Dixit Laurent Laplante, édition du 12 février 2004

Être prêt, ne pas l'être, se mal préparer

Alors que s'achève la première année du règne du premier ministre Jean Charest, la population québécoise ne sait pas sur quelle déception pleurer le plus ardemment. À peine en selle, le nouveau régime a entrepris de dynamiter non seulement les récentes créations du Parti québécois, mais aussi des institutions créées il y a quarante ans par la révolution tranquille et le Parti libéral de Jean Lesage. Les promesses les plus formelles du programme libéral de 2003 ont été trahies ou édulcorées les unes après les autres. La plupart des recrues sur lesquelles comptait le premier ministre Charest pour doter le Québec d'une gestion gouvernementale modernisée ont gaffé comme si elles se disputaient la médaille d'or de l'improvisation. Étrange et rapide déconfiture pour un premier ministre qui clamait il y a moins d'un an : « Nous sommes prêts! » Ce qui ne devrait pas inciter le chef du Parti québécois à recourir déjà aux accents triomphalistes.

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Peut-être parce qu'il puise ses modèles politiques dans le camp du néolibéralisme effréné, Jean Charest a opposé à l'ample grogne populaire la réponse assurée du fin stratège politique : « C'est au tout début d'un mandat qu'un gouvernement doit adopter les éléments impopulaires de son programme. » Ce qui, de fait, est corroboré par l'expérience. L'ex-premier ministre Jean-Jacques Bertrand a provoqué sa défaite en proposant en fin de mandat une législation litigieuse en matière linguistique. À l'inverse, le Parti québécois a logé parmi ses premières décisions de nouveau gouvernement une loi 101 qui, à l'époque, ne convainquait pas tout le monde.

Le problème, c'est que Jean Charest confond ensuite habileté stratégique et légitimité politique. Le premier ministre défend, en effet, deux thèses contradictoires. D'une part, il invoque un mandat clair de la population pour multiplier les virages en épingle à cheveux; d'autre part, il avoue le caractère impopulaire des mesures mises de l'avant.

À cette contradiction s'ajoute, comme nous l'avons déjà noté, l'interprétation discutable et même malhonnête que donne le chef libéral du scrutin d'avril 2003. Lors de ce test électoral, le Parti libéral a tout au plus engrangé les mêmes résultats que lors des élections précédentes. L'électorat n'a pas pivoté en direction du programme libéral. Il n'a rien exprimé qui puisse ressembler à un plébiscite favorable aux libéraux. Le seul parti qui pourrait lire le scrutin de 2003 comme un appui supplémentaire, c'est l'Action démocratique du Québec (ADQ). Le parti de Mario Dumont a nettement progressé dans la faveur populaire, même si cela ne lui a pas valu un nombre décent de députés. M. Charest traite donc cavalièrement la vérité : 2003 ne lui a pas remis un mandat clair et ce qu'il tente de faire accepter par la population constitue un programme législatif qu'il sait impopulaire. Peut-être Jean Charest était-il prêt, comme l'affirmait son slogan électoral, mais à quoi?

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La même question se pose à propos de plusieurs ministres. On ne sait trop, cependant, si leurs flottements sont imputables à leur manque d'expérience ou de jugement ou si les erreurs sectorielles remontent jusqu'à l'omniprésent Jean Charest. Chose certaine, le cabinet, qu'il obéisse à un pouvoir central déconnecté ou qu'il reflète avec trop de fidélité une incompétence bien répartie, fait quotidiennement la preuve qu'il n'était pas prêt à assumer le pouvoir.

Limitons-nous à quelques exemples. D'entrée de jeu, en quelques déclarations fracassantes sur la réingénierie et sur une imprécise privatisation de l'eau, la présidente du Conseil du trésor a d'abord prouvé qu'elle respectait une idéologie au lieu d'examiner la situation. Depuis lors, le ton a baissé de plusieurs crans. Pour sa part, le ministre de la Justice a commencé son règne en envahissant gaillardement le territoire de son collègue de la Sécurité publique et en défendant comme s'il s'agissait de politiques gouvernementales les réformes qu'il préconisait comme avocat de pratique privée. Depuis lors, malgré une moindre agitation, le ministre de la Justice se situe plus près du style flamboyant et interventionniste d'un Claude Wagner que de la discrétion d'un Marc-André Bédard. Quant à lui, apprécié du public, le ministre de la Santé s'est abstenu du ton péremptoire. Il s'approche cependant d'échéances exigeantes. L'encombrement des salles d'urgence, dont il devait lever la malédiction, n'a pas diminué de façon stable et les sondages révèlent que la population, lasse et désabusée, ne croit plus à la possibilité d'un changement. En somme, un cabinet qui ne manque pas de talent mais où l'on cherche une préparation adéquate à l'exercice du pouvoir.

Dans nombre d'autres dossiers, depuis les garderies jusqu'à la culture en passant par le drame vécu par les éléveurs de bovins québécois, le gouvernement revient sur ses engagements pour les tronquer ou les oublie carrément. Excès de docilité de la part d'apprentis-ministres? Peut-être. Centralisation excessive? Également probable.

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La déception atteint un sommet quand un gouvernement obsédé de privatisation et ouvertement antisyndical ne parvient ni à soigner ses relations avec le monde des affaires ni à maintenir Hydro-Québec dans les limites de la décence corporative. Le cabinet libéral tenait tellement à se démarquer du gouvernement précédent qu'il a traité avec Alcan comme si le contrat intervenu entre la grande aluminerie et le Québec n'engageait que le Parti québécois. Au lieu de respecter l'entente, comme l'aurait fait n'importe quel gouvernement adulte, on a laissé entendre qu'il fallait vérifier d'abord si les ressources énergétiques du Québec étaient suffisantes. La réaction n'a pas tardé et la gifle de Davos a laissé des traces. Pendant ce temps, le gouvernement poursuivait en sourdine la mue d'Hydro-Québec et le flirt avec la filière thermique. Dans les deux cas, le gouvernement a dilapidé sa crédibilité. D'urgence, le premier ministre Charest a improvisé une esquive : la Régie de l'énergie reçoit un mandat nébuleux et limité à 60 jours. Rien là-dedans ne démontre une préparation adéquate.

Le ministre responsable du détestable projet du Suroît mérite tristement le mot de la fin : « J'ai sous-estimé la résistance de la population. » Il reprend ainsi à son compte la contradiction de son chef. Tout comme Jean Charest se vantait d'un mandat clair tout en se félicitant de liquider les questions désagréables en début de mandat, le ministre responsable de la politique énergétique du Québec admet sans même s'en rendre compte qu'il a raté son coup de force. Ils étaient prêts, mais à quoi?

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Le chef du Parti québécois, jamais à court de triomphalisme, a tout de suite sauté aux mauvaises conclusions. Il a conclu, plus de trois ans d'avance, à une victoire du PQ lors du prochain scrutin. Tout comme il a tenu pour acquis qu'il serait aux commandes du PQ pour gérer cet hypothétique futur. Tout comme il a établi la date approximative d'un troisième référendum et celle de l'accession du Québec à l'indépendance. Cela fait beaucoup de présomptions de la part d'un homme qui prétend réfléchir, consulter, écouter. Tout est sur la table, répète Bernard Landry, sauf, visiblement, quelques détails : sa présence éternelle à la tête du PQ, le rejet d'une élection référendaire, un référendum dix-huit mois après la victoire péquiste, etc. Si Bernard Landry voulait limiter le débat dont le PQ a terriblement besoin, agirait-il autrement? Inapte à l'écoute, Bernard Landry répète les comportements qui ont conduit son parti à une défaite imméritée.

Certains se disaient prêts et ne le sont pas; d'autres sont tellement prêts qu'ils tirent des plans sur la comète.

Laurent Laplante

P.S. D'ici au 11 mars, les Dixit proviendront de France. Au motif que j'essaierai de ranimer un vieux projet de bouquin. Qu'on veuille bien m'excuser si une certaine distance se crée entre la brûlante actualité et moi.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040212.html

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