ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

Dixit Laurent Laplante
Québec, le 31 juillet 2003

Une rencontre mensongère

Il aurait fallu beaucoup d'imagination pour attendre des motifs d'espoir de la visite à Washington d'Ariel Sharon. Du seul fait que le premier ministre israélien rencontrait le président Bush quelques jours après le porte-parole palestinien, on devait prévoir, en effet, que Sharon serait appelé à prononcer jugement sur les demandes palestiniennes et que la Maison blanche se plierait au verdict de son allié. M. Bush a beau vanter sa « vision » de deux États vivant côte à côte, strictement rien ne révèle de la part d'Israël l'assouplissement qui serait nécessaire ni, du côté des États-Unis, la fermeté qui pourrait compenser. Pourtant, la violence palestinienne a sensiblement diminué, à tel point qu'on doit considérer comme respectée la trève acceptée par les extrémistes palestiniens. Rencontre mensongère par conséquent.

À toutes fins utiles, presque toutes les demandes palestiniennes recoupent les stipulations du document dénommé « feuille de route » : que cesse l'expansion territoriale d'Israël à même le sol palestinien, que les milliers de prisonniers détenus dans les prisons israéliennes soient libérés, que soit stoppée la construction du mur qui permet à Israël de gruger le territoire palestinien et de priver les paysans palestiniens de leurs champs... À cela s'ajoute, il est vrai, le voeu palestinien de voir Yasser Arafat traité de façon civilisée; de ce souhait, aucune trace dans la feuille de route, même si une telle assignation à résidence passe inaperçue à Ramallah et soulève les protestations à Rangoon. Aucune de ces demandes n'est exorbitante, aucune n'obtient satisfaction.

Si, par exemple, quelques « squatters » israéliens ont été délogés par l'armée israélienne, ce fut pour le plaisir des photographes, à des fins lourdement publicitaires et le temps d'un soupir. Au dire des extrémistes israéliens eux-mêmes, personne n'empêchait les expulsés de recréer leur campement illégal et immoral le soir même. De même, la libération de quelques prisonniers palestiniens ne va pas au coeur du problème. Dans la grande majorité des cas, les détenus ne sont accusés de rien et n'ont jamais fait face à un tribunal. Plusieurs ont subi des interrogatoires qui confinent à la torture et que la justice israélienne avalise sans broncher. Nombre des détenus ne peuvent même pas être rattachés à l'intifada, puisqu'ils étaient en prison avant que commencent les jets de pierres. En libérer moins de dix pour cent n'empêche certes pas les autres d'être traités en otages par Israël. Quand au mur coûteux et ignoble que construit Israël aux fins de tracer une nouvelle frontière et de déraciner la population palestinienne, il ne fallait surtout pas croire que le président Bush allait en exiger la démolition : puisqu'Israël est en faillite technique, c'est évidemment avec l'argent américain que fonctionne ce sinistre chantier. À peine Sharon laisse-t-il entendre qu'il pourrait veiller à ce que ce mur nuise le moins possible aux Palestiniens que Bush cesse de considérer cette ignominie comme un problème. (À noter que l'orthodoxie israélienne demande de ne pas parler d'un mur, mais d'une clôture de sécurité.)

Face à des demandes raisonnables et pourtant stériles, Israël formule des exigences qui, elles, obtiennent sans coup férir l'aval américain. Sharon et Bush ont travaillé de conserve pour qu'Arafat soit enterré vivant. Quand Sharon a instauré sa politique d'assassinats ciblés, Bush s'est dit « préoccupé »; depuis lors, les Américains ont eux aussi recouru à cette technique, utilisant un drone pour assassiner en territoire étranger et tuant les fils (?) de Saddam Hussein au lieu de les arrêter et de les traduire devant un tribunal crédible. La Maison blanche ayant Guantanamo sur la conscience, elle ne se scandalise pas que des milliers de Palestiniens soient privés de leur liberté et de leurs autres droits. Depuis le rapport Mitchell, les États-Unis rappellent périodiquement à Israël qu'il faut mettre fin à son empiètement en territoire palestinien, mais Sharon se cache à peine pour inciter ses colons à l'expansionisme. Il se cache d'autant moins que les États-Unis peuvent difficilement reprocher à Sharon de faire sur le dos des Palestiniens ce que l'occupant américain fait en Afghanistan et en Irak. Somme toute, seuls le mensonge et la manipulation de l'opinion peuvent présenter la rencontre entre Sharon et Bush comme une remise en cause des abus israéliens.

--------

Deux sondages récents incitent pourtant à ébranler certaines certitudes. Chacun à sa manière, ils enlèvent, en effet, de la crédibilité aux déclarations flamboyantes des deux belligérants. Dans un cas, le sondage révèle qu'une forte majorité des Palestiniens n'ont aucunement l'intention de se prévaloir d'un quelconque « droit de retour » dans leurs anciens foyers. Dans l'autre cas, on apprend qu'une majorité significative des colons israéliens quitteraient volontiers leurs enclaves palestiniennes si on leur versait une compensation. Chiffres déroutants quand on se rappelle que le « droit au retour » faisait partie de la rhétorique palestinienne jusqu'à tout récemment et plongeait Israël dans les transes à chaque fois qu'il était invoqué. Chiffres déroutants quand Sharon parle des décisions douloureuses qu'il lui faudra prendre et qu'il se prétend incapable de briser le fanatisme des colons. À eux deux, ces sondages indiquent qu'une marge peut-être considérable existe entre l'opinion publique des deux camps et l'interprétation qu'en font les leaders politiques des deux camps. Selon toute vraisemblance, la manipulation pratiquée par les appareils politiques contribue à éloigner les parties et à rendre la paix moins probable.

Faisons confiance à ces sondages et versons dans la candeur. Tenons un instant pour acquis qu'Israël n'a pas à redouter qu'un brusque afflux de Palestiniens dans ses frontières fragilise l'État hébreu, puisque peu de Palestiniens tiennent à retrouver le décor dont leurs parents et leurs grands-parents ont été chassés il y a un demi-siècle. Tenons également pour acquis, du moins un instant, qu'Israël et son bailleur de fonds paient pour concentrer la population israélienne en sol proprement israélien au lieu de pratiquer un expansionnisme auquel ne tiennent pas une majorité des colons. La guerre ne perd-elle pas d'un coup plusieurs de ses prétextes? L'insécurité qu'invoque Israël ne diminue-t-elle pas? Et l'extrémisme de certains groupes palestiniens ne perd-il pas une partie de sa justification?

Pareille évolution est bien peu probable? Je l'admets. En soulignant cependant que ces sondages font porter une énorme responsabilité aux leaders politiques, à Ariel Sharon en particulier. Nombre d'analystes soulignent depuis longtemps, avec justesse sans doute, que la paix dépend en bonne partie d'un renouvellement des gouvernants et du départ des vieux guerriers. C'est chose faite du côté d'Arafat, c'est chose à faire du côté de Sharon.

En avalisant le discours guerrier de Sharon, la Maison blanche pactise avec l'armée israélienne et les éléments ultra-orthodoxes de la Knesset. Ce faisant, la Maison blanche rend impossible la paix qu'elle prétend favoriser. Pour réconcilier un discours trompeur et une réalité déplaisante, il reste la manipulation. D'où la rencontre de cette semaine.

Laurent Laplante

P.S. Nous remercions le lecteur qui nous a demandé de vérifier ce que furent les débuts de Canada Steamship Lines. Contrairement à ce que nous avons affirmé dans le précédent Dixit, l'empire maritime que dirige Paul Martin n'a pas été développé par son père. Selon la CBC, il a acheté CSL en 1981 de Power Corporation (qu'il dirigeait depuis 1974) pour la somme de 180 millions de dollars.

RÉFÉRENCES :


Imprimer ce texte



ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie