Dixit Laurent Laplante, édition du 25 novembre 2004

Le rapport Brundtland intercepté et déformé

Bien sûr, l'homme politique qui table sur l'amnésie populaire joue sur du velours. À condition, toutefois, de laisser passer quelques couchers de soleil avant de suivre le conseil de l'évêque Rémy à un Clovis prêt à la conversion : « Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré. » Dans le cas du premier ministre québécois Jean Charest, la volte-face survient si peu de temps après des propos en sens contraire que même les plus distraits sursauteront. Que Jean Charest s'invente subitement une vocation d'écologiste n'est pourtant pas le pire. Le grand risque, c'est qu'il déforme le sens du rapport Brundtland et accrédite dans la population une interprétation erronée et trompeuse de sa philosophie.

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Jean Charest a fait de son mieux pour donner une genèse à sa conversion. Il était au Sommet de Rio, a-t-il rappelé. Il a donc assisté en direct à la prise de conscience qui s'est alors produite. De là à se présenter comme un Moïse environnemental descendant de la montagne avec, à la main, les tables de la loi, il n'y avait qu'un pas, vite franchi. De fait, Jean Charest était bel et bien ministre canadien de l'Environnement et donc assis aux premières loges lors de l'événement. Le problème, c'est qu'être présent à la première d'une pièce de théâtre ne démontre pas qu'on l'a bien comprise.

À titre de ministre fédéral de l'Environnement, Jean Charest avait, en tout cas, la responsabilité des engagements canadiens. Sans broncher, il les signa, puis les oublia. Depuis Rio, sous la gouverne de Jean Charest et des autres ministres canadiens de l'Environnement, le Canada, au lieu de réduire d'au moins 6 % ses émissions de gaz à effet de serre, les a augmentées de presque 20 %. Comme le protocole de Kyoto vient de recevoir l'aval de la Russie et doit entrer en vigueur dès 2005, on ne voit pas comment le Canada pourra honorer sa signature et respecter les échéances. Voilà qui projette un éclairage plutôt blafard sur la foi écologique du premier ministre Charest.

Le passé récent de Jean Charest témoigne également contre lui. Il y a quelques semaines à peine, le gouvernement québécois, en cheville avec Hydro Québec, défendait ardemment le projet écologiquement douteux du Suroît, une centrale au gaz. Il aura fallu un été anormalement pluvieux pour que les réservoirs d'Hydro Québec se remplissent et que le honteux projet du Suroît soit freiné. Il faut au premier ministre Charest une totale désinvolture pour se coiffer aujourd'hui de l'auréole du parfait petit écologiste.

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Jean Charest semble, en outre, ne jamais avoir lu le rapport Brundtland. Ne lui reprochons pas de recourir à l'expression « développement durable », puisque la langue française n'est jamais parvenue à traduire correctement le « sustainable development » de la version anglaise. Le rapport de 1987 contournait prudemment la difficulté en identifiant ainsi son signataire : « la Commission mondiale sur l'environnement et le développement ». Le premier ministre québécois ne fait que sauter dans un train en marche en recourant lui aussi à une traduction approximative. En revanche, blâmons Jean Charest de fausser le sens du rapport en le mettant au service d'une commercialisation massive des ressources hydro-électriques ou éoliennes du Québec en direction du marché étatsunien.

Le « sustainable development », c'est celui qui n'hypothèque pas le patrimoine environnemental des générations futures. C'est celui par lequel nous nous engageons, comme individus et comme collectivité, à traiter la planète comme si elle nous était seulement prêtée, à charge pour nous de la remettre en bon état entre les mains de nos descendants. Jean Charest va à l'encontre de cette philosophie quand son gouvernement tolère une exploitation forestière excessive et d'ailleurs ponctuée de ruptures de stock, quand il s'apprête à laisser les mégaporcheries retourner à leurs plus mauvaises habitudes, quand l'exploration pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent le fait trépigner d'impatience, quand il se désintéresse du transport en commun...

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Emporté par sa tendance à l'improvisation, le premier ministre québécois comprend si mal le rapport Brundtland qu'il promet de soumettre le Québec aux caprices du pays le plus allergique à la protection de l'environnement, les États-Unis. De Reagan à Bush fils, en effet, les États-Unis ont maintenu le même cap : consommation frénétique d'énergie, peu ou pas de contrôle des émissions polluantes ou des précipitations acides, rejet blindé et agressif de toute convention internationale propice à la défense de l'environnement et, plus récemment, opposition méprisante au protocole de Kyoto. Dans un tel contexte, il est pour le moins irréfléchi et imprudent de la part du premier ministre québécois de claironner sur les tribunes étatsuniennes : « Vous pouvez compter sur les ressources énergétiques du Québec! » Les États-Unis, qui lorgnent déjà l'eau douce des Grands-Lacs, ne demandent qu'à profiter de cette naïveté.

Jean Charest aurait eu avantage à lire le septième principe préconisé par le rapport Brundtland :

7. Les États veilleront à ce que la préservation fasse partie intégrante de la planification et de l'exécution des activités de développement et prêteront assistance aux autres États, en particulier aux pays en voie de développement, pour favoriser la protection de l'environnement et un développement soutenable.

Ou le neuvième :

9. Les États utiliseront les ressources naturelles transfrontalières d'une façon rationnelle et équitable.

Ou encore le quatorzième :

14. Les États coopéreront de bonne foi avec les autres États pour utiliser de façon optimale les ressources naturelles transfrontalières et prévenir ou réduire effectivement les interférences environnementales transfrontalières.

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Improvisation et imprudence conspirent donc pour faire de la conversion écologique du premier ministre québécois un engagement inadéquat et inquiétant. La seule consolation qu'on puisse trouver, c'est peut-être que le Québec ne pourra pas tenir ses promesses et reviendra à une politique plus sensée. Le discours sera moins pompeux et plus rassurant.

On se trompe, en effet, si l'on croit le territoire québécois encore riche en puissants cours d'eau vierges. Les ententes intervenues entre le gouvernement québécois et les nations autochtones rendent aléatoire l'exploitation des fleuves nordiques et le Sud du Québec n'offre que des débits limités. Dans le cas de l'énergie éolienne, les déclarations flamboyantes du premier ministre québécois ont précédé l'inventaire des ressources, de sorte que Jean Charest peut ressembler tout à l'heure à Perrette pleurant la perte de son pot au lait : « Adieu, veau, vache, cochon, couvée! » En outre, les technologies auxquelles on songe appartiennent déjà à des intérêts étatsuniens, ce qui limite à peu de choses l'espoir que le Québec puisse s'enrichir en leur ouvrant ses frontières.

Alors? Mieux vaudrait préciser le programme d'économie d'énergie. Mieux vaudrait ne vendre que ce qui a fait l'objet d'évaluation. Mieux vaudrait ne pas faire du Québec le servile fournisseur d'un ogre énergivore incapable de modérer sa boulimie. Souhaitons que la prochaine improvisation de Jean Charest débouche sur de moindres risques.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20041125.html

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