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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 17 novembre 2003

La démocratie est-elle dans une impasse?

Le lundi 3 novembre 2003, le Musée de la civilisation du Québec présentait une table ronde appelée à scruter la question suivante : La démocratie est-elle dans une impasse? Laurent Laplante y participait. Comme le Salon du livre de Montréal l'éloigne présentement de son ordinateur, il substitue au Dixit habituel les notes rédigées à l'occasion de cet échange avec la professeure Diane Lamoureux, le politologue Vincent Lemieux et le député et ex-président de l'Assemblée nationale Jean-Pierre Charbonneau.

1. Non, la démocratie n'est pas dans une impasse. Elle traverse cependant des temps difficiles.

2. La démocratie, à mes yeux, est un projet, une utopie. Elle ne sera donc jamais parfaitement réalisée. En revanche, elle renaîtra toujours de ses cendres, car elle est liée à des instincts aussi éternels et fondamentaux que la liberté ou la dignité.

3. Au moins une partie des difficultés que rencontre la démocratie proviennent des définitions réductrices qu'on en donne. On confond régime démocratique et élections. On confond démocratie et loi de la majorité. Des pays ont pourtant voté pendant de longues périodes, comme le Mexique, sans qu'on puisse parler de véritable démocratie. En revanche, toucher à une constitution demande, comme aux États-Unis, beaucoup plus qu'une simple majorité, mais rien ne prouve que la démocratie soit bafouée par ce type d'exigences. En lui-même, le taux de participation au scrutin n'est qu'un indice parmi d'autres de l'état de santé de la démocratie.

4. L'élection à la proportionnelle me paraît souhaitable. Les formules pondérées, comme la formule allemande, ont le mérite de ne pas nuire à la stabilité politique et celui de ne pas accuser la dépendance à l'égard de partis extrémistes.

5. Les scrutins à date fixe présentent l'avantage de placer tous les partis sur un pied d'égalité. S'en remettre au bon plaisir du premier ministre est un anachronisme et une cause de distorsion.

6. La discipline de parti et la solidarité ministérielle profitent aux partis plus qu'à la société. En revanche, un gouvernement dont les ministres exercent une (trop) parfaite liberté d'expression, comme c'est le cas en Israël, peut souffler le chaud et le froid.

7. On accorde trop peu d'importance aux conditions d'exercice de la démocratie. Si l'on veut que la démocratie soit un gage de liberté, il faut pourtant dépasser le rituel électoral. Je donne, en recourant abondamment à l'Atlas mondial des libertés (Arléa), une liste partielle des critères qui révèlent si la démocratie est plus qu'un cérémonial vide. J'ajoute, à l'occasion, un mot sur la situation québécoise et canadienne.

- Le pluralisme de la presse est une nécessité. (Cette condition est bien mal respectée au Québec.)

- Le financement doit provenir des pouvoirs publics et des personnes physiques seulement. (La caisse constituée par Paul Martin dans sa campagne pour succéder à Jean Chrétien est à cent lieues de cette préoccupation.)

- La séparation de l'Église et de l'État doit permettre aux électeurs d'échapper à l'endoctrinement qui s'adresse aux consciences. (La question est toujours d'actualité si l'on regarde les USA, la charia, l'invitation faite aux élus canadiens de voter en catholiques à propos des mariages entre personnes du même sexe... Un certain passé québécois en matière d'« influence indue » invite à demeurer vigilants.)

- L'alternance doit être une véritable possibilité. (Critère sans application prévisible au Canada.)

- Les enquêtes sur les atteintes aux droits humains doivent être libres et transparentes. (Les silences gouvernementaux à propos de ressortissants canadiens détenus à l'étranger vont en sens inverse.)

- Corps policiers et militaires doivent être soumis à un véritable contrôle des élus (même en période d'hystérie théoriquement sécuritaire).

- Les traités internationaux doivent être ratifiés et respectés, y compris les tribunaux internationaux appelés à juger les crimes de guerre et ceux commis contre l'humanité.

- L'endettement international ne doit pas servir de porte d'entrée aux pressions de l'extérieur.

8. La place prise par le pouvoir exécutif, qui est le seul des trois à définir ses positions en secret, explique au moins en partie le désintérêt des électeurs...

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Une telle soirée provoque des réflexions diverses. Peut-être parce que le taux de participation accapare l'attention et que ses baisses inquiètent, plusieurs personnes dans l'auditoire auraient souhaité que, à l'exemple de la Belgique, les citoyens soient soumis à une amende s'ils s'abstiennent de voter. Aucun des quatres panélistes n'a manifesté d'enthousiasme à l'idée d'une telle coercition. À propos du nombre insuffisant de femmes dans les enceintes parlementaires, il fut question d'imiter la France et de réserver aux femmes une part précise - et pourquoi pas la moitié ? - de la représentation. Là non plus, le recours à des normes imposées ne séduisait pas le panel. Par contre, c'était au tour du panel de manquer d'imagination quand des gens se présentaient aux micros dans l'espoir de se faire indiquer des pistes concrètes. Tel des panélistes revenait à la proportionnelle, tel autre regrettait la prépondérance des « professionnels » de la politique, mais ceux et celles qui cherchaient comment redonner sa ferveur à la démocratie restèrent sans doute sur leur faim. Peut-être faut-il en conclure que le système démocratique est plus complexe qu'il ne semble et qu'il est difficile de modifier un élément sans mettre l'ensemble en question.

Un fait, heureusement, compense le laconisme des panélistes et permet de croire que la démocratie est visée par de nombreux questionnements : le Musée de la civilisation accueillait ce soir-là trois ou quatre cents personnes. L'utopie ne manque ni de défenseurs ni d'analystes.

Laurent Laplante


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