Dixit Laurent Laplante, édition du 27 mai 2004

Pourquoi un parti de plus?

Après des mois sinon des années de consultations et de réflexion, la militante Françoise David passe aux actes : un nouveau parti politique naîtra au Québec au cours des mois prochains. Il se situera sur le flanc gauche de l'échiquier politique et s'affichera comme féministe. Michel C. Auger, à mes yeux le meilleur chroniqueur politique québécois ces temps-ci, exprime aussitôt son étonnement un peu désabusé : « Un nouveau parti politique de gauche, lorsqu'il en existe déjà un, l'UFP (Union des forces progressistes), sans compter tous les groupuscules. Mais pourquoi faut-il que la gauche recommence du début chaque fois et que chaque nouveau chef politique se croit obligé de créer son propre parti? » (Journal de Montréal, 22 mai 2004, p. 14). La question mérite quelques réponses.

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S'il est exact que le Québec compte présentement quelques groupuscules dont l'idéologie pointe vers la gauche, on ne peut quand même pas redouter l'embouteillage du côté babord de notre navigation politique. Encore faut-il, pour peupler ce courant, y inclure un certain nombre de formations qui, tout en sympathisant avec les principes usuels de la gauche, accordent priorité à d'autres thèmes. Les « verts », par exemple, qui mériteraient un meilleur sort par leur cohérence et leur détermination, appartiennent assurément à la mouvance progressiste sans en partager la totalité des aspirations.

Ce qui frappe aujourd'hui, plus que le nombre de partis inclinés vers la gauche, c'est une certaine incapacité des générations plus âgées à laisser manoeuvrer librement ce que j'appellerais le « jeune socialisme modéré ». Il y a déjà des années que la gauche québécoise subit le cabotinage de Michel Chartrand et de ses semblables et qu'un folklore rigolard empêche la jeune garde d'inventer son style. Des gens qui ont eu leur mérite et dont la verve convenait à leur temps nuisent aujourd'hui plus qu'ils n'aident. Il arrive ainsi que la gauche s'articule encore autour de personnages qui ont affronté Diefenbaker ou Jean Lesage plus souvent que Mario Dumont. Vouloir continuer le combat n'est pas illégitime et je suis d'un âge (70 ans) qui rend sensible à ce refus de vieillir; il faut pourtant savoir se faire discret. À d'autres la direction d'orchestre! Nos vétérans verbeux renonceraient-ils enfin aux feux de la rampe que la gauche révélerait ses possibilités.

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Cet entêtement d'une gauche mésadaptée et vieillie alourdit ses méfaits lorsqu'il s'attaque aux partis autant qu'aux personnes. Le principe vaut toujours selon lequel « le diable se faisant vieux se fit moine ». Façon classique d'anticiper sur le verdict d'André Laurendeau : « On naît à gauche et on meurt à droite. » L'un et l'autre adages se confirment sous nos yeux dans le cas du Parti québécois (PQ). Autant il serait caricatural de confondre le PQ avec l'Action démocratique du Québec (ADQ), autant il serait anachronique de considérer le PQ d'aujourd'hui comme toujours porteur du « préjugé favorable aux travailleurs ». Certaines des figures récemment recrutées par le PQ, Sylvain Simard par exemple, promettent un certain renouvellement des perspectives, mais l'embourgeoisement du parti et le conservatisme impénitent du chef Bernard Landry limitent jusqu'à l'anémie l'espoir d'un rajeunissement. Pour beaucoup, le PQ a fait son temps. Il ne reprendra le pouvoir que si le gouvernement libéral de Jean Charest continue à naviguer sans boussole.

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La question de Michel C. Auger prend son plein relief si on l'insère dans un examen grand angle de l'histoire québécoise. Ce qui ressemble à une constante saute alors aux yeux. Le bipartisme qu'affectionne le régime britannique a résisté au Québec presque autant qu'en Grande-Bretagne. Travaillistes, conservateurs et libéraux coexistent présentement en politique britannique, tout comme le Québec partage ses votes entre PLQ, PQ et ADQ, mais en longue portée, l'affrontement électoral québécois a surtout mis en présence deux partis.

Dans un camp, aucune rupture de continuïté. Le Parti libéral (PLQ) traverse les décennies sans broncher, démontrant sur le terrain qu'on peut durer longtemps en politique québécoise (ou fédérale) sans s'embarrasser d'idéologie. Honoré Mercier fait illusion un instant, mais le bipartisme reprendra bientôt ses droits. Un instant tenté par une vision d'envergure, le PLQ de Jean Lesage s'éloigna de ses bases étroitement pragmatiques, le temps d'amorcer la révolution tranquille, mais il revint ensuite, une fois liquidés René Lévesque et l'accès de fièvre, à ses accointances avec le secteur privé.

Face au durable PLQ, plusieurs formations politiques se sont succédées. La plupart s'entichèrent d'un programme, mais ce fut rarement à gauche que ces partis trouvèrent leur clientèle. Henri Bourassa et Armand Lavergne, le Bloc populaire d'André Laurendeau, l'Union nationale de Maurice Duplessis, le Crédit social version Camil Samson, l'ADQ de Mario Dumont, autant de créations qu'on imputerait difficilement à la gauche. Le PQ est, à cet égard, l'exception plutôt que la règle.

Si l'hypothèse d'une propension de la gauche à toujours réinventer la roue résiste mal à l'examen, celle qui évoque la « manie » de créer un parti nouveau à chaque génération tient la route. Tout se passe comme si, chez les Québécois pour lesquels la politique n'est pas seulement l'art de durer (mes excuses à Robert Bourassa!), les générations rataient constamment le passage du témoin. Comme les adolescents préfèrent conduire une voiture qui leur ressemble et trahissent l'automobile de papa aussitôt qu'ils en ont les moyens, les jeunes générations québécoises qui s'éprennent d'une idéologie créent de toutes pièces leur propre véhicule politique. Un chef émerge, un programme suscite l'enthousiasme, un parti se forme et s'approche du pouvoir, le pouvoir pousse à la somnolence, la différence s'élargit entre la génération des pionniers et les cohortes nouvelles, l'enthousiasme décroît... Dans plusieurs cas, le parti survit malaisément au départ du fondateur. On enterre le chef et, peu de temps après, le parti qu'il avait créé. Le Parti libéral reprend alors les commandes, gère à la petite semaine et laisse le Québec cuver sa convalescence.

Problème de génération, me semble-t-il, plus que de gauche.

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Un des accents privilégiés par le programme de Françoise David hérissera sûrement certains épidermes : l'axe féministe. À moins de la fort mal connaître, je doute que Françoise David veuille renouer avec le militantisme spectaculaire qui a connu la gloire hier et qui a produit ses effets. Je crois plutôt que le nouveau groupe fait le pari que le Québec retrouvera plus profondément sa ferveur sociale, éducative et culturelle s'il tient compte de ce qu'est la réalité féminine.

Observons ceci. Les documents gouvernementaux n'en finissent plus, d'un régime ou d'un ministre à l'autre, d'inventer de nouveaux termes pour désigner le même sexe. On parle de bénévolat, d'aidants naturels, de groupes communautaires, mais, en fait, ce sont toujours les femmes que l'on sollicite. Pendant que la culture dominante, mâle bien sûr, multiplie les appels à l'entrerise privée, à la performance, à l'excellence, au dépassement, aux plus brutales techniques de rationalisation, les femmes tiennent le fort, rencontrent les enseignantes, visitent les vieux parents dans leur foyer d'accueil, fournissent un pôle stable aux petits-enfants secoués par les tribulations des familles, dépannent les plus isolés comme si elles n'avaient pas leur propre vie à vivre. (Oui, je sais, il y a des hommes qui... Peut-on maintenir l'attention sur les tendances lourdes?)

Un parti politique qui écouterait davantage les femmes perdrait moins de temps en structurite aiguë, en médecine d'allure industrielle, en ébranlements incessants de l'école ou de la municipalité... Si c'est à ce type de féminisme que songe Françoise David, est-ce si agressant? Comme disait la fille d'un ami : « Il faudrait qu'on prive les hommes du droit de vote pendant deux cents ans pour qu'ils comprennent... »

Laurent Laplante

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20040527.html

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