Dixit Laurent Laplante, édition du 18 août 2003

Même credo, stratégies aléatoires

Il s'en trouve sûrement pour apprécier que l'élection d'un gouvernement fédéraliste au Québec ait interrompu les sempiternelles querelles constitutionnelles entre les deux paliers de gouvernement. Ceux-là oublient sans doute que les précédentes périodes de parfaite connivence entre Ottawa et Québec ne comptent pas parmi les périodes les plus propices à l'épanouissement d'une société québécoise distincte. Pour notre plus grande inquiétude, l'arrivée au pouvoir de Jean Charest crée un contexte analogue à celui qui prévalait au temps de Robert Bourassa et nous expose, paradoxalement, aux mêmes dangereuses convergences, mais aussi à de coûteuses incohérences. Ce n'est pas parce que les deux paliers de gouvernement font également confiance aux conglomérats et oublient l'un comme l'autre les besoins sociaux qu'ils harmonisent leurs gestes. On doit même redouter que le souci de convergence politique occulte les contradictions entre les stratégies et les priorités.

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Il y avait lieu de se réjouir quand le Canada a ratifié le protocole de Kyoto; il y a lieu aujourd'hui de s'inquiéter de la stratégie adoptée par le gouvernement fédéral pour parvenir aux résultats promis. Autant, en effet, le gouvernement fédéral a le geste généreux à l'égard des principaux responsables de la pollution, autant il manque d'imagination et de rigueur quand vient le temps d'aider ceux et celles qui, au bas de la pyramide, subissent dans leur vie quotidienne la détérioration de l'environnement.

Ainsi, on vante à grand bruit le programme grâce auquel les propriétaires qui rendront leur maison moins énergivore recevront jusqu'à mille dollars. Pourtant, on devrait savoir que les résidences les moins protégées contre les déperditions d'énergies appartiennent rarement aux plus riches. Accorder mille dollars pour provoquer des rénovations que les plus pauvres n'ont pas les moyens d'effectuer, c'est planer au-dessus de la vie. Par ailleurs, ce dont il s'agit dans cette première étape de mise en application du protocole de Kyoto, c'est de réduction des gaz à effet de serre. Certes, les économies d'énergie demeurent souhaitables quelle qu'en soit la nature, mais c'est l'énergie génératrice de gaz à effet de serre qui est ici dans la mire plutôt que l'ensemble des énergies. Ainsi que le signale le scientifique Claude Villeneuve, parfaire l'isolation d'une maison chauffée à l'électricité réduira de vingt kilos les gaz à effet de serre, tandis que la même opération pratiquée sur une résidence chauffée au pétrole engendrera une réduction d'une tonne des mêmes gaz, soit 50 fois plus. Même cadeau, résultats ridiculement différents. Façon d'aider l'Alberta à réduire les gaz à effet de serre engendrés par le secteur résidentiel; façon de ne pas tenir compte d'une situation québécoise déjà plus proche de l'idéal de Kyoto.

Or, c'est le moment que choisit le gouvernement québécois de Jean Charest pour inciter Hydro-Québec à augmenter ses tarifs et à affaiblir ainsi sa position concurrentielle face aux énergies concurrentes. Belle synergie.

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C'est avec une commune émotion que les gouvernements du Québec et du Canada déplorent la perte du Grand Prix de Formule-1 de Montréal. Le gouvernement central a le mérite de maintenir fermement sa législation antitabac, mais il manifeste quand même autant de frénésie que le gouvernement Charest à l'idée de voir disparaître un événement sportif (?) aux retombées que l'on dit considérables.

C'est là qu'il faut poser quelques questions. Le Grand Prix de Montréal engendre, dit-on, des retombées de 75 millions. On y voit la preuve que tout doit être mis en oeuvre pour attendrir le tsar de la Formule-1, le sympathique philanthrope Bernie Ecclestone. À aucun moment, cependant, nos gouvernants des deux paliers n'ont songé à évaluer les corollaires négatifs de cette tapageuse célébration de la vitesse. D'une part, le bilan oublie la colonne du passif. D'autre part, le cirque de la Formule-1 n'est peut-être pas la meilleure pédagogie qui soit pour guérir nos collectivités du culte de la voiture.

En bonne gestion, le bilan doit comparer les avantages et les inconvénients d'un produit ou d'une activité et internaliser les coûts en même temps que les dividendes. Il se peut que le Grand-Prix de Montréal enrichisse certains goussets de quelques dizaines de millions, mais qui assume les frais? Qu'y a-t-il comme dépenses en face des retombées vite évaluées à 75 millions? Que coûte le Grand-Prix en mesures de sécurité et en surveillance policière? En couverture médiatique? Surtout, quelle influence exerce ce modèle sur la conduite automobile de toute la collectivité? Combien doit dépenser la Société d'assurance-automobile pour contrer les délires de la Formule-1? Laisser Ecclestone s'enrichir, mais exiger de la collectivité qu'elle assume les coûts d'un culte morbide de la vitesse, est-ce un bon mode de calcul? Quand un pays se prétend sensible aux menaces qui pèsent sur l'environnement en raison surtout de l'automobile, est-il cohérent de s'agenouiller pour obtenir d'un Ecclestone qu'il popularise des comportements qui stérilisent l'accord de Kyoto? La synergie, impeccable, va dans le mauvais sens : en bons néolibéraux, les deux paliers de gouvernement s'entendent à merveille pour vanter les générosités de l'entreprise privée, mais ils refusent d'internaliser les corollaires désastreux de sa gourmandise. Privatiser les profits, socialiser les coûts.

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On observe une connivence comparable entre Québec et Ottawa à propos des exportations de boeuf vers les États-Unis. Certes, il est heureux que se soit construite rapidement une offensive commune pour pallier les dégâts causés par un unique cas de « maladie de la vache folle ». Certes, il faut rétablir une production bovine dont dépendent des milliers d'emplois, mais on doit se demander si les deux paliers de gouvernement ont compris la leçon que viennent de leur servir les États-Unis, le Japon et combien d'autres pays.

La fermeture de la frontière américaine au boeuf canadien a mis en triste lumière le rôle névralgique des abattoirs. Selon qu'ils existent ou pas, selon qu'ils existent en nombre suffisant, les éleveurs du Québec et du Canada en général jouissent ou non d'une certaine autonomie. À l'heure actuelle, les éleveurs canadiens pourraient écouler leur production sur le marché américain s'ils faisaient abattre leurs bêtes de ce côté-ci de la frontière. En effet, seule leur est refusée la vente d'animaux vivants. Les faire abattre en sol canadien et exécuter au moins en partie le travail de préparation des carcasses, ce serait d'ailleurs garder une plus forte proportion de la lucrative « valeur ajoutée ». La solution satisfaisante et permanente, ce n'est donc pas de compenser les pertes infligées aux producteurs canadiens par la fermeture des frontières aux bovins vivants, mais d'aider les éleveurs à devenir plus autonomes. À l'heure actuelle, on paie et on attend, au lieu d'investir dans l'autonomie des éleveurs.

Des gouvernements préoccupés des consommateurs se demanderaient également comment il se fait que l'affaissement des prix dans les encans d'animaux vivants ne se répercute pas sur les prix exigés des consommateurs. Si l'éleveur auquel on a fermé le marché américain retire de ses ventes la moitié de ce qu'il recevait, qui intervient (rentablement) pour intercepter la différence et pour que les prix demeurent les mêmes à l'étal du boucher?

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Chacun des gouvernements porte la responsabilité des erreurs qu'il concocte seul. Ainsi, le gouvernement Charest se révèle infiniment myope et profondément insensible aux besoins sociaux quand il saccage le réseau des garderies à tarif abordable. La dévastation est cependant amplifiée quand deux paliers de gouvernement commettent de conserve la même erreur ou quand leurs politiques contradictoires accroissent le double emploi et le gaspillage. Nous vivons le pire des deux mondes en cette période où le gouvernement central ne sait plus qui est le vrai premier ministre et où le gouvernement québécois consacre la première année de son mandat à gaver un secteur privé qui n'était déjà pas rachitique.

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030818.html

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