Dixit Laurent Laplante, édition du 23 décembre 2004

Ces racismes inavoués

Sous le vernis des convenances et de la rectitude politique, d'assez honteux sentiments charrient interminablement leurs flots de préjugés raciaux, religieux, culturels. L'Autre inquiète, dérange, suscite le rejet. L'étonnant, ce n'est pas que la nature humaine persévère ainsi dans de tristes ornières, mais que si peu prennent conscience de la présence et de la progression en eux du racisme. Se savoir vulnérable à ses suggestions permettrait le travail de prévention et de nettoyage; se croire vacciné contre cette peste, c'est faciliter le glissement du préjugé latent aux attitudes sectaires, puis aux propos racistes et aux gestes haineux. De récents sondages font craindre que le glissement s'accélère. Avec la connivence de législateurs qui ignorent (ou peut-être pas) le sens de leurs décisions.

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La mondialisation déferle depuis assez longtemps et de façon si massive que certaines de ses caractéristiques se profilent désormais avec netteté. On sait, entre autres constats, que les capitaux circulent avec une aisance peu contrôlable, tandis que les entraves se multiplient quant aux déplacements des humains. Si, par exemple, on déplore les lenteurs douanières à l'interminable frontière canado-étatsunienne, ce n'est pas surtout des camionneurs et des automobilistes que l'on se préoccupe, mais du ralentissement des échanges commerciaux. Le monde des affaires, qui affectionne les équations stables et prévisibles, préférerait que chacun reste chez soi, pendant que s'effectuerait à distance la planification commerciale et industrielle. Argent nomade, populations parquées, formule gagnante.

Dans cet esprit, les politiques d'immigration resserrent leurs exigences et convertissent en épreuve d'alpinisme l'entrée en certains pays. De nombreux États, Canada compris, n'éprouvent aucune gêne à écrémer certains réservoirs d'immigration et à fermer leurs frontières aux personnes dites moins « compatibles ». L'immigrant doit prouver qu'il ne sera pas une charge, que le coût de sa formation a été amorti par le tiers monde, qu'il n'entrera pas en concurrence avec ceux qui l'ont devancé, qu'il appartient déjà, par la langue, la religion ou la culture, aux groupes dominants du pays visé. De là à utiliser des critères apparemment neutres pour décourager ou susciter les demandes de tel ou tel type, il n'y a qu'un pas. Après tout, n'est-ce pas l'intérêt de l'arrivant qu'il ne soit pas exagérément dépaysé?

La sélection obéit, discrètement ou non, à d'autres règles encore. Les tribunaux appelés à décider du sort d'un immigrant potentiel ne sont pas tous irréprochables. À titre de mauvais exemple, le Canada persiste à choisir les membres de ces tribunaux de façon arbitraire et partisane, avec le risque qu'il faille ensuite dresser par voie policière l'inventaire des pots-de-vin versés à certains magistrats par des requérants. L'imposition de visas à certains pays plutôt qu'à d'autres exprime elle aussi la volonté de tarir certaines sources d'immigration ou celle de gonfler certains contingents. Les motifs des décisions ne résistant pas toujours au test de la transparence, on doit admettre que les terres d'accueil ne manquent pas de labyrinthes.

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Les choses se sont aggravées depuis septembre 2001. Du seul fait que soient publiées les photographies des kamikazes impliqués dans les attentats, on a obtenu que l'opinion publique juge le monde arabe et l'islam (y aurait-il des différences?) capables du pire et d'emblée coupables de tout. Qu'aucun Irakien ne se soit retrouvé parmi les coupables et que l'Arabie saoudite ait fourni plus que sa part de comploteurs, voilà qui importait peu. La suspicion, alimentée par la bêtise et la mauvaise foi, canalisée et exacerbée par l'autorité politique, amplifiée par le simplisme télévisuel, s'est généralisée. Certaine couleur de peau est devenue, en elle-même, inquiétante. Même condamnation instinctive de certaines convictions religieuses.

L'administration Bush en a profité pour légiférer de manière cruellement sélective à l'encontre des jeunes hommes de certains pays. Du seul fait que la personne soit un mâle de tel âge originaire de tel pays, le soupçon se cristallisait et les mesures d'exception entraient en mouvement. La Grande-Bretagne, qui liquide des siècles d'habeas corpus et de présomption d'innocence pour complaire au simplisme vindicatif de la Maison-Blanche, se déshonore en détenant à l'infini des immigrants dont l'origine ethnique et la couleur de peau semblent les seuls crimes. Le Canada, bon choriste, hurle avec les loups. Israël, qui se proclame la seule démocratie dans son environnement, fait semblant de ne pas savoir qu'une démocratie accorde des droits égaux à l'ensemble de ses citoyens.

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Sommes-nous en présence de politiques sourdement ou ostensiblement racistes? Je ne vois pas comment on pourrait le nier. La population étatsunienne ne s'y trompe d'ailleurs pas : à peu près la moitié des Étatsuniens recommandent de n'accorder que des droits restreints aux citoyens d'origine arabe ou de conviction musulmane. Il n'y aurait pas de contradiction entre la thèse voulant que n'importe qui puisse devenir président de ce pays et la mise à l'écart de certaines catégories de citoyens. Discours à teneur égalitaire, pratique et législation à deux vitesses.

Une fois le raisonnement raciste mis en branle, plus rien ne s'oppose aux élections palestiniennes et irakiennes. Après tout, des races inférieures peuvent-elles réclamer plus et mieux que des scrutins encadrés par des armées d'occupation? Et pourquoi le Canada de Paul Martin ne donnerait-il pas de savants conseils sur la démocratie, lui qui a dépensé des dizaines de millions de dollars en commandites illégales pour discréditer la thèse politique qui lui déplaisait?

Ce même Canada, qu'on s'en souvienne, était suffisamment myope lors du sommet de Durban pour ne pas apparenter sionisme et racisme. Il était déjà un élève doué. Avec le temps, il devrait trouver Maher Arar coupable de bronzage excessif.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20041223.html

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