux encore aujourd'hui qui, du camp favorable à la diplomatie et de celui qui avait choisi la force, était le plus isolé. Et l'illégitimité de l'agression contre l'Irak apparaîtrait dans une lumière plus crue encore.

Heureusement, la rue, elle, fait entendre le bon sens des consciences.

Laurent Laplante

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