Dixit Laurent Laplante, édition du 27 mars 2003

À quoi ressemblera l'Assemblée nationale?

La campagne électorale québécoise n'a pas attendu pour manquer de souffle que l'agression contre l'Irak polarise l'attention. À mi-course, elle avait déjà vidé les principaux partis de leurs engagements. Elle ressemble maintenant à une bousculade désordonnée plus qu'à un affrontement entre des valeurs, des candidatures et des programmes. À ce jeu, une désaffection renaît et s'amplifie qui profite au matraquage médiatique sur l'Irak et peut, ce qui serait un résultat infiniment plus souhaitable, pousser des formations politiques encore marginales jusqu'à l'avant-scène.

Sans surprise, parce que tel est le bon vouloir des médias, la campagne gravite autour des chefs de parti. Il n'y en a que pour le premier ministre Bernard Landry, le chef libéral Jean Charest et le leader de l'Action démocratique Mario Dumont. Tous trois ont l'oeil rivé sur les sempiternels sondages et font pivoter leur mire selon que tel ou tel des adversaires semble prendre l'avance. Les élucubrations de l'ADQ cessent de scandaliser le Parti québécois si le parti libéral passe en tête, tout comme les ratés du gouvernement péquiste intéressent moins le parti libéral si Mario Dumont retrouve son public. Ce ne sont pas ces escarmouches qui mettront en lumière les différences pourtant fondamentales entre les partis.

Étrangement, le Parti québécois, qui a tout à perdre dans une telle agitation, s'y complaît encore plus que ses concurrents. Et cela, par la faute du chef lui-même qui a pourtant mis ses troupes en garde contre le triomphalisme. M. Landry, qui a pourtant adopté à propos de l'unilatéralisme américain un ton et une attitude de chef d'État, se laisse aller sans grand repentir à des interventions peu compatibles avec son statut. Il recourt à un humour douteux à propos de l'intérêt personnel qu'aurait le chef libéral dans le démembrement des villes récemment fusionnées. Au lieu de laisser un quelconque technicien s'occuper des thèmes à aborder lors du combat des chefs, il s'enferre dans des rappels historiques fondés, mais qui l'entraînent dans les broussailles. Il critique, à la grande joie de M. Dumont, la publicité de l'ADQ et en accroît la visibilité. À l'encontre des usages et de l'élégance, il harcelle le chef libéral dans son fief de Sherbrooke, sans doute par gentillesse pour Marie Malavoy, mais en endossant ainsi la livrée du maquisard plutôt que celle du chef d'État. Sans le vouloir, M. Landry accrédite dans la population le reproche que lui adressent ses adversaires : il croit que tout relève de lui et que son instinct le sert toujours adéquatement. Ce n'est pas le cas. Un chef doit savoir se réserver pour l'important. D'ailleurs, un gouvernement en instance de troisième mandat doit imiter le gardien de buts plutôt que le fringant marqueur et M. Landry le sait mieux que quiconque.

Ses adversaires libéral et adéquiste facilitent quand même la tâche du Parti québécois. M. Dumont perd pied dans les sondages et il brandit avec une conviction décroissante les propositions d'ailleurs erratiques de sa formation politique. Cela l'amène à durcir le propos, à répéter comme un mantra des accusations simplistes, à s'entêter dans les affirmations indéfendables et à dilapider ce qui lui reste de crédibilité. Les quelques candidatures intéressantes conquises en début de campagne s'emploient désormais à des exercices de « survie locale » et laissent au chef le soin de courir partout et de parler jusqu'à l'extinction de voix. M. Dumont s'est doté d'un début d'équipe, mais il mène campagne de façon presque aussi solitaire que lors du scrutin précédent. L'ADQ y gagne la suppression des contradictions, elle y perd le bénéfice de ses conversions prestigieuses.

À tout prendre, peut-être est-ce le chef libéral qui réussit la meilleure campagne. Il n'a rien à dire, mais il le dit de façon détendue. Il fonce dans toutes les brèches que lui ouvre le comportement primesautier du premier ministre. Il reconquiert ainsi mètre à mètre le terrain que lui avait fait perdre la résurrection péquiste. M. Charest, cependant, a si longtemps endossé le rôle de chef de l'opposition qu'il s'est habitué à mener une guerre de guérilla : ni clarté ni mouvement d'ensemble. En temps normal, c'est-à-dire dans une période de bipartisme, l'opposition n'a souvent qu'à attendre les bourdes du gouvernement; dans une lutte à trois, les attaques libérales portant sur le bilan du Parti québécois peuvent profiter à l'ADQ autant qu'au parti de Jean Charest.

Pendant que le trio des chefs joue du coude dans les coins de patinoire, un très valable travail s'effectue à la base grâce à l'Union des forces progressistes et au Parti vert. On a attiré des candidatures aussi costaudes que celle d'Omar Aktouf et on a ainsi transmis le micro à des voix moins usées que celle de Michel Chartrand. Il serait souhaitable, en raison de l'encombrement actuel sur le flanc droit de l'échiquier politique et en prévision des scrutins où le Québec s'honorera en passant au vote proportionnel, que quelques candidats de ces formations se faufilent jusqu'à l'Assemblée nationale. Il suffirait de quelques élus au verbe articulé pour que les thèses environnementales et sociales d'une nouvelle gauche obtiennent la visibilité qui, à long terme, a profité aux Verts allemands.

Les jeux ne sont pas faits, sauf en ce qui touche à l'ADQ. Des trois partis majeurs, elle est la seule à ne pouvoir aujourd'hui rêver de gouverner. Il n'est pas dit, cependant, que M. Dumont ne détiendra pas la « balance du pouvoir » si aucun des partis favorisés par les sondages ne dégage une majorité. Une nette victoire péquiste, en effet, est toujours incertaine. Le Parti québécois, revenu à l'avant-scène à la surprise générale, semble atteint du mal qui a affligé l'ADQ au cours des récents mois, celui de manquer de souffle avant la fin de la course. Raison de plus pour que M. Landry consacre quelques minutes à se servir à lui-même les bons conseils dont il gratifiait ses militants et pour qu'il refasse l'exercice juste avant le débat des chefs.

Laurent Laplante

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030327.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2003 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.